Par : Armelle.
Nous quittons les Perlas, le 3 mai, un vendredi matin (après
un faux départ la veille, voilà qui devrait rassurer les marins superstitieux),
les cales pleines de vivres, les filets chargés de fruits et légumes, la carène
toute propre, cap sur les iles de la Polynésie. Nos pensées se remplissent de
noms exotiques comme Pitcairn, les Gambier, les Tuamotu, les Marquises. Il y a
moins d’un an, nous en rêvions encore sur les quais de La Rochelle, aujourd’hui
ces îles semblent si proches. Et c’est avec délectation que nous entrons leurs
coordonnées dans le GPS, cérémoniellement comme un privilège auquel nous venons
d’accéder, car désormais nous partageons quelque chose avec elles : un même
océan.
Au louvoyage sur mer plate
Mais pour nous, avant d’y arriver, une étude de la carte des
courants nous contraint dans un premier temps à faire route vers la côte ouest
du golfe de Panama, avant de descendre plein sud jusqu’à laisser sur tribord
Malpelo, un petit ilot perdu au milieu du Pacifique. Ensuite, il suffirait de s’engouffrer
dans une veine de courant portant, pour jouir de son accélération jusqu’aux mythiques
Galápagos. Ca parait simple non ? Evidemment ça ne s’est pas passé comme
ca.
Si on s’en est pas mal sortis sur la première étape, au
passage de Malpelo ce fut une autre histoire ; le tapis roulant était
bien au rendez vous, mais en sens
inverse, et un vent de sud sud-ouest s’est peu à peu établit. Nous avons croisé
Malpelo en long, en large et en travers, au sens propre du terme, et ce, pendant
plus d’une journée, en tirant des bords plus que carrés. Et c’est à force de
patience, de fins réglages du capitaine et d’un petit vent adonnant que nous
nous sommes enfin libérés de cette emprise infernale, laissant sur notre
traceur une route zébrée dont nous ne sommes que peu fiers, avec un record de
faible distance de rapprochement parcourue en 24 heures, de 21 tout petits milles !
De quoi faire retomber le moral de tout l’équipage !
Changement de
programme !
Entre temps, nous avons cassé le cardan de notre cuisinière (à
savoir le système qui permet à la cuisinière de toujours rester à l’horizontale,
même lorsque le bateau gîte, élément indispensable sur un monocoque). A
la suite de quoi plus aucune tergiversation n’était possible sur notre
prochaine escale : nous nous arrêterions aux Galápagos, sur l’île d’Isabella.
Et ce fut presqu’avec un soulagement que nous avons accueilli cette fatalité,
car si nous avions décidé auparavant de ne pas aborder ces îles, c’était
uniquement pour préserver notre caisse de bord. En effet les taxes sont
excessivement chères pour les voiliers de passage. Nous offririons donc une
réparation de luxe à notre cuisinière. Rassurez-vous, nous avons tout de
même pu cuisiner car au près le petit temps qui nous a accompagné a permis au
bateau de se caler à la gite, et nous avons tout simplement posé la cuisinière
selon le bon angle. Bien sûr il en aurait été tout autre avec le roulis généré
par les vents portants qui vont nous accompagner après les Galápagos.
Ainsi Apolline n’a même pas eu le temps de se rendre compte
qu’un instant nous avons songé finir la traversée sans banana-pancakes, dont
elle se régalait presqu’à tous les repas. Au total près d’une trentaine de pancakes
ont eu raison d’un régime de banane qui a murit d’un seul coup (merci Java pour
la recette !).
Apolline pétrie la pâte à pain et doudou-vache regarde.
Une traversée
ponctuée de diverses rencontres
Curieusement, même si cette traversée fut techniquement
difficile, elle n’en fut pas moins l’une des plus agréables, enrichie de
plusieurs belles ou curieuses rencontres : au large de Malpelo, nous avons
eu la chance de voir la fantastique procession de centaines de fous et dauphins,
lancés à la poursuite d’un banc de thons, jaillissant hors de l’eau pour échapper
en vain à leurs prédateurs. Nous avons fait la rencontre fortuite d’un couple
de gros globicéphales noirs, et pu apercevoir le saut d’une raie Manta. Enfin,
nous avons eu la visite à quatre reprises de pêcheurs équatoriens qui veillent
de jour comme de nuit sur leurs lignes de pêche. Ces lignes sont tendues entre
deux flotteurs marquées par des fanions noirs, les lignes courent directement à
la surface et si elles sont difficiles à repérer de jour, la nuit, le petit
flash light ne sert pas à grand-chose. Les premiers pêcheurs nous ont presque
surpris, et nous ont renvoyés avec autorité (nous passions du mauvais côté de
leur balisage). Nous nous sommes exécutés, déçus par cette première prise de
contact, nous qui n’avions pas vu le moindre bonnet de marin depuis des jours.
Heureusement les suivants seront un peu plus causants, certains nous
demanderont de la nourriture, d’autres nous en proposeront (un gros poulpe bien
dégoulinant tendu à bout de bras… « Non
merci sans façon ! »), enfin les derniers nous délivreront
presqu’en s’excusant d’un de leurs pièges, car il faut l’avouer ils ont fait de
ces eaux un vrai champ de mine et malgré une veille renforcée il est difficile
de passer à travers. Nous découvrirons plus tard que ces pêcheurs qui naviguent
par bordée de deux ou trois sur des lanchas de 7.50 m , propulsées par un
moteur hors bord de 75 CV, à plus de 400 milles des côtes équatoriennes, ont en
fait un vaisseau mère qui les escorte et les ravitaille.
Les pêcheurs équatoriens à bord d’une lancha
Il y eut aussi cette rencontre improbable, au petit matin,
avec un catamaran français, Kalolo, un Looping 55, en route pour la Nouvelle
Calédonie, avec qui nous avons bavardé deux heures durant, pendant que
crépitaient les appareils photos !
Dernière rencontre et pas des moindres, comme le veut la
coutume lorsqu’un navire passe la ligne de l’Equateur, nous avons reçu la
visite de Neptune qui, après un court discours de bienvenue (l’attention de nos
petits matelots étant limitée), a remis à chacune des deux sirènes, un totem
qui les accompagnera tout au long de leur voyage dans le Pacifique. L’étendue
du répertoire de peluches du bord a permis de judicieuses attributions :
Camille a reçu un hippocampe représentant ces désirs d’évasion et d’aventure,
tandis qu’Apolline recevait un poisson-ange, symbolisant la bienveillance
qu’elle a toujours à l’égard des autres.
Visite impromptue mais très attendue de Neptune à bord de
Coccinelle peu après le passage de l’Equateur.
Une arrivée de nuit
Confection du pavillon équatorien
Au matin du 13 mai, nous apercevons les côtes de San
Cristobal. Au cours de la journée nous longeons San Salvador et Santa Cruz, et
ce n’est qu’à la nuit tombée que nous découvrons les côtes d’Isabella. Cette
fois (mais ce sera la seule, promis !), nous transgresserons l’un de nos
préceptes majeur, qui interdit de rentrer de nuit dans un mouillage inconnu. Un
caprice que l’on a pu s’offrir grâce au capitaine qui a eu la riche idée de
relever la trace AIS d’un cargo entré quelques heures auparavant sur l’écran de
notre ordinateur de bord. L’approche en est
assez délicate, nous savons que la carte est fausse : cinq ans plus tôt,
ici à Isabella, un catamaran s’est mis au sec en tentant de gagner ce mouillage
bordé de récifs de toute part. Nous avons donc corroboré la route du cargo avec
les traditionnels feux d’alignements. Je suis à la barre et Gilles est sur le
pont à guetter les balises ; soudain j’entends un souffle et aperçois au
clair de lune une paire de moustache sur tribord, je m’émerveille et quitte la
barre un instant. Le Capitaine me reprend aussitôt car la manœuvre est délicate
et loin d’être terminée. C’est donc à petite vitesse que nous ferons le dernier
mille avant de venir poser notre pioche juste au cul du cargo, derrière lequel
on devine déjà les brisants. Il est 3h du matin, les filles dorment toutes les
deux dans le carré. Nous allons nous coucher en leur laissant un paquet de
gâteau sur la table et un petit mot : « Ne pas réveiller papa et maman ». Je réalise alors la
commodité de ce nouveau mode de communication avec les enfants, grâce au
progrès de Camille avec le CNED… Malheureusement elle le lira haut et fort à sa
sœur dès leur réveil !
Première corvée de l’escale : laver doudou-vache, qui
sentait tellement mauvais qu’il a passé les deux derniers jours de la traversée
consigné dehors suspendu aux filières.
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