mardi 16 juillet 2013

Pitcairn, l'île des révoltés de la Bounty


Par : Armelle.

 


Pourquoi faire escale à Pitcairn, nous direz-vous ? Cette île minuscule, sans plage, ni baie abritée, encerclée de hautes falaises exposées aux vents dominants et à la houle, avec un unique village de 50 habitants. Une île qui ne se trouve qu’à quelques jours de mer d’un joli archipel doté de lagons, de plages, de coraux et de bons mouillages (les Gambier).

Et bien parce-que Pitcairn à une histoire particulière, liée à ses habitants.

Laissez-moi vous la raconter, si vous ne la connaissez déjà, et vous comprendrez sans aucun doute notre obstination :
 
En 1787 la couronne d’Angleterre fait armer un navire du nom de la Bounty pour un long voyage vers Tahiti puis retour vers les Caraïbes, avec pour mission de rapporter des pousses d’arbres à pain. Ceci dans le but de fournir de la nourriture à bon marché pour les esclaves des colonies anglaises implantées dans les îles caribéennes. Le commandement est confié au capitaine Bligh. A son bord se trouve également Fletcher Christian, premier lieutenant et ami du capitaine. Leur amitié part vite en fumée après quelques semaines en mer. Fletcher Christian est en complet désaccord avec les méthodes disciplinaires du capitaine, qu’il juge cruelles et démesurées. L’équipage arrive épuisé à Tahiti et y séjourne plusieurs mois, avant de repartir les cales chargées de jeunes pousses d’arbre à pain. Ils auront reçu un accueil très chaleureux de la part des tahitiens et beaucoup de marins se liront avec des femmes. Fletcher Christian entre autre, n’échappera pas à leur charme et tombera amoureux de Maimiti, la fille du roi. Dès leur départ les humiliations et punitions sévères du capitaine reprennent. Le contraste avec la douceur de vivre Tahitienne est énorme, la mutinerie éclate après seulement deux semaines de mer. Fletcher Christian en prend le commandement. Le capitaine Bligh et la plupart de ses hommes sont débarqués dans la chaloupe, 19 au total qui, après 5 mois de navigation, parviendront à rejoindre l’île de Timor. Quant à La Bounty, celle-ci fait demi-tour en direction de Tahiti. Elle y séjournera quelques temps avant d’en repartir avec 9 mutins et des Tahitiens, hommes et femmes, dans le but de trouver une île isolée, voir inconnue ou jamais aucun navire du royaume d’Angleterre ne viendra reprendre les mutins pour les juger. En effet s’ils sont repris, pour eux, c’est la peine capitale. Leur odyssée les mènera jusqu’à Pitcairn, une île dotée de tout ce qu’il faut pour vivre (eau, fruits et légumes en abondance), une île de surcroît jamais visitée car très difficile à aborder. Enfin les cartes de l’époque sont fausses, Carteret s’est trompé de 150 milles en longitude dans son relevé, lors de sa découverte en 1767. L’île est parfaite pour une communauté qui désire ne jamais être retrouvée.

Ils bâtiront ici un petit havre de paix à l’abri de toute visibilité depuis la mer. La Bounty sera échouée sur les récifs et brûlée. Des enfants viennent rapidement remplir les maisons. Chacun s’emploie à subvenir à ses besoins par diverses récoltes. Malheureusement ils ont commis une grave erreur : leur petite communauté comprend plus d’hommes que de femmes. Des tensions vont vite apparaitre et peu à peu s’envenimer jusqu’à de graves querelles se concluant par des bains de sang, au cours desquels Fletcher Christian et bien d’autres hommes trouveront la mort. En 1820 lorsqu’un baleinier américain fait relâche sur l’île de Pitcairn, c’est le premier depuis la Bounty. Il ne reste plus qu’un seul homme, John Adams, vivant au milieu d’une vingtaine de femmes et d’enfants. Il finira par raconter l’histoire des révoltés de la Bounty, dont le sort fut demeuré inconnu jusqu’alors.

Cette histoire eut un retentissement dans le monde entier. Car en effet à l’époque de la mutinerie de la Bounty un courant humaniste remettait en cause l’ordre établi aboutissant entre autres à une révision du Code Maritime et surtout en France à la Révolution de 1789 et la Déclaration des Droits de l’Homme.

En faisant escale à Pitcairn nous voulions revivre cette épopée, naviguer dans le sillage de la Bounty et venir à la rencontre des descendants des mutins.
 
Arrivée sous spi à Pitcairn

Aujourd’hui les habitants de Pitcairn se prénomment tous Christian, Young, MacCoy, ou Adams. A peu d’exception près ils sont tous descendants des mutins de la Bounty. Ils parlent un dialecte mi anglais mi polynésien et subsistent grâce aux ravitaillements trimestriels d’un cargo néo-zélandais.

L’île n’a reçu aucune visite depuis un mois et aujourd’hui nous sommes deux bateaux à arriver le même jour et à mouiller dans la célèbre baie de la Bounty, à seulement quelques mètres des restes de son épave. Tikaï, un bateau français de 21m que nous avions rencontré aux Galápagos, vient faire escale ici pour une mission scientifique.
 

Mouillage dans la baie de la Bounty.
L'épave se trouve à quelques mètres derrière, au niveau des  roches.
 
Nous décidons de débarquer ensemble et par nos propres moyens… La manœuvre s’avèrera plus que délicate : ‘Attention surtout ne pas regarder derrière soit et foncer entre deux vagues en opérant un brusque virage à gauche juste devant les roches, pour venir s’abriter derrière le petit môle. Waouh ! Impressionnant quand on regarde la déferlante qui vient aussitôt refermer la passe. Ça commence fort !’ Et pendant toute la balade on pense au retour qui ne va pas être simple.
 
Vue du mouillage depuis la terre.
 

Les falaises de Pitcairn. Ca déferle au travers de la passe d’accès au môle de débarquement.
 
 
Une fois à terre et remis de nos émotions, nous sommes chaleureusement accueillis par Charleen qui nous offre à chacun un collier confectionné par sa maman. Puis direction le petit bureau de l’immigration improvisé pour l’occasion (une planche sur tréteaux recouverte d’une jolie nappe, installée en plein air devant le hangar à bateaux et qui sera démontée aussitôt les formalités effectuées), où le représentant des autorités britanniques (mais Néo Zélandais) nous reçoit en uniforme, sans aucun doute enfilé quelques minutes auparavant.
 
Bureau de l’immigration

Nous sommes ensuite embarqués, pour le plus grand bonheur des filles et du nôtre, car la pente est raide et nos guibolles toutes molles, dans des super quads, aménagés de rangements et assises supplémentaires et surplombés d’un abri, pour gravir la route qui mène au village, invisible depuis la cote. Nous découvrirons vite que ce sont les seuls moyens de locomotion sur l’île car les seuls adaptés aux routes escarpées et transportables par cargos.
 
Moyen de locomotion unique à Pitcairn : le quad

Charleen nous dépose au village et nous propose avec beaucoup de discrétion ses services si besoin. « Call Charlene on channel 16 if you need something » nous dit elle en désignant sa radio dans sa poche. Et nous aurons de cesse de recevoir ce genre de proposition car tous ici communiquent par radio VHF, toujours utilisée malgré l’arrivée récente du téléphone. Pour visiter le musée ? Call Nadine, on channel 16 of course. Pour poster une carte ? No problem, call Denis. Il vous ouvrira le bureau de poste. Aujourd’hui nous sommes samedi ; la communauté étant des Adventistes du Septième Jour, les samedis sont fériés mais les habitants savent que les bateaux de passage sont tributaires de fenêtres météo souvent très courtes, alors ils sont prêts à nous ouvrir tous les services si besoin. Et lorsque nous leur disons que ce n’est pas nécessaire car nous revenons demain ils répondent d’un air dubitatif : ‘Ouh ! If the weather is good !’

Notre première visite sera de courte durée car nous devons regagner notre bord en même temps que l’équipage de Tikaï qui doit déjà repartir. Le retour fut très sportif comme on s’y attendait. Une fois à bord nous découvrons l’inconfort du mouillage : le bateau est ballotté dans tous les sens, malgré le fait que nous ayons laissé la grand-voile à deux ris pour en diminuer les effets. La fatigue de la traversée n’arrangeant rien à notre état moral nous songeons à repartir, peu motivés pour passer la nuit dans un tel inconfort avec l’angoisse de déraper, alors qu’un paisible lagon nous attend à moins de trois jours de mer seulement. Malheureusement c’est chose impossible sans avoir refait un peu de gasoil. Et pour cela nous avons besoin de l’assistance de la chaloupe des Pitcairnais qui est déjà mobilisée par Tikai pour le chargement de son matériel scientifique.

Débarquement de la chaloupe entre deux déferlantes

Mouillage houleux

L’affaire est réglée, nous resterons ici cette nuit et prenons rendez-vous pour demain matin avec Jay le pilote de la chaloupe. Et même si la nuit fut à la hauteur de ce que l’on craignait, nous passerons une superbe journée le lendemain, en visitant le village et ses divers services, ou lieux de pèlerinage sur les traces des révoltés de la Bounty, en compagnie de Torika, la fille de Charleen.
Nous verrons les lieux où se trouvaient la maison de Fletcher Christian et Maimiti, la tombe de John Adams, les restes de ce qu’une expédition sous-marine a pu récupérer de la Bounty. Chaque lieu ravivant le souvenir de notre lecture de la célèbre trilogie de Nordhoff and Hall, dont le dernier volet est entièrement consacré à l’épopée sur l’île de Pitcairn.

Le sommet de Pitcairn

Balade dans l’île en compagnie de Torika
 
L’école de Pitcairn où sont inscrits seulement 8 enfants
 
La cour de récré avec :
 
Accrobranches

Trampoline en pleine nature

Cabane dans les arbres
 
Le jeu préféré des enfants : grimper au sommet des banian trees.

Nous aurons quelques discussions sympathiques et intéressantes avec les habitants, en particuliers avec Nadine qui nous fera visiter le musée et qui aime à entretenir un certain mystère sur le mythe du devenir des mutins. « John Adams se serait contredit plusieurs fois dans son récit, il n’aurait peut-être pas dit toute la vérité », nous murmure-t-elle…

Ou bien avec la famille de Carol, mère de Charleen, qui nous accueillera pour le déjeuner et nous racontera les complications de la vie qu’implique une communauté aussi isolée, mais que tous souhaitent pourtant conserver. Nous repartirons avec un joli plat en bois confectionné par Carol, dont nous apprendrons en regardant au dos de celui-ci qu’elle se prénomme Christian. Nous avions passé une bonne partie de la journée avec cette famille et n’avions pas pensé jusqu’ici à leur poser la question fatidique : de quel mutin descendez-vous ? Carol nous apprend alors qu’elle fait partie de la 6ème génération des descendants de Fletcher Christian et que bien qu’elle soit mariée elle a gardé son nom de famille, étant bien consciente de sa valeur. La 1ère chose que font les touristes qui achètent de l’artisanat à Pitcairn, nous apprend-elle, est de vérifier si c’est fait par un descendant des mutins. Et le descendant le plus connu est évidemment celui qui a mené la mutinerie. Et de conclure en souriant : « Business is business ! »

Carol nous racontera la vie de ses enfants. Certains sont restés vivre à Pitcairn mais d’autres sont partis. Sa fierté demeure son fils unique : Daryl Christian, descendant de Fletcher Christian, 7ème génération, sillonne à son tour les océans … mais cette fois en tant que capitaine d’un grand yacht !

Il est déjà l’heure de repartir,  nous voulons regagner notre bord dès la fin d’après-midi pour ne pas se faire prendre par la nuit au cas où la manœuvre de la remontée de l’ancre s’avèrerait plus compliquée que prévu, car il est hors de question de passer la prochaine nuit au mouillage. La fenêtre météo est terminée, la houle et le vent reviennent dès ce soir.

Nous lèverons l’ancre en même temps qu’une petite brise évanescente. Déjà les à coups sur le guindeau sont violents. Nous regardons l’île de Pitcairn s’éloigner dans notre sillage, sous un soleil couchant avec beaucoup d’émotion. Nous réalisons, les jambes encore flageolantes des tribulations ‘pitcairnoises’, que nous venons de franchir une grande étape symbolique de notre voyage. Cette escale sera sans doute la plus courte de notre long périple mais marquera nos esprits plus que tout  autre.
 

 

 
 

 

2 commentaires:

  1. Ca ne m'étonne pas que la chasse au trésor du Black Pearl, connaissant les loustics !! Des amis dont nous vous avions justement parlé entre une otarie et un ti punch, souvenez-vous ! Bon vent ! Charlotte et JC

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  2. Bravo les coccinelles, merci nous avoir partagé votre aventure, ça nous donne envie, avec My ha Long en 2016: les Gambier; Pitcarne et ile de Paques pour un retour aux Antilles par le Panama, Bises à tous les 4
    My&J.P

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