samedi 13 juillet 2013

De Panama aux Galapagos



Par : Armelle.

 

Nous quittons les Perlas, le 3 mai, un vendredi matin (après un faux départ la veille, voilà qui devrait rassurer les marins superstitieux), les cales pleines de vivres, les filets chargés de fruits et légumes, la carène toute propre, cap sur les iles de la Polynésie. Nos pensées se remplissent de noms exotiques comme Pitcairn, les Gambier, les Tuamotu, les Marquises. Il y a moins d’un an, nous en rêvions encore sur les quais de La Rochelle, aujourd’hui ces îles semblent si proches. Et c’est avec délectation que nous entrons leurs coordonnées dans le GPS, cérémoniellement comme un privilège auquel nous venons d’accéder, car désormais nous partageons quelque chose avec elles : un même océan.

 

Au louvoyage sur mer plate


 
 Nous savons que cette première traversée dans le Pacifique sera la plus difficile, les vents et courants contraires du golfe de Panama tenteront de nous retenir mais nous sommes gonflés à bloc, et prêts à louvoyer tant qu’il faudra pour se dégager. La route directe pour Pitcairn passe par les Galápagos, notre objectif est donc de rallier dans un premier temps ces îles. En effet les courants qui les bordent peuvent être si forts qu’avant l’avènement de la navigation électronique par satellite, certains navires les ont cherchées sans jamais les trouver.
Mais pour nous, avant d’y arriver, une étude de la carte des courants nous contraint dans un premier temps à faire route vers la côte ouest du golfe de Panama, avant de descendre plein sud jusqu’à laisser sur tribord Malpelo, un petit ilot perdu au milieu du Pacifique. Ensuite, il suffirait de s’engouffrer dans une veine de courant portant, pour jouir de son accélération jusqu’aux mythiques Galápagos. Ca parait simple non ? Evidemment ça ne s’est pas passé comme ca.
Si on s’en est pas mal sortis sur la première étape, au passage de Malpelo ce fut une autre histoire ; le tapis roulant était bien  au rendez vous, mais en sens inverse, et un vent de sud sud-ouest s’est peu à peu établit. Nous avons croisé Malpelo en long, en large et en travers, au sens propre du terme, et ce, pendant plus d’une journée, en tirant des bords plus que carrés. Et c’est à force de patience, de fins réglages du capitaine et d’un petit vent adonnant que nous nous sommes enfin libérés de cette emprise infernale, laissant sur notre traceur une route zébrée dont nous ne sommes que peu fiers, avec un record de faible distance de rapprochement parcourue en 24 heures, de 21 tout petits milles ! De quoi faire retomber le moral de tout l’équipage !

 

Changement de programme !

Entre temps, nous avons cassé le cardan de notre cuisinière (à savoir le système qui permet à la cuisinière de toujours rester à l’horizontale, même lorsque le bateau gîte, élément indispensable sur un monocoque).  A la suite de quoi plus aucune tergiversation n’était possible sur notre prochaine escale : nous nous arrêterions aux Galápagos, sur l’île d’Isabella. Et ce fut presqu’avec un soulagement que nous avons accueilli cette fatalité, car si nous avions décidé auparavant de ne pas aborder ces îles, c’était uniquement pour préserver notre caisse de bord. En effet les taxes sont excessivement chères pour les voiliers de passage. Nous offririons donc une réparation de luxe à notre cuisinière. Rassurez-vous, nous avons tout de même pu cuisiner car au près le petit temps qui nous a accompagné a permis au bateau de se caler à la gite, et nous avons tout simplement posé la cuisinière selon le bon angle. Bien sûr il en aurait été tout autre avec le roulis généré par les vents portants qui vont nous accompagner après les Galápagos.
Ainsi Apolline n’a même pas eu le temps de se rendre compte qu’un instant nous avons songé finir la traversée sans banana-pancakes, dont elle se régalait presqu’à tous les repas. Au total près d’une trentaine de pancakes ont eu raison d’un régime de banane qui a murit d’un seul coup (merci Java pour la recette !).


Apolline pétrie la pâte à pain et doudou-vache regarde.

 

Une traversée ponctuée de diverses rencontres

 
Curieusement, même si cette traversée fut techniquement difficile, elle n’en fut pas moins l’une des plus agréables, enrichie de plusieurs belles ou curieuses rencontres : au large de Malpelo, nous avons eu la chance de voir la fantastique procession de centaines de fous et dauphins, lancés à la poursuite d’un banc de thons, jaillissant hors de l’eau pour échapper en vain à leurs prédateurs. Nous avons fait la rencontre fortuite d’un couple de gros globicéphales noirs, et pu apercevoir le saut d’une raie Manta. Enfin, nous avons eu la visite à quatre reprises de pêcheurs équatoriens qui veillent de jour comme de nuit sur leurs lignes de pêche. Ces lignes sont tendues entre deux flotteurs marquées par des fanions noirs, les lignes courent directement à la surface et si elles sont difficiles à repérer de jour, la nuit, le petit flash light ne sert pas à grand-chose. Les premiers pêcheurs nous ont presque surpris, et nous ont renvoyés avec autorité (nous passions du mauvais côté de leur balisage). Nous nous sommes exécutés, déçus par cette première prise de contact, nous qui n’avions pas vu le moindre bonnet de marin depuis des jours. Heureusement les suivants seront un peu plus causants, certains nous demanderont de la nourriture, d’autres nous en proposeront (un gros poulpe bien dégoulinant tendu à bout de bras… « Non merci sans façon ! »), enfin les derniers nous délivreront presqu’en s’excusant d’un de leurs pièges, car il faut l’avouer ils ont fait de ces eaux un vrai champ de mine et malgré une veille renforcée il est difficile de passer à travers. Nous découvrirons plus tard que ces pêcheurs qui naviguent par bordée de deux ou trois sur des lanchas de 7.50 m, propulsées par un moteur hors bord de 75 CV, à plus de 400 milles des côtes équatoriennes, ont en fait un vaisseau mère qui les escorte et les ravitaille.

 


Les pêcheurs équatoriens à bord d’une lancha

 
Il y eut aussi cette rencontre improbable, au petit matin, avec un catamaran français, Kalolo, un Looping 55, en route pour la Nouvelle Calédonie, avec qui nous avons bavardé deux heures durant, pendant que crépitaient les appareils photos !

 
Dernière rencontre et pas des moindres, comme le veut la coutume lorsqu’un navire passe la ligne de l’Equateur, nous avons reçu la visite de Neptune qui, après un court discours de bienvenue (l’attention de nos petits matelots étant limitée), a remis à chacune des deux sirènes, un totem qui les accompagnera tout au long de leur voyage dans le Pacifique. L’étendue du répertoire de peluches du bord a permis de judicieuses attributions : Camille a reçu un hippocampe représentant ces désirs d’évasion et d’aventure, tandis qu’Apolline recevait un poisson-ange, symbolisant la bienveillance qu’elle a toujours à l’égard des autres.

 


Visite impromptue mais très attendue de Neptune à bord de Coccinelle peu après le passage de l’Equateur.

 

Une arrivée de nuit

 

 

Confection du pavillon équatorien

 

Au matin du 13 mai, nous apercevons les côtes de San Cristobal. Au cours de la journée nous longeons San Salvador et Santa Cruz, et ce n’est qu’à la nuit tombée que nous découvrons les côtes d’Isabella. Cette fois (mais ce sera la seule, promis !), nous transgresserons l’un de nos préceptes majeur, qui interdit de rentrer de nuit dans un mouillage inconnu. Un caprice que l’on a pu s’offrir grâce au capitaine qui a eu la riche idée de relever la trace AIS d’un cargo entré quelques heures auparavant sur l’écran de notre ordinateur de bord.  L’approche en est assez délicate, nous savons que la carte est fausse : cinq ans plus tôt, ici à Isabella, un catamaran s’est mis au sec en tentant de gagner ce mouillage bordé de récifs de toute part. Nous avons donc corroboré la route du cargo avec les traditionnels feux d’alignements. Je suis à la barre et Gilles est sur le pont à guetter les balises ; soudain j’entends un souffle et aperçois au clair de lune une paire de moustache sur tribord, je m’émerveille et quitte la barre un instant. Le Capitaine me reprend aussitôt car la manœuvre est délicate et loin d’être terminée. C’est donc à petite vitesse que nous ferons le dernier mille avant de venir poser notre pioche juste au cul du cargo, derrière lequel on devine déjà les brisants. Il est 3h du matin, les filles dorment toutes les deux dans le carré. Nous allons nous coucher en leur laissant un paquet de gâteau sur la table et un petit mot : « Ne pas réveiller papa et maman ». Je réalise alors la commodité de ce nouveau mode de communication avec les enfants, grâce au progrès de Camille avec le CNED… Malheureusement elle le lira haut et fort à sa sœur dès leur réveil !

 

 
Première corvée de l’escale : laver doudou-vache, qui sentait tellement mauvais qu’il a passé les deux derniers jours de la traversée consigné dehors suspendu aux filières.


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