mercredi 2 janvier 2013

Il y a Transat et Transat…


Par : Gilles.

 

La technique pour traverser l’Océan Atlantique, entre les îles Canaries, à l’est, et les Antilles, à l’ouest, est en théorie assez simple. Elle consiste à placer une motte de beurre sur le pont du bateau. Vous choisirez si possible du beurre doux, celui qui ne sert jamais, et que de toutes façons on finira par balancer par-dessus bord parce qu’il est resté trop longtemps oublié au fond du frigo. Vous prenez alors une route vers le sud. Quand la motte de beurre a fondu, c’est qu’il est temps de tourner à droite, en laissant le soleil levant dans le sillage, et le soleil couchant devant l’étrave.  Ensuite, c’est tout droit, et il ne reste plus qu’à se laisser pousser par le doux souffle des alizés, et ce jusqu’aux Antilles.

Ca, c’est la théorie. Bon, cette année, avec Coccinelle, les choses ne se sont pas passées exactement de la même façon. Dès le départ de Gran Canaria, nous avons été poussés par un alizé plutôt frais, qui nous a certes menés plein pot plus ou moins dans la bonne direction, mais qui surtout nous a maintenus enfermés, à l’intérieur, à l’abri des embruns. Inconvénient de la formule, trois mètres de creux n’ont jamais représenté les meilleures conditions pour s’amariner et se libérer des affres du mal de mer (pour les personnes concernées, suivez mon regard). Alors jour après jour nous avons attendu, attendu, en se disant que ça allait forcément finir par se calmer, que les alizés modérés, ce serait sûrement pour bientôt. En attendant, la Coccinelle sautait, roulait, tanguait (merci les toiles anti roulis !), et cela a duré une semaine. Et tout cela sans soleil évidemment !

Puis le vent s’est calmé, ça n’était pas encore les levers de soleil majestueux, mais au moins nous pouvions rester dehors, bouquiner pour les uns, écouter des émissions en balado-diffusion pour les autres, ou encore jouer aux Play Mobils ou aux Barbie.

 
Jusqu’à ce que la soufflerie ne se remette en route, et hop ! Tout le monde à l’intérieur, et la Coccinelle de ramasser ses ailes et faire le gros dos dans cet alizé redevenu plutôt (très) frais.
Alors le baro a commencé à chuter, c’était parti pour un premier coup de vent, modéré peut-être, mais un coup de vent quand-même, avec de grosses traînées d’écume, le tout sous des seaux, que dis-je, des citernes d’eau de pluie ! Une pluie diluvienne, et un vent forcément virulent !
Deux jours après on a remis ça, de l’autre côté de la dépression (car c’en était une), vent et pluie (ouh lala, où donc le ciel va-t-il chercher toute cette eau ?) Vous devez vous dire, il déconne, Gilles, des dépressions dans les alizés, ça n’existe pas. Et bien si, quand on est là. Vous en connaissez beaucoup, des bateaux qui ont eu droit à trois dépressions tropicales (Gordon une fois et Nadine deux fois) en un mois aux Açores ?

Si on était déjà bien sud, genre 17°N, il faisait déjà chaud, 28° à l’intérieur. Il faut nous imaginer tous les quatre, à moitié à poil, enfermés dans un shaker saturé d’humidité : on a en effet quelques problèmes d’étanchéité au niveau de certains hublots, en fait, pratiquement tous ; idem sur certains panneaux, les deux grands sont à changer, le budget va en prendre un coup ! Alors on s’est fait toute la série des Astérix en dessins animés, des heures et des heures, l’assurance de bons éclats de rire face à une météo aussi peu compréhensive. Ensuite, pendant des jours, Camille et Apolline joueront à préparer de la potion magique, que papa sera le premier à avoir le droit de gouter, « le papa le plus fort du monde », dixit Apo. C’est bien connu, la vérité sort de la bouche des enfants. Dans ces cas là, mais même quand il fait moins chaud, Apolline transpire beaucoup, « une petite bouillotte qui irradie son bonheur en rayonnant de chaleur », dixit sa maman. Une petite Apolline qui quel que soit le temps continue de faire ses galipettes et ses poiriers, sous notre regard plutôt inquiet : il suffirait d’un coup de roulis pour qu’elle se fasse très mal !
 
 

 Nous avons équipé le bateau d’un émetteur récepteur BLU, qui permet d’envoyer et recevoir des mails, et des fichiers météo. Malheureusement, il est tombé en panne dès la deuxième semaine (le poids des ans ?), et il faut l’avouer nous avons ensuite été un peu frustrés de ne plus pouvoir échanger avec nos familles à terre, mais aussi avec les bateaux copains qui ont traversé en même temps que nous.

 
The kings of the pêche.


 
 Puis à la tempête a succédé la pétole ! Heureusement il y a la pêche, et là, on est balaizes ! Si la première semaine ça bougeait tellement que nous n’avons même pas imaginé mettre une ligne de traîne, ensuite nous nous sommes rattrapés, grâce notamment (exclusivement…) à une arme fatale achetée avant le départ à La Rochelle, un leurre siffleur magique qui n’attrape que les Coryphènes (la Daurade, qu’on appelle aussi Mahi Mahi dans le Pacifique). Deux heures avant le repas, il suffisait de se dire : et si on mangeait du poisson ce midi ? La ligne à l’eau, et c’est parti, une belle daurade de 70 ou 80 cm, à la chair délicieuse et juste assez grosse pour nous assurer deux repas pour quatre, en général pané pour satisfaire les goût plutôt sélectifs des petites mousses… Un régal je vous le dis ! D’ailleurs, nous faisions la fine bouche, et quand nous estimions le poisson trop petit, ou non conforme à nos attentes, il reprenait le chemin de l’océan. Après avoir pêché l’une de nos premières Coryphènes, Camille s’est mise à pleurer, triste que nous puissions prendre la vie d’un poisson. Nous lui expliquons qu’il s’agissait là d’un vieux poisson, qui de toute façon allait mourir.

-          « Mais si c’est un vieux poisson, c’est une maman poisson qui abandonne ses enfants ? » répond alors Camille, inconsolable.





Aux Canaries, nous avions acheté plusieurs kilos de bananes vertes, accrochées à l’arrière, sous un panneau solaire, protégées par un tissu, elles se sont plutôt bien conservées. Les bananes cuites au sucre et au beurre, façon Armelle, je vous les recommande !

Finalement, il aura fallu attendre la troisième semaine pour voir le temps s’arranger. Les filles ont enfin pu s’extasier devant les levers et couchers de soleil,  les ciels étoilés et le sillage illuminé de planctons. Elles s’imaginaient alors transportées au pays des fées !



Chaque matin l’équipage s’est réveillé au son de Verdi, de Bach ou de Mozart, le signe du Capitaine qu’il était temps pour le reste de l’équipage de sortir pour bénéficier d’un splendide lever de soleil…



 Nous avons savouré ces derniers jours d’alizés, en tentant d’oublier le mauvais temps passé. Quatre jours de vrai alizés, les gentils cette fois, avec un goût de trop peu et, avouons le, le sentiment d’avoir été dépossédés.

Nous avons eu des conditions très difficiles que nous nous étions juré de ne jamais rencontrer avec les enfants. Les filles ne se sont jamais plaintes de leur sort en mer et ont toujours gardé leur joie de vivre. Nous savons maintenant que c’est possible, en famille, ce qui nous permettra d’aborder les prochaines traversées sereinement, en gardant à l’esprit que nous ne sommes jamais à l’abri des caprices d’Eole.

La traversée aura donc duré 22 jours, entre Gran Canaria et la Martinique. Nous avons parcouru un peu moins de 2900 milles.