mardi 27 novembre 2012

Les canaries


Par : Armelle.

 

Ce n’est pas encore maintenant que nous vous rendrons jaloux avec nos histoires de bohême au milieu de mouillages paradisiaques. Les Canaries devaient être une escale soleil / baignade et avitaillement avant la traversée vers les Caraïbes, avec évidemment quelques bricoles à faire mais qui se sont avérées plus longues que prévues.

A peine arrivés dans la baie de Francesca sur l’ile de La Graciosa, des vents de sud nous poussent à rejoindre le port de La Caleta. Un petit coin de paradis qui a retenu plus d’un marin dont l’escale de plusieurs jours est devenue plusieurs années. Le village est paisible, le port pas cher (mais sans électricité), la plage à deux pas. On vit pieds-nus, même dans le village aux rues sablonneuses. Le port ne compte que deux pontons dont on fait vite la connaissance de tous ses occupants. Malheureusement pour nous, nous avons vécu cette escale, en quarantaine, profitant d’un port pour nous débarrasser définitivement de quelques petits passagers clandestins qui peuplaient nos têtes et usaient nos nerfs, contraints jusqu’ici de choisir nos fréquentations sur un seul critère : leur courte capillarité, pour éviter toute contagion. C’est donc avec rigueur et méthode que nous avons enfin pris le problème à bras le corps en effectuant shampooings successifs et rotation des vêtements, draps et coussins à l’isoloir (dans un sac poubelle hermétique dans le coffre de cockpit), sans oublier Doudou-vache que nous avons fait bouillir dans la cocotte tous les trois jours, tôt le matin pour qu’il soit sec le soir. Un vrai challenge sans lave-linge, remporté avec succès (aujourd’hui nous sommes redevenus fréquentables !). La nouvelle s’est évidemment vite répandue sur le ponton. Nous avons accepté dignement notre triste sort. Certains venaient parfois prendre de nos nouvelles : « Alors il en reste encore ? ». Un hochement de tête abattue, ponctué des derniers palmarès : « Aujourd’hui 5 chez Camille, 3 chez Apolline et 4 chez moi. ». Cette désagréable aventure fut l’occasion d’alimenter pas mal de conversations au sujet des envahisseurs en tous genres presqu’inévitable dans les pays chauds. Finalement des poux c’est un moindre mal sachant qu’il y a aussi les  cafards … et les rats ! Par chance le lendemain de notre rémission une petite fête improvisée fut programmée entre voisins, au son de l’accordéon, agrémenté de mets et d’alcools venant de tous les bords.

Port de La Caleta à Graciosa

Port de La Caleta à Graciosa
 
Port de La Caleta à Graciosa

Port de La Caleta à Graciosa

Port de La Caleta à Graciosa

Déjà beaucoup de bateaux pensent poursuivre leur route vers les iles de l’Ouest, en vue de commencer à préparer la traversée. Notre décision est prise de partir également mais avant nous souhaitons profiter quelques jours du mouillage de la baie de Francesca, réputé pour être le plus beau de l’archipel et dont nous avons trop peu profité lors de notre arrivée. A peine avons-nous mouillé l’ancre que je m’équipe pour plonger, un petit carénage s’impose. Coccinelle commence à avoir un petit duvet qui pourrait compromettre les pronostics que nous commençons à avancer pour la traversée. Le travail sera vite interrompu, le clapot se renforce et je manque de rendre mon déjeuner dans le détendeur. Remontée à bord, le clapot se renforçant nous nous résignons précipitamment à lever l’ancre et trouver un endroit plus calme pour passer la nuit. La baie de Francesca attendra encore une fois, nous irons mouiller juste à côté du port, un peu penauds, regrettant de ne pas avoir attendu un jour de plus avant de quitter notre paisible ponton. Impossible d’y revenir, les places sont chères, il faut réserver plusieurs jours à l’avance, nous ne pouvons une nouvelle fois nous présenter comme si de rien n’était, nos bambins sur le pont bien en évidence en demandant innocemment s’il y a une place pour notre petite famille fatiguée par la longue route qu’elle vient de parcourir. Et comme si le sort s’acharnait contre nous, en retournant dans la baie le lendemain matin, une panne sèche du circuit de refroidissement du moteur (un problème que nous trainons depuis les Açores et qui à chaque escale retient quelques heures le capitaine dans la graisse et le cambouis), nous contraint à finir la manœuvre en catastrophe avec l’annexe à couple. Manœuvre à laquelle nous nous y reprendrons par deux fois devant nos nouveaux voisins encore sommeillant, plus contrariés de voir débarquer à une heure aussi matinale des voisins aussi bruyants que soucieux de venir nous proposer leur aide (nous mettrons cela sur le compte de la lente inertie des réveils paradisiaques).
 
 Mouillage dans la baie de Francesca

La journée suivante fut entièrement consacrée pour le capitaine (un peu honteux de ne pas avoir la pièce de rechange nécessaire pour réparer) en la quête d’une vulgaire petite sangle de caoutchouc, appelée courroie en jargon mécanique, et qui lui valut : 5 minutes d’annexe, 1 heure de marche, une demi-heure d’attente, une demi-heure de ferry, 1 heure de voiture, une demi-heure de marche, 2 heures d’attente, 1 heure de bus, une demi-heure de ferry, 1 heure de marche, 5 minutes d’annexe ; revenant au soleil couchant triomphant avec pas moins de trois exemplaires de la pièce. Résolvant définitivement notre problème de refroidissement de moteur !
 
 Mouillage dans la baie de Francesca
 

Le lendemain je reprends ma tâche interrompue la veille. Cette fois le temps est calme mais c’est sous le bec menaçant d’un joli Fou de Bassan que je m’habille et me jette à l’eau avec quelque appréhension, le surveillant du coin de l’œil et protégeant mes arrières car il ne réagit nullement à mes tentatives pour l’éloigner. A peine ai-je mis la tête sous l’eau que je comprends l’objet de sa visite. Il n’est pas ici pour me piquer les fesses dès que j’aurai le dos tourné mais plutôt pour s’assurer que je ne vais pas faire fuir son déjeuner : un énorme banc de sardines qui broutent avec frénésie la barbichette de Coccinelle. Décidément il est temps de se mettre au travail !

Mouillage dans la baie de Francesca

Nous profitons du mouillage une seule journée, car déjà nous devons faire route plus à l’ouest pour rejoindre Gran Tarajal sur l’ile de Fuerteventura, espérant y être rejoints par un ami qui devait nous apporter l’éolienne et le nouveau pilote automatique dont nous venons tous juste de faire l’acquisition sur internet.

En chemin nous nous arrêtons à Arrecife et à Lobos. L’un offrant des corps-morts gratuits devant une grande ville peuplée d’hôtels et de magasins de luxe. L’autre proposant un havre de paix sur une petite ile presque déserte, mais malheureusement trop difficile d’accès avec les enfants. Nous longerons la côte nord-est de l’ile de Lanzarote bordée par un immense désert de sable d’où surgissent subitement comme une oasis de grands hôtels entourés de jardins verdoyants. Surprenant !


Mouillage dans le vieux port d'Arrecife
 
Une drôle d'oasis au milieu du désert

Les navigations seront savoureuses, enchainant de longs bords de portant, à une vitesse dépassant maintes fois les 8 nœuds, les poissons volants décollant au passage de notre étrave.

 

A Gran Tarajal, nous serons accueillis par ‘un drôle d’oiseau’ en bout de ponton, coiffé d’une casquette et équipé d’une matraque et d’une paire de menottes à la ceinture sifflant et battant l’air de ses ailes, à la manière d’un gendarme dans un bon vieux film de Jacques Tati faisant la circulation en plein trafic.  A peine sommes-nous amarrés que celui-ci nous adjoint de nous rendre au bureau pour nous acquitter de notre taxe de séjour payable à l’avance. Le bureau se révèle être un vulgaire placard à balai attenant aux commodités de la marina, aménagé pour la circonstance, dans lequel  deux compères s’entassent derrière une planche escamotable, coincés entre la photocopieuse et les piles de dossiers, tentant de compenser cette situation grotesque par un surcroît d’autorité. La raison : le capitaine et son équipe sont partis en vacances (novembre est pourtant la pleine saison, des centaines de bateaux transitent vers les Canaries). La capitainerie est fermée. Le travail a été confié aux agents de sécurité qui se débrouillent comme ils peuvent et avec les manières usuelles qui sont les leur et finalement non dépourvues de sympathie.

Cette situation nous voudra toute de même une petite anecdote assez désagréable.

Après le début de l’avitaillement pour la traversée, Coccinelle s’enfonce déjà à la limite de sa peinture antisalissure, il faudrait la rehausser. De plus les anodes posées avant notre départ ont déjà disparues, opération difficile à faire en plongée. Deux bonnes raisons de mettre le bateau au sec sans plus attendre car ici le coût du service est très raisonnable. Nous allons voir le ‘pescador’ du coin qui gère le portique élévateur et le parc. Pas de problème celui-ci peut nous gruter dès la fin de la matinée. La manœuvre s’est faite non sans mal à cause des rafales de travers, dérive relevée. Progressivement Coccinelle entre dans le bassin, se cale sur deux grosses sangles qu’il faut positionner au bon endroit pour ne rien endommager sous la carène. Un signe du Capitaine au grutier lui confirmant que tout est OK et la Coccinelle commence à se soulever, suspendue dans les airs.  Pendant ce temps un de nos drôles d’oiseaux effectue le tour du parc à grande enjambée, gesticulant sans doute depuis le port pour nous faire signe (mais trop occupés par la manœuvre nous ne l’avons absolument pas vu venir) et vient subitement interrompre la manœuvre : « Tiene el papel de valido ? ». « ???... Que papel ? ». Nous comprenons rapidement que nous avons omis une formalité. Ici nous sommes dans un port public, toute opération de grutage est soumise à accord préalable d’une personne habilitée. « Un papel para subida y un otro para bajada …. ». « Vale ! Muy bien, podemos tener los papelos por favor ? », répond benoîtement le Capitaine avec son meilleur sourire, faisant preuve d’un calme olympien. Malheureusement un agent de sécurité n’est pas vraiment le grade approprié pour administrer ce genre de passe-droit. Celui-ci nous explique alors que l’affaire est compliquée en ce moment et ne peut se faire dans l’immédiat. La Coccinelle qui commençait tout juste à apprécier cet essorage est retournée illico dans la mare avec à son bord un équipage furibond comprenant qu’un samedi on ne dérange pas les autorités, qu’il faudra attendre lundi pour faire la demande puis encore deux ou trois jours pour recevoir l’accord venant de Gran Canaria. L’agent quant à lui est reparti satisfait d’avoir empêché in extremis une effraction au règlement.

Finalement nous obtiendrons l’accord des autorités dès le lundi matin à la première heure, après avoir passé nous-mêmes un coup de fil à Gran Canaria, le pescador nous assure la manœuvre pour 16h le jour même mais un espadon de 270 kilos  nous volera notre tour ! Vale mañana ! Nous mettrons au sec le mardi, sans ‘papelos de valido’ !

arénage à Gran Tarajal
 
 L'occasion pour les matelots de recevoir leur première leçon de bricolage

A Gran Tarajal nous avons rencontré un couple d’anglais naviguant depuis de nombreuses années. Gale passe son temps en mer à confectionner des ‘fingers pupees’ faites de tricot de laine prenant la forme de toutes sortes d’animaux rigolos et multicolores, qu’elle offre ensuite aux enfants rencontrés au gré de leurs escales. Une tradition qu’elle pratique depuis plus de 20 ans peuplant ainsi tous les océans de ces petites bêtes, sans avoir pourtant elle-même jamais quitté l’Atlantique Nord, car assurément ces jouets sont les seuls que les parents adoptent avec joie et qu’ils ne débarquent pas à la prochaine escale : ils sont petits donc peu encombrants et ne font pas mal au pied lorsqu’ils traînent par terre. Nous sommes heureux et fiers d’en détenir quelques spécimens qui, nous le savons, croiserons un jour leurs petits et grands frères sur d’autres bateaux.

les "finger pupees" 

Une fois la mer retrouvée la Coccinelle s’envole aussitôt pour Las Palmas sur l’île de Gran Canaria. La baie, réservée aux plaisanciers, compte pas moins d’une centaine de voiliers mouillés. Les places libres sont rares. Certains plaisanciers passent leur temps à guetter à travers leur jumelles dans un recoin de leur cockpit les éventuelles manœuvres de départ des voisins mieux placés afin d’arriver le premier sur la place. Beaucoup sont obligés de remouiller plusieurs fois. Nous n’y échapperons pas. Le lendemain de notre arrivée le vent forcit, notre voisin vient culer sur nous mais nous ne pouvons libérer davantage de chaine les roches n’étant pas loin derrière. Celui-ci devient de plus en plus nerveux (à raison), on se résout à lever l’ancre (nous sommes les derniers arrivés). Malheureusement impossible de finir la manœuvre, la chaine est prise sans doute dans son ancre, nous risquons de le faire déraper. Nous laissons le mouillage au fond de l’eau et en vitesse préparons le deuxième mouillage. Nous mouillons notre seconde ancre loin de là. A peine terminé le vent tombe les bateaux évitent dans tous les sens et nous voici déjà à moins de deux mètres de notre nouveau voisin. Nous partons récupérer notre mouillage avec l’annexe, à notre retour Coccinelle est déjà en train de percuter notre voisin assez mécontent d’avoir été réveillé pendant sa sieste. Nous remouillons une nouvelle fois, cette fois avec l’ancre principale que nous venons de récupérer. Pendant la manœuvre le vent revient en sens inverse, à la fin de la manœuvre Coccinelle se trouve de nouveau… à moins de deux mètres de ce  même voisin !

 

Nous sommes arrivés à Las Palmas deux jours avant le départ de l’ARC. Le port est bondé. Tous les bateaux arborent fièrement leur Grand Pavois et leur pavillon à l’effigie de ce grand évènement. C’est l’effervescence sur les pontons. Les cartons d’avitaillement s’entassent devant les bateaux avant de trouver leur place à bord. Les manœuvres de sécurité sont scrupuleusement révisées sous l’œil des organisateurs. Au Ship du coin les clients sont si nombreux qu’il faut prendre un ticket comme chez le boucher !

Nous croisons une participante italienne, heureuse de voir une petite famille française. Elle nous confie son étonnement de voir si peu de ‘frenchy’ participer à cette course, sachant leur réputation sans faille de bons marins. Ne pouvant répondre avec politesse, nous endossons dignement le compliment, en faignant de ne trouver aucune raison à ce constat.

La frénésie de cet évènement et des activités incessantes de la ville et du port de Las Palmas stimulent notre envie de grand large. Même si le mouillage est assez inconfortable (les trains de vagues des aller et venus des cargos et paquebots nous aura valu un petit déjeuner sur les genoux du Capitaine) nous décidons de rester ici pour assister au départ de l’ARC puis de filer à notre tour directement sur les Caraïbes.

 

Bientôt nous partons pour 2600 milles, soit près de 20 jours de mer. Nos petits matelots accueillent la nouvelle avec joie. Pour elles la traversée, c’est se rapprocher un peu plus de la Martinique… et la Martinique c’est grand-père et grand-mère qui vont venir nous voir !