samedi 19 juillet 2014

Traversée Hawaii Alaska

Par Armelle


Encore un autre départ, d’autres séparations et un autre océan, le pacifique nord qui comme les autres en guise de bienvenu ne ménagera pas nos oreilles internes. Allez hop direction le fond de ma couchette pendant près de 2 jours, je ne lutte même pas cette fois. Heureusement le Capitaine encaisse stoïquement le rodéo et assure toutes les fonctions du bord en attendant que je refasse surface. Puis à nouveau le rythme configuration ‘off-shore’ du bord s’installe. Celui que l’on vous a décrit mainte fois, alors je ne me répèterai pas.
Du nouveau, du nouveau voyons voir ! Ah oui ! :

Quand un petit oiseau tout noir rencontre une coccinelle

Une fin de nuit un petit oiseau vint trouver refuge sur le dos de notre coccinelle. Une chance inespérée pour lui car les radeaux de fortune se font rares par ici. Noirot, c’est le prénom qu’il reçut aussitôt, proposée par Camille (il est tout noir des pattes au bec !), n’est apparemment pas venu pour faire causette, ni pour faire ripaille mais plutôt pour profiter d’une monture à bon marché le temps de reprendre des forces. Nos tentatives pour le remplumer resteront vaines. Et l’air un peu boudeur mais surtout terrorisé, il restera prostré dans le fond du cockpit, nous tournant le dos, le nez dans le dalot toute la journée. Malgré son humeur taciturne les filles vont vite adopter ce nouveau compagnon. Pour moi étant toujours à l’affût de leçons de choses pour mes deux petits écoliers du bord, je profite de leur curiosité pour aborder certaines notions du programme scolaire, ‘en tenant à peu près ce discours’ :
__« Oh oh ! Regardez son bec comme il est crochu, ça veut dire qu’il est plutôt chasseur-pêcheur ou cueilleur ? …mmh ? A votre avis est-ce que c’est pratique de picorer des graines avec ce bec ?... Ben non ! Oui c’est ça, il chasse …ou il pêche. Ca veut dire qu’il est ? … Qu’il est ? … CARNIVORE ! Et oh ! regardez il a les pattes palmées, c’est donc un …. ? un …. ? allez les filles… un NAGEUR ! » Surtout prendre un air enjoué et non d’institutrice sinon l’attention décroche et c’est foutu. Et comme je n’ai toujours pas compris la nuance les filles découvriront vite le subterfuge et je n’aurai pas le temps de finir ma leçon sur les oiseaux migrateurs car je serai vite interrompue sur un ton soupçonneux et accusateur :
_  « Maman c’est d’l’école ! »
_ « Non non j’vous assure ! », fais-je aussitôt la mine peut-être un peu trop innocente car je n’ai pas le temps de développer ma défense, mon assistance a déjà disparue.
Le 1er soir venu Noirot tentera une échappée, soldée par une lamentable rétamée contre le radeau de survie, situé dans le fond du cockpit donc c’est peu dire. Retour à la case départ avec résignation. Le second soir, la 2ème tentative de décollage se transformera plutôt en un plouf, devant les filles médusées mais très inquiètes de son sort devinant dans le clair obscur une petite masse sombre à la dérive qui s’agite au dessus de l’eau, prend son envol, se repose, redécolle maladroitement pour finir par se perdre dans la nuit. Les filles se coucheront avec mille et unes pensées vers Noirot. Va-t-il parvenir à terminer son voyage, à pêcher sans se noyer et surtout avant de se faire dévorer par un requin. Sur ce coup je m’en tirerai à bon compte et c’est l’institutrice qui bordera ses matelots en répondant :
« Mais non les filles, n’oubliez pas : c’est un migrateur, un pêcheur et un nageur ». Et hop remédiation ! (terme usité par le CNED qui consiste à revenir sur une leçon apprise en rappelant les grandes lignes, c’est comme ça qu’ça rentre !).

Considérations philosophiques d’un petit matelot découvrant la vie (et celle des autres) :
Cette visite imprévue sera également l’occasion Camille et moi d’avoir une petite conversation philosophique, complètement hors programme comme je les aime et qui a commencé à peu près comme ça :
_ « Maman pourquoi on fait toutes ces choses ? »
_ « Heu, qui on ? et quelles choses ? »
_ «  Ben les humains, pourquoi on a construit des maisons et toutes ces choses ? »
Ok ca y’est je commence à comprendre le sujet.
_ «  Tu veux dire pourquoi nous les humains ? »
_ « Oui, pourquoi pas les oiseaux ? »

Pour rebondir ainsi après moultes développements :
_ « Donc peut-être qu’un jour on pourra parler avec les oiseaux et ils se construiront aussi des maisons ? »

Tout en passant par là :
« Les castors sont sur le bon chemin alors ? »

Et qui nous a menés sur ce constat :
_ « Les dinosaures auraient sans doute mieux fait de miser sur l’intelligence, ils auraient pu aller habiter sur la lune le temps que la terre redevienne habitable. »

Pelotte et repelotte (de fil à coudre)

Il faut croire que notre petit oiseaux avait deviné le remue-ménage qui s’annonçait dans notre cockpit ce qui expliquerait son départ prématuré car le lendemain matin nous découvrons une déchirure sur le génois au niveau de la chute à hauteur des premières barres de flèche. Le Capitaine catastrophé par la nouvelle, voit là les conséquences d’un génois fatigué, prêt à rendre l’âme et donc à remplacer dès notre arrivée. Super nouvelle ! Encore un sacré budget qui va venir grêver la caisse de bord et que mon optimisme refuse d’envisager pour l’instant. Nous verrons ça plus tard, n’y pensons pas. Pour l’heure il faut s’atteler à la tâche. Après un petit sommeil rehausseur de moral, Gilles rassemble ses troupes, c'est-à-dire moi, et dirige les opérations : affalage de génois, transport dans le carré, couture et renvoi. Et hop l’affaire est réglée en deux heures de temps. Dans la joie et la bonne humeur… ou presque. Sauf que … le lendemain rebelotte ! Le génois se déchire à nouveau à la limite du patch que nous avons cousu. Conclusion, il faut refaire autrement, nous n’avons pas pensé à la trame du tissu qu’il faut éviter de suivre avec nos lignes de couture. Cette fois nous referons un patch plus large avec des coutures en diagonales par rapport à la trame du tissu du génois de manière à ne pas le fragiliser, puis un autre de l’autre côté, plus quelques révisons de coutures générales. Presque quatre heures de travail. Cette fois, pourvu qu’ça dure !

Une lente progression vers l’Alaska
Heureusement le temps est clément et nous a largement facilité l’entreprise. Depuis quelques jours nous évoluons sur une mer calme en négociant avec un petit vent parfois capricieux car évidemment dans le mauvais sens et très fluctuant. L’apathie général des premiers jours de mer avec ses alizés est loin derrière nous, vite oubliée. Les activités habituelles de chacun en mer ne changent pas pour autant : pour les petits : Lego-dessins animés-Lego et pour les grands : lecture-lecture-lecture. Avec cependant quelques nouveautés que le Capitaine a bien voulu concéder à bord. Pour moi un petit défi à relever avant notre arrivée : devenir maitre dans l’art du Rubikub, un passe-temps peu productif je vous l’accorde et très chronophage, mais ça tombe bien j’en ai à revendre et faute de pouvoir remuer mes guibolles je remue mes méninges. Pour les filles : une récente découverte : le claycraft, genre de pâte à modeler révolutionnaire que nos nouveaux amis d’Hawaii nous ont offert et qui a la particularité de sécher et donc de figer toute création. L’objectif de la traversée sera de fabriquer toute la famille Barbapapa ! Vous connaissez ? Cette famille multicolore et ingénieuse qui aime l’aventure et le voyage, zéro défaut, que des talents. Non, non, je ne fais pas un transfert !

Parmi nos lectures nous avons découvert le récit du récent tour du monde d’Olivier Mesnier : ‘Voyage autour du monde ...’. L’histoire d’une petite famille rochelaise partie en 2009, qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus en quête de nature sauvage et d’authenticité. Un récit en 2 tomes truffé d’anecdotes historiques. J’ai bien aimé l’un des motifs du voyage évoqué : celui de se faire de bons souvenirs pour les vieux jours dans notre ‘maison de campagne, en bonne compagnie, entouré de fleurs et de petits oiseaux’. Un livre que nous recommandons dans toutes les bibliothèques de bord. Quoiqu’un peu lourd et encombrant. A quand la version numérique ! (www.voyageautourdumonde-lelivre.com)

Cap au Nord, les degrés de latitude augmentent et celle des températures descendent.



Depuis notre départ nous faisons route plein nord, la route directe étant 23°. La tactique consiste à contourner l’anticyclone, situé au nord-est d’Hawaii, avant de faire route plus à l’est vers Sitka. Nous perdons près d’un degré de température chaque jour. Avant de partir nous avions prévu ce refroidissement et avions rangé toutes les affaires d’été et ressorti celles d’hiver. Les filles qui adorent la nouveauté se sont aussitôt jetées sur leurs gros pyjamas et leurs collants bien avant l’heure, arborant fièrement leurs nouvelles parures encore dégoulinantes de sueur. Dès la deuxième semaine de mer les couettes et les polaires refont surface et les filles, toujours avec un cran d’avance en réclament davantage et sortent bonnets, gants et écharpes, trouvant là matière à de nouveaux accessoires pour mieux endosser les rôles de leurs scénarios imaginaires évoluant cette fois dans des palais de glace perdus au milieu de montagnes enneigées. Elles prouvent encore une fois leur incroyable capacité d’adaptation, nous bluffant et nous laissant largement envieux, nous qui ne pouvons nous empêcher de pousser quelques grognements à chaque nouvelle couche ou paire de chaussettes ajoutées. Mais les plus à plaindre sont sans nul doute sont nos chers petits parasites en tout genre, cafards et charançons. C’est la débandade totale, le sauve qui peut ! Une remontée en surface moribonde pour tenter de trouver des températures plus clémentes, en vain. Et là pour une fois nous ne serons pas outrés de voir nos passagers clandestins rompre notre tacite accord, certes un peu facho, qui se résume par « Chacun chez soi ! », leur territoire étant cantonné en fond de coque.

Vers le 45ème nord, les levés de soleil s’accompagnent de températures intérieures avoisinant les 15°C, une bonne heure de Reflexe (chauffage autonome), pas trop car le gas-oil commence à se raréfier, et nous pouvons prendre notre petit déjeuner par 20°C qui se maintiendront toute la journée.

Une traversée difficile et pleine de rebondissements
Le temps se couvre et le brouillard s’installe. Nous sommes contents de notre nouvelle installation électronique : un émetteur AIS. Jusqu’ici nous n’avions qu’un récepteur AIS, prenant le partie qu’il valait mieux voir les autres qu’être vus et manœuvrer en conséquence. Principe sur lequel nous sommes revenus pour finalement adopter complètement l’inverse : lorsqu’on est petit, il faut avant tout être vu. Cela représente un investissement conséquent mais indispensable à notre avis lorsqu’on s’aventure dans des zones bien plus fréquentées et ou la visibilité est réduite par le brouillard. Les récits d’autres voiliers équipés de ce type de matériel nous racontant voir les cargos se détourner et passer à quelques milles de l’étrave ou du tableau sans avoir besoin de les appeler par VHF nous avaient vite convaincus. C’est un confort certains pour la veille et qui apporte bien plus de sérénité et donc moins de fatigue. Le temps de la corne de brume en plein brouillard est définitivement révolu !
Autre nouveauté à bord, deux bidons de gas-oil supplémentaires, ce qui nous fait un total de 170 litres. Heureusement vous verrez que ces quelques litres supplémentaires nous sauverons d’une situation qui aurait pu devenir très inconfortable.
Les vents de sud-ouest, prédis par les pilote chart, sensés nous porter jusqu’à Sitka à partir du 40ème Nord, se font capricieux, la faute à l’anticyclone du Pacifique Nord exceptionnellement timide cette année. Ben voyons ! On commence à avoir l’habitude des régimes exceptionnels. Et, paradoxalement, les jours précédents mais pour la même raison, ce régime perturbé, laissa passer quelques méchantes dépressions qui a nous fait douter pendant quelques heures de l’issu favorable de notre destination. L’une d’entre elle, heureusement peu virulente, nous a contraint à passer quelques heures à la cape, sous les vents et la pluie glaciale (appréciation de valeur sommes toute relative car n’oublions pas que nous venons de passer plus d’un an sous les tropiques). Nous observons les dépressions suivantes sur les cartes météo, celles qui se forment près du Japon et nous narguent déjà, semblant nous menacer de venir nous siffler dans les haubans si nous tentons de monter plus haut. On se sent pris au piège. Nous bouillonnons intérieurement, le moral au fond des bottes en nous disant : « MAIS QU’EST-CE QU’ON EST VENUS FOUTRE ICI ! ». Pendant un temps nous entrevoyons même un été résigné à San Francisco et regrettons nos plans extravagants, en quête de Grand Nord et de toujours plus d’originalité, nostalgiques des vents chauds et portants de nos chers alizés. Finalement, alors que nous faisions route plein Est depuis plus de 24h, la météo change soudain et nous offre une belle fenêtre à saisir pour monter. C’est parti, la Coccinelle reprend son Cap vers le Nord et le moral de l’équipage remonte en flèche.



Les démarrages successifs du moteur pour combler le manque de vent finiront un matin par achever la batterie de démarrage. Gilles me jette un regard noir, ruminant qu’il avait suggéré de la remplacer avant de partir. Proposition que j’avais rejetée prétextant qu’il serait temps de le faire lorsqu’elle montrera des signes de faiblesse. Grave erreur ! Nous solutionnerons le problème en lui attribuant une batterie de servitude. Pendant quelques heures nous avons pensé nous contenter de son démarrage manuel. Nous avons un moteur Yanmar 3GDM. Malheureusement la manœuvre est tellement laborieuse qu’on ne peut pas l’adopter en cas d’urgence. Mais nous savons maintenant qu’il est possible de le démarrer à la manivelle. Dommage ! L’idée d’un moteur qui se démarre uniquement à la force des bras nous avait grandement séduite pendant un temps. Pourquoi ce système a-t-il disparu des moteurs plus récent au lieu de se généraliser et s’améliorer ? 
Nous continuons en alternant moteur et voile dès que la brise se relève. Nous faisons des prédictions sur le reste de nos ressources en gas-oil suivant les calmes annoncés jusqu’à notre arrivée. Il est toujours difficile d’évaluer le meilleur compromis qui de toutes les façons est éprouvant pour les nerfs : entre voir la jauge de gas-oil diminuer sensiblement ou les voiles battrent à se déchirer… Nos efforts pour économiser un maximum de gas-oil s’avéreront finalement beaucoup plus utile car à quelques jours de notre arrivée nous imaginions finir les derniers milles au moteur pour cause de manque de vent. Cela se passera bien comme ça mais pour une tout autre raison…

Une fin de traversée avec pertes et fracas

Car à seulement 50 milles des côtes la dépression que nous étions sensés devancer nous rattrape. En fin de journée du jeudi 10 juillet le vent de sud-est cette fois revient puis monte progressivement. En milieu de nuit je réveille Gilles peu avant la fin de mon quart. Nous sommes déjà sous grand-voile seule à 3 ris et j’ai dû abattre car le bateau partait souvent au lof. Gilles prend le 4ème ris et décide de mettre à poste le tourmentin, juste pour essai car il n’y a alors que 30 à 35 nœuds. Les conditions sont encore tout à fait maniables pour faire route directe au travers vers Sitka.  Je vais me coucher. Pendant mon sommeil je sens le bateau qui glisse bien dans la mer. Au petit matin vers 8h je me réveille, prête à me lever j’entends alors un énorme fracas. Gilles se trouvait dans le carré avec les filles encore ensommeillées en train d’avaler un petit déjeuner. Le temps que j’enfile un pantalon j’entends Gilles crier : « Armelle on a perdu le mât ! ».
Gilles qui était déjà habillé se rend aussitôt sur le pont et constate que le mât est rompu au niveau des barres de flèche ainsi qu’à la base. Nous réfléchissons au moyen de récupérer ce qui pourrait l’être. Nous autorisons les filles à regarder des dessins animés dans leur cabine afin d’être entièrement disponible, puis commençons à libérer le gréement dormant. Rapidement le bateau fait un demi-tour complet, le gréement dans l’eau faisant office d’ancre flottant. Le tout se retrouve face au vent. On ne peut pas démarrer le moteur sans avoir libérer le tout car il y a un risque qu’un bout se prenne dans l’hélice. Dès lors il faut faire vite avant que les espars dans l’eau viennent endommager la coque. Alors nous décidons de tout larguer au plus vite. Pendant que Gilles sectionne les haubans au moyen d’une lapidaire je coupe les bouts de drosse et tente de libérer la bôme et les bastaques. Gilles termine de libérer étais, haubans et pataras à la main car le convertisseur alimentant la lamineuse tombe rapidement en panne. Et voilà en quelques minutes le tout disparait au fond de l’océan : Mât, bôme, grand-voile, génois sur enrouleur, trinquette et tourmentin. Pas le temps de réaliser. Nous vérifions que tout est clair au niveau du safran et de l’hélice. Nous pouvons maintenant démarrer le moteur. Dans notre malheur nous réalisons la chance que nous avons de n’être qu’à moins de 30 milles de Sitka et seulement 15 milles avant d’être en eaux protégées. Nous avons suffisamment de gas-oil pour regagner un abri sûr. Ouf ! Si le moteur tiens bon nous serons sauvés par nos propres moyens.
Vers 16  heures (heure Hawaiienne soit 18h, heure locale) nous entrons dans le port de Sitka. Nous nous amarrons à couple d’un motor-yacht. Patrick et Myriam, les propriétaires,  réceptionnent nos amarres. Et là un immense soulagement nous gagne, heureux d’être tous les quatre sains et sauf à bon port car pour la première fois de notre voyage nous avions sortis nos combinaisons de survie (juste au cas où). Le Capitaine peut enfin relâcher la tension et moi lui témoigner à quel point je lui suis reconnaissante d’avoir assuré jusqu’au bout sans jamais perdre le contrôle de la situation et toujours rester calme pour ne pas effrayer nos filles qui n’ont à aucun moment été effrayées. Elles ont découvert qu’il manquait quelque-chose sur le pont de notre Coccinelle qu’une fois au port le lendemain… Camille s’éclamera : « Mais le mât vous l’avez jeté au fond de l’océan ? Pourquoi ? Papa aurait pu le réparer. »
Patrick et Myriam sont américains, ont voyagés au long cours sur un voilier de marque Jeanneau pendant plusieurs années avant d’acheter un motor-yacht, plus adapté à la navigation en Alaska. Ils comprennent ce que nous ressentons. Rien ne sera plus précieux que ce petit verre de vin qu’ils nous offrirons dans leur cosy carré accompagnés de quelques mots de réconfort. Nous nous accordons sur le même constat : « Bad day ! ».

 A quelques milles seulement des côtes de l'Alaska, juste après notre démâtage


A partir de ce jour notre voyage prend une tout autre tournure. L’objectif étant maintenant de retrouver des ailes pour notre Coccinelle au détriment de ce que nous sommes venus chercher ici : les glaciers, les baleines et les ours. La saison est courte. Nous ne pouvons pas réparer ici. Il n’y a aucune structure capable d’assurer un refit de voilier. Cela prendrait trop de temps et nous serions immanquablement rattraper par la saison qui se termine dès le début du mois de septembre.
Il y aura bien des jours ‘off’, pendant lesquels on se dira : ‘Tout ça pour ça’ avec un brin de doute et de culpabilité, mais ne vous inquiétez pas nous chasserons vite nos démons et repartirons bientôt pour l’aventure. On a perdu nos ailes. On les retrouvera et on continuera notre voyage qui ne se terminera qu’une fois franchi les tours de La Rochelle

Alors à suivre !...

Coccinelle au mouillage devant le port de Sitka en Alaska... 
Il manque quelque-chose n'est-ce pas ?

Hawaii

Par Armelle



L’escale aux îles Hawaii fut une étape essentiellement technique où nous avons pu abandonner notre Coccinelle en toute quiétude pendant notre séjour en France et où nous avons pu faire une remise à niveau de l’entretien du bateau profitant des infrastructures et nombreuses boutiques disponibles à Honolulu et si rares en Polynésie Française.

Big Island et ses cracheurs de feu


Il aurait été cependant très regrettable de ne pas faire escale à Big Island, la seule île au monde où l’on pouvait encore il y a quelques mois (dommage pour nous) admirer des coulées de lave se déversant dans l’océan. Néanmoins même si ce spectacle a fermé son rideau, il a laissé derrière lui un site époustouflant composé de cratères encore actifs, fumant et crachotant au milieu d’un paysage de ‘terre’ volcanique à la fois lunaire et maritime. Un site idéal pour reprendre contact avec la Terre avant de regagner l’agitation folle des buildings et centres commerciaux d’Honolulu.
Gilles s’est même offert un petit tour dans les airs.

Le Capitaine, prêt à embarquer dans les airs

 L'île de Hawaii s'est étendue de plusieurs centaines de mètre grâce aux coulées de lave successives








Honolulu, la zen attitude d’une grande ville pourtant bien agitée










Nous devons malheureusement rapidement quitter Hilo pour rejoindre Honolulu où nous trouverons un endroit sûr pour laisser le bateau. A notre arrivée dans le port de plaisance nous passons devant le Hawaiian Yacht Club. Un homme à l’allure genre vieux loup de mer avec pleins d’histoires à raconter nous fait signe que nous pouvons accoster. C’est tentant, ce n’est pas ce que nous avions prévu. Nous nous méfions des prix en général exorbitants des Yacht Club (ceci dit en adéquation avec les services offerts). Notre vieux loup de mer est déjà en train de tendre les bras pour réceptionner notre amarre. Attitude purement commerciale ou bienveillante ? Allez c’est Pâques on se laisse tenter. La semaine a été peu reposante depuis notre arrivée dans l’archipel, entre les courses d’Hilo, visites et achats et la navigation jusqu’à Oeho, nous n’avons pas encore récupérés. Notre vieux loup de mer s’appelle Ruddy et nous souhaite la bienvenue avec un accent fort américain. Il a effectivement sans doute pleins d’histoires à raconter mais avec la fatigue on ne comprend qu’un dixième de ce qu’il nous raconte. Après quelques jours de repos nous finirons par doubler la performance, ce qui reste encore bien insuffisant pour fraterniser, malheureusement on en restera là. Entre autres nous comprenons que nous sommes le samedi de Pâques et non le vendredi saint comme on le pensait, ce qui nous sera confirmé le lendemain matin lorsque les filles seront gentiment invitées à participer à la chasse aux œufs avec les autres enfants du Yacht Club. Maintenant le doute n’est plus permis, nous avons perdu une journée ! Quand ? Comment ? La fatigue de la traversée et le temps qui s’étire en mer que nous n’avons pas encore reconnecté au rythme terrien.

La chasse aux œufs de Pâques

Honolulu est une grande ville, très active mais cependant calme et détendue. Sans doute grâce à son activité touristique basée sur le farniente, les parcs, les plages, les grands hôtels avec piscine et cocktails, agrémentés d’un spectacle de toute une faune de surfeurs torse-poils déambulant autant sur le sable que sur le bitume, avec cette attitude cool qui leur est propre. Une philosophie qui se résume ici par une seule expression : « Hang loose ! ». Mais ici on l’arbore naturellement sans excès car les surfeurs d’Hawaii sont aussi la plupart du temps sur leur planche… et debout sur la vague ! Si si ! Cela existe. Les surfeurs, ceux qui ont fait la légende, ceux qui vont se prendre quelques vagues à l’aube avant d’enfiler un costume pour aller travailler. Ils sont là ! A Waikiki Beach ! Et on ne se lasse de venir les admirer.





Un métissage de culture
Nous découvrirons également une ville métissée, où polynésiens, asiatiques et américains se côtoient donnant un cocktail savoureux de trois cultures pourtant foncièrement très différentes. Un cocktail que nous découvrons à travers Tim et Yukiko, un couple américano-japonais. Ils sont jeunes, entreprenants, pleins d’attention pour nous car pleins d’enthousiasme pour notre projet, affectionnent la gastronomie que notre culture française nous permet de partager pleinement. La rencontre est tardive, à quelques jours seulement de notre appareillage pour l’Alaska. Nous sommes accaparés par les préparatifs et malheureusement peu  disponible pour nous investir dans une nouvelle amitié. Nous nous quitterons pleins de promesse, celle de se revoir ici ou ailleurs et de naviguer ensemble.

A Honolulu nous intégrerons vite la devise : « Pas d’roues roues, pas d’chocolat ! ». Nous nous équiperons du moyen le plus économe en la matière : le vélo. Ainsi nous gagnerons un temps précieux à pédaler dans les artères de la ville en quête d’un boulon, d’un pot de peinture ou d’un pot de yaourt nature. Les distances ne sont plus un problème tant que nos mollets sont motivés et bien souvent le préposé aux achats reviendra chargé comme un baudet car les centres commerciaux ne livrent pas. Heureusement Tim viendra à la rescousse et nous prêtera quelques chevaux motorisés pour finaliser nos derniers besoins en avitaillement et en diesel avant notre départ.

Autant vous dire à Hawaii notre caisse de bord va vite prendre une bonne claque. Les tentations sont énormes après plus d’un an de désert total de vitrines alléchantes et d’assauts publicitaires et les prix assez exorbitants. Le mardi 17 juin nous larguons les amarres soulagés de quitter cette ville perce-poche mais au combien attachante. Encore une longue traversée nous attend, plus de trois semaines et pour la première fois nous allons quitter les alizés et les tropiques, direction l’Alaska !


Carénage de Coccinelle avant la traversée pour l'Alaska,même les petits matelots se mettront à la tâche





Retour en France

L’idée était séduisante mais la réussite pas complètement garantie. Revenir en France pour nous signifiait abandonner Coccinelle et le rythme de notre voyage, faire une parenthèse dans l’aventure. Renoncer au côté puriste de notre projet, celle de passer les tours de La Rochelle avec notre Coccinelle et de n’y revenir qu’une fois la boucle bouclée. Et bien-sûr retrouver famille et amis, le confort d’une maison, les bons produits français sans risquer d’être pris par la nostalgie de notre passé de terrien, de notre vie d’avant… Ouf ! Rien de tout cela ne fut remis en cause, nous avons chassés nos démons (pour reprendre l’expression d’un navigateur célèbre) et sommes revenus pleins d’heureux souvenirs dans la tête et les valises pleines à craquer !

Les p’tits bonheurs reçus ou retrouvés
Ainsi parmi tant d’autres nous n’oublierons pas :

La rencontre de Rose, la petite dernière née de la famille.
« Chère petite Rose, nous avons déjà loupé tes quatre premiers mois de vie et nous allons encore en louper pleins d’autres alors vite vite profitons-en, un petit câlin, un échange de sourire, ta petite main qui entoure mon grand doigt, ça y’est les présentations sont faites et mon cœur est conquis. »

L’accueil chaleureux de mon grand-père qui, nous attendant sur la terrasse de sa maison, nous a déclamé un célèbre poème de Joachim Du Bella, si appropriée au retour des voyageurs. Et qui commence ainsi :
 Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

 Merci à toi Dad de nous rappeler ainsi l’objectif d’un voyage à ne jamais perdre de vue !

Le poulet du dimanche, celui qui a courut dans le pré des Quatre Vents toute sa vie durant et qui se partage avec bonheur en famille, accompagné de délicieux légumes du jardin tout en dégustant le cidre de la dernière cuvée qui ne manquera pas de recueillir les appréciations de chacun.

La visite ‘presque’ surprise des cousins de Paris et de tous mes cousins de Lyon. Merci à vous et chapeau bas car vous êtes toujours là au rendez-vous.

Et tous les merveilleux festins que tous nos hôtes nous ont préparés, rivalisant de plaisirs culinaires et touchant nos cœurs par la gentillesse de toutes ces attentions à notre égard.
Un grand grand merci à tous !

Et puis un grand regret pour nous de n’avoir pas pu profiter de notre passage en Bretagne pour rendre visite à tous ceux que l’on aurait souhaités. Les travaux de la maison nous ont complètement accaparés. Cela ne devait pas se passer comme ça, croyez-nous. On se rattrapera la prochaine fois c’est promis !


En prime un petit tour dans l'une des plus belles villes du monde pendant notre voyage ... 
Devinez laquelle !

Traversée Marquises Hawaii

Par Armelle


Un départ houleux pour les âmes de l’équipage
Je crois que jamais un départ ne fut plus pénible que celui des Marquises. Nous avons été comme ensorcelés par le pouvoir d’attraction de ses îles et les amitiés que nous y avons scellées n’ont pas aidés à rompre le champ. Les derniers jours sont toujours difficiles entre l’avitaillement et la préparation du bateau pour une nouvelle longue navigation à partager avec l’envie de profiter des derniers instants avec ceux que l’on va quitter. La météo, compatissante cette fois, nous laissera quelques jours de plus et c’est bien la première fois que la nouvelle sera bien accueillie par tous à bord.
Comme à l’accoutumée, dès le découvert de l’île de Nuku Hiva, le bateau dance en rythme avec nos estomacs et viendra renforcer le vague à l’âme de l’équipage. Nos pensées resteront aux Marquises encore quelques jours avec Nomanie, Ui, Dig Doug et Theofania avant de se tourner vers Hawaii. Notre destination se détourne des routes classiques du Pacifique. Habituellement les voiliers poursuivent leur route vers les Tuamotus, les îles de la Société puis encore plus à l’ouest pour atteindre la Nouvelle-Zélande avant l’automne prochain. Pour nous c’est plein nord direction l’Alaska via Hawaii pour redescendre ensuite le long des côtes américaines. L’originalité de cette boucle rend pour le moins incertaines ou lointaines les possibles retrouvailles avec les voiliers que nous quittons. Ils prennent dès lors une saison d’avance sur nous dans le Pacifique. Nous avions déjà connus cela en quittant les Caraïbes et par là même tous ceux qui ne passaient pas Panama. C’est la règle du jeu, partir, faire de nouvelles rencontres, se séparer, refaire des rencontres, se perdre de vue pour à nouveau se retrouver. C’est le tourbillon de la vie comme le chante si bien Jeanne Moreau avec ses parts de joie et de tristesse que pour l’heure nous apprécions moyennement. La consolation c’est que chaque jour passé en mer c’est aussi un petit pas vers la France. Non, non ! Nous ne sommes pas en plein délire géographique ! Seulement il faut vous préciser un récent projet échafaudé pendant notre séjour aux Marquises : par un heureux tour de passe-passe de quatre paires de main généreuses les vols Paris-Hawaii de nos parents, qui prévoyaient de venir nous y rejoindre, se sont transformés en vols Hawaii-Paris aux noms des quatre membres de l’équipage. Bon d’accord avouons le, l’idée a peut-être germée outre Amérique. Ainsi la perspective de bientôt revoir nos familles et amis de toujours, ceux que l’on quitte sans craindre de perdre à jamais et que l’on retrouve avec bonheur et simplicité viendra vite remonter notre baromètre intérieur.

Une traversée mouvementée
Evidemment lorsque l’on recherche l’originalité il ne faut pas s’attendre à trouver des routes faciles. Faire route au nord implique de serrer un peu plus les alizés. Et si les alizés on les aime bien présents lorsqu’ils sont portants, de travers on les préfère largement plus timides sinon c’est écoutilles fermés, 2 ris voire 3 dans la grand-voile et génois bien enroulé, sans oublier la houle qui vient chatouiller nos flancs jouant impunément au bilboquet avec notre coccinelle. On connait la chanson. Chacun va peu à peu se recroqueviller dans son p’tit coin. Gilles à la table à carte ou allongé dans le carré, toujours au vent, calé par une toile anti-roulis, peu confortable mais c’est sa préférence pour mieux sentir les mouvements du bateau et réagir au plus vite si nécessaire. Moi, au contraire, trop sensible au mal de mer je reste sous le vent, dans le carré, même la nuit car la couchette de notre cabine est trop grande pour pouvoir s’y caler quand le roulis est trop fort. Les filles quant à elles trouvent toujours un petit coin idéal où s’installer selon leurs activités. Elles comblent les places vacantes, parsèment de leurs jouets les surfaces libres, d’humeur égal elles s’accommodent de toutes les conditions et lorsque leur papa quitte quelques temps le carré pour la table à carte elles profitent du créneau pour se précipiter derrière la toile anti-roulis, chacune à sa manière. Camille, façon cabris, commence sa manœuvre en prenant appui sur les marches de la descente, puis un pied sur le plan de la cuisine, le suivant sur la table du carré et le dernier en prenant appui sur l’épontille pour finir en vol plané au dessus de la couchette, ce qui a le don de nous faire rager car les acrobaties de ce genre sont interdites en mer, comme tout autre activités à risque pour les côtes. Apolline a développé une tout autre technique, plutôt façon pingouin, plus en adéquation avec sa situation car privée de l’usage de ces bras encombrés par les nombreux doudous qu’elle porte. Elle amorce un lent et mesuré plongeon la tête la première dans la couchette, le ventre en appui  sur la toile anti-roulis, le corps en équilibre juste quelques secondes le temps que le prochain coup de gîte vienne achever la roulade. Quelques contorsions plus tard une petite tête toute ébouriffée jette une paire d’yeux rieurs par-dessus la toile des fois qu’un doudous soit resté du mauvais bord pendant la manœuvre.

Heureusement l’ensemble de la navigation se fera tribord amure… ? Pour ceux qui ignore ce jargon de marin, tribord amure ça veut dire que le vent vient de tribord et fait gîter le bateau sur son flanc bâbord. Vous imaginez qu’inévitablement tout ce qui est à tribord dans le bateau a soudainement envie de rejoindre l’autre bord. Après quelques vols planés de bricoles en tout genre, pas toujours correctement réceptionnés pendant les premières traversées, on commence à être au point sur le sujet, solutionné par quelques élastiques et bouts d’ficelle un peu partout. Là vous vous demandez mais pourquoi donc la préférence au tribord amure alors…mmh ? … non c’est pas la priorité dont on a que faire en pleine mer… Mais tout simplement parce-que nos prises d’eau de mer sont situés à bâbord et que dans le cas contraire on a plus d’eau de mer et qui dit plus d’eau dit plus de chasse d’eau ! Vous imaginez le tableau… Autre avantage du tribord amure c’est que nos seules équipets (petits placards) sont situées à bâbord donc au cas où le dernier rangement de l’équipet ait été fait un peu trop négligemment on ne risque pas de mauvaise surprise à l’ouverture.

Gilles qui consciencieusement fait régulièrement une petite ronde sur le pont pour inspecter tous les points structurels du bateau découvrira un matin un toron abîmé sur l’un des haubans. Par chance le temps s’est calmé et les conditions sont suffisamment bonnes pour grimper aux barres de flèche et doubler le hauban au cas où la situation s’aggravait avant notre arrivée. Je m’y colle. C’est plus simple car je suis la plus légère.  Quelques minutes plus tard, assuré par Gilles, je redescendrai, le visage un peu blanc, mais la mission accomplie.



Nous profiterons de ces quelques jours de calme pour sortir de notre léthargie forcée, remettre un peu d’ordre, aérer le bateau, se faire une petite toilette + une petite coupe de cheveux pour le Capitaine et refaire les pleins des vivres de la cuisine. Le reste de la traversée rimera avec ‘patience et longueur de temps’. Et dans ces moments là rien n’est plus réconfortant que de recevoir des petits mails de nos familles et amis. On en devient même accros … voir irritables quand la boite aux lettres est vide. Alors continuez ! Et merci à vous car on sait combien votre temps est précieux et n’a pas la même valeur que celui de nos traversées.
Autre réconfort : les belles performances qu’affiche notre compteur. Le bateau va vite et passe bien dans la mer. Sa cure d’amaigrissement draconienne opérée avant le départ est payante ainsi que pas moins de 3 heures de carénage en bouteille. Le travail est récompensé. On est content !

Nous abordons les iles à Hilo sur l’île de Hawaii communément appelées Big Island, la plus grande île de l’archipel, après 17 jours de mer, pour près de 2200 milles parcourues. Une belle performance ! Nous sommes le 12 avril, un samedi, de nombreuses pirogues et voiliers animent le plan d’eau du port Toute cette activité sur un fond de littoral très urbanisé ! Quel contraste avec les iles Marquises !


Par chance nous retrouvons un voilier, perdu de vue depuis les Gambier, grâce à qui le Capitaine ramènera quelques réjouissances culinaires (comprenez ‘hamburgers frites’) promis aux petits matelots du bord pour compenser les privations des derniers jours de mer. Le Capitaine seulement car tant que nous n’avons pas fait les formalités, l’équipage est consigné à bord (dur dur lorsqu’on arrive un samedi soir et que l’on doit attendre le lundi matin).