jeudi 20 mars 2014

Une Cox aux Marquises

Par : Gilles et Armelle.














Fatu Hiva
















Comment décrire Fatu Hiva ? La Baie des Vierges ? Hanavave et les pics verdoyants qui entourent la baie de formes majestueuses et magistrales ? Nous avons eu la chance d’arriver en fin de journée, une heure avant que le soleil ne tire sa révérence, à cette heure unique à laquelle le décor s’anime car les artistes entrent en scène. Dans un paysage surréaliste s’illuminant des teintes les plus puissantes, les ombres soudain s’accélèrent et s’allongent avant de disparaître avec les derniers rayons de soleil.


Ce lieu est unique et son charme incroyable apparaît encore plus pour nous autres privilégiés qui avons la chance de le découvrir depuis la mer, et en privé puisque Coccinelle est seul au mouillage. Il y a bien un petit voilier mouillé juste à côté de nous, mutilé, il n’a plus d’étai, et son mât ne tient plus que par miracle. Son enrouleur de génois gît lamentablement comme un drapé épars sur le pont encombré, le taud bleu de son annexe n’est plus que charpie. Ce petit voilier qui bat pavillon Américain porte sur son pont les stigmates des violentes rafales qui inlassablement balaient la baie, attisées par les couloirs entre les pics et les sommets de l’île, qui accélèrent les vents d’alizé et leur font dévaler les pentes jusqu’à venir frapper Coccinelle qui alors tire sur son ancre, d’un côté puis de l’autre. Ces rafales sont fatigantes, épuisantes même. Elles perturbent le sommeil et apporte un tout petit bémol à la sérénité de cette nouvelle escale. Nous avons pourtant besoin de repos, car cette traversée depuis Hao s’est déroulée au près, contre la mer et le vent, au gré des grains qui souvent nous ont imposé de nombreuses manœuvres.




Nous avons passé deux jours à Fatu Hiva. Il y a 18 ans, lors de mon premier passage aux Marquises (Gilles), on utilisait encore beaucoup les Va’a traditionnels, des pirogues à balancier construites en contreplaqué sur une armature en bois, des coques en V propulsées par un moteur hors bord.


Même s’il en reste quelques unes à terre, elles ne sont, semble-t-il, plus utilisées et sont remplacées par de petites barques en aluminium, longues de quatre mètres en moyenne, très légères et qui sont de fait assez aisées à remonter à terre sur une remorque. Elles servent à la pêche mais aussi pour le transport entre les deux villages de l’île, Omoa, la capitale, à quelques milles au sud, et Hanavave où nous nous trouvons. Il existe bien une route, mais elle serpente sur les hauteurs de l’île et s’y faufile sur 14 kms environ, et il est plus simple d’utiliser le bateau.
Autre embarcation utilisée ici, le speed boat, pour les liaisons vers l’île principale du groupe sud des îles Marquises, Hiva Oa. Les Marquises se divisent en deux parties, le groupe nord, et le groupe sud. Fatu Hiva est l’île la plus méridionale de l’archipel et appartient donc au groupe sud, au même titre que Tahu Ata, et Hiva Oa donc. Le groupe nord est composé quant à lui de Nuku Hiva, de Ua Huka, et de Ua Pou. Voilà pour les présentations. Cinq à six cent personnes vivent à Fatu Hiva, réparties entre les deux villages.

Hanavave est constitué de petites maisons plutôt coquettes.


Ici aussi comme dans beaucoup d’autres lieux en Polynésie, l’outil roi est la débroussailleuse. Pas un jardin, pas une banquette où le son de son moteur deux temps ne trouble la quiétude du village. La coquetterie des lieux est à ce prix. Déjà qu’en France Métropolitaine, quand vient le printemps le jardinier rouspète parce qu’après deux gouttes de pluie et trois rayons de soleil la pelouse a déjà pris de l’embonpoint et qu’il faut la tondre tous les 5 jours, alors imaginez ce que ca peut donner ici, à la limite entre tropiques et équateur, avec une température moyenne de 30°, et sous des pluies plutôt généreuses ? Longue vie à la débroussailleuse.


Tandis que nous marchions dans la rue (et oui, il n’y en a qu’une, comme ça pas besoin de demander son chemin), une femme nous aborde, la magie se produit. Voulez-vous des fruits pour les enfants ? Alors arrive Henri son mari, vêtu d’un short de foot et torse nu, il nous fait signe de rentrer et ensemble nous allons sous le citronnier faire provision. Le sac se remplit aussi de pamplemousses et, pour faire bonne mesure, un régime de bananes vertes vient compléter le chargement. Et en route pour la joie ! Les fruits sont si rares aux Tuamotu ! Henri est Mangarévien, évidemment on parle de Rikitéa, des Gambier. Pour préciser les choses, les Gambier sont à 2.000 kms d’ici. En gros, la distance qui sépare Saint Brieuc de Casablanca, au Maroc. Entre les deux, rien, l’Océan Pacifique, avec ici et là quelques atolls épars, parfois inaccessibles et inhabités.
La semaine prochaine, mais nous y reviendrons plus tard, va se tenir à Ua Huka le Festival des Arts des îles Marquises. L’épouse d’Henri travaille depuis une semaine à la réalisation de l’un des costumes que portera son fils à Ua Huka où a donc eu lieu cette année un mini festival. Le costume est magnifique, entièrement naturel. L’épouse d’Henry nous en explique tous les secrets. Le costume est peint avec des motifs marquisiens souvent issus de dessins de tikis (représentation de divinité ou des premiers hommes). Le reste : ceinture, franges, collier, couronne et accessoires sont fabriqués à partir de fibres, de feuilles ou de graines des différentes espèces d’arbre courantes comme le cocotier, le pandanus ou le banian et également d’ossements… de cochon ou de bœuf.



La particularité des costumes de Fatu Hiva c’est le tapa : une étoffe faite à partir d’écorce d’arbre, frappée sur des pierres plates et rincée abondamment à l’eau citronnée, avant d’être séchée. Ce savoir faire ancestral a disparu des autres îles de l’archipel, mais il perdure ici à Fatu Hiva. Meralda Warren, que j’étais allé chercher à Pitcairn en novembre dernier avant de l’y ramener une semaine plus tard, travaille elle aussi le Tapa. Elle projetait d’ailleurs de venir à Fatu Hiva, afin d’y partager ce savoir-faire. Mais rien n’est moins simple que d’aller de Pitcairn à Fatu Hiva, à moins d’avoir un voilier : les deux îles, distantes d’un peu moins de 2000 kms, une paille à l’échelle du Pacifique, sont toutes deux dénuées de port ou d’aéroport. Depuis Pitcairn, il faut prendre le Claymore II, qui dessert l’île du dernier voyage de la Bounty quatre fois par an, jusqu’à Mangaréva. De là, quatre heures d’avion conduisent à Tahiti, où il faudra prendre un autre avion qui en quatre heures de vol vous conduira jusqu’à Hiva Oa, aux Marquises, l’île où reposent Jacques Brel et Paul Gauguin. Et de là, il faut emprunter un bonitier, ou un speed boat, qui en quelques heures desservira Fatu Hiva. Pour rentrer, même punition, sauf qu’il faudra attendre le retour du Claymore II, trois mois plus tard…

Le lendemain nous reviendrons avec un gâteau encore tout chaud, soucieux de respecter la tradition de la réciprocité du cadeau… mais nous repartirons encore avec un sac plein de fruits. Puis de retour d’une baignade dans la rivière nous sommes gentiment hélés par une vieille femme qui, d’un air soucieux, nous demande si nous connaissons la mécanique. Un moment d’hésitation puis le visage du Capitaine s’illumine lorsque la femme précise qu’il s’agit d’une machine à coudre devenue capricieuse. Et nous voilà embauchés pour la fin de journée, Gilles à la machine, moi à défaire les coutures d’un costume qui doit être prêt pour demain matin pour le spectacle de fin d’année de l’école de ses petites filles, pendant que les filles jouent dans le jardin au milieu des poules, des chats et des cochons. Le lendemain la nouvelle s’est vite répandue qu’un popa’a a réparé une machine à coudre et voilà Gilles devenu, malgré lui, le spécialiste sur la place.
Nous comprendrons vite que Fatu Hiva est une île très isolée par rapport au reste de l’archipel. Son économie est peu florissante. La principale source de revenus, la récolte de nonni, a décliné récemment. Ses habitants se contentent de peu et attendent le voilier de passage comme la providence en profitant de l’occasion pour tenter de vendre un peu d’artisanat ou de faire du troc. Toutes les compétences sont les bienvenues. Ne rien jeter car ici tout se récupère et trouvera une seconde vie.


Nous ferons ensuite une brève escale à Tahuata. Le temps nous manque pour aller voir les dauphins et les raies dans les mouillages du nord, ce sera pour la prochaine fois. Nous nous reposons deux jours dans la baie de Hanateio, juste le temps d’avoir envie d’y retourner.



Le Festival des Arts sur l’île de Ua Huka, dans les îles du nord, commence dans 3 jours et nous avons encore 75 milles à parcourir.


Le Festival des Arts






Depuis 25 ans, cette manifestation rassemble en alternance dans chacune des six îles de l’archipel tous les artistes, danseurs, musiciens, sculpteurs et tatoueurs marquisiens. Tous les quatre ans, la manifestation a lieu alternativement dans chacune des trois îles les plus peuplées, Hiva Oa, Ua Pou, et Nuku Hiva. Ces grands festivals s’ouvrent au monde. Des troupes de Hawaï, Samoa, Alberta au Canada, Rapa Nui, sont régulièrement invitées. Et alternativement tous les quatre ans, deux ans après donc, a lieu un mini festival, dans les îles les moins peuplées, Fatu Hiva, Tahu Ata, et Ua Huka. A l’inverse du Heiva qui est un concours, le Festival des Arts n’est pas un concours, mais une représentation. Cette année c’est un mini festival et c’est au tour de Ua Huka de l’accueillir.



Nous abordons l’île le 16 décembre et nous précipitons à travers l’étroit passage qui ferme la baie de Vaipaee. Par chance seul un voilier occupe la place car tous les autres (pas moins de 25 voiliers !) ont préféré mouiller dans la baie voisine, plus large mais houleuse et au débarquement délicat. Nous occuperons donc la seule place restante, mouillés sur deux ancres afin de ne pas gêner les allers et venues des bonitiers de chacune des délégations des différentes îles de l’archipel venues participer au festival. A chacun de leur débarquement nous serons aux premières loges d’un joyeux spectacle, rondement mené au son des pahu, les grands tambours marquisiens.

Un p’tit brin de ménage sur le bateau s’impose, accompagné d’un dépouillage des restes de Hao car nous nous préparons à recevoir Hervé et Francine venus de Nuku Hiva où ils ont laissé leur bateau,pour assister au festival. Situé sur les hauteurs de l’île, le cadre où se déroule le festival est idyllique, face à la mer, au beau milieu de vallons désertiques, où on aperçoit de temps à autres des cavaliers.


Le festival accueille plusieurs centaines de marquisiens, venus de tout l’archipel pour partager et faire revivre leur art. Bien que le festival existe depuis 1998, la manifestation reste encore très intime. Seul les plaisanciers de passage et les touristes de l’Aranui, un cargo mixte qui avec le Taporo dessert les Marquises, sont présents, si bien qu’ils restent inférieurs en nombre aux participants. Cela procure le sentiment d’être des privilégiés devant un spectacle unique et rare, qui semble resurgir du fond des âges.



Chacune des danses opérées par les troupes reprennent les thèmes fondamentaux des anciennes traditions marquisiennes : la danse du cochon célèbre l’abondance des biens, celles de l’oiseau, l’entrée dans l’âge adulte des jeunes filles. Le tamanu, doux et lancinant, raconte de vieilles légendes marquisiennes. D’autres, comme le  haka, exclusivement masculin, miment avec talent (à faire pâlir les popa’a, et rire les enfants marquisiens) les affrontements guerriers entre peuples de différentes vallées. Chaque jour nous reviendrons à bord le cœur plein d’émotions, accompagnés par Apolline et Camille poussant des cris rauques et caverneux : « Hou Yèè ! Ho Ho Haaa ! », genoux fléchis en se tapant les cuisses, le rythme des percussions vibrant encore dans nos oreilles.



Le dernier jour, un immense kaï kaï (festin collectif) vient clore ses trois jours de fête. Chaque délégation a préparé, uniquement à partir de ce qu’offre la nature, des mets composés de gibiers ou de crustacés, agrémentés de po’e de bananes, de uru et de patates douces, enveloppés dans des feuilles de bananier et disposés sur un lit de pierres volcaniques incandescentes placées au fond d’un trou. Le tout est ensuite recouvert de feuilles puis de sable pendant plusieurs heures. C’est la recette du four marquisien (ou tahitien)! Servi sur une feuille, au creux d’une demi-coco ou d’un demi-tronçon de bambou, dans un cadre entièrement décoré de tressage végétal. A déguster arrosé d’un lait de coco râpé. Il est fortement déconseillé de quitter la Polynésie avant d’avoir essayer, c’est savoureux ! Une extraordinaire communion entre les hommes et la nature!




Nuku Hiva



Dès la fin du festival nous filons vers Nuku Hiva, les fêtes de Noël approchent et nous avons hâte de réceptionner les colis que nos familles nous ont envoyés. Une énorme bouffée de réconfort pleines de délicates attentions qui vient combler le manque de liens familiaux pendant les fêtes. Heureusement nous retrouvons un second souffle avec de nouvelles rencontres et la rentrée des classes.


Taiohae étant la capitale des Marquises, les services et les activités sont nombreux, bon nombre de voiliers ont fait le même choix que nous pour y faire une longue escale. Et pour le bonheur des filles on dénombrera jusqu’à 10 bateaux famille dans la baie ! Qui a dit que le tour du monde en voilier était réservé aux retraités ? Et chose incroyable la tranche d’âge des 5-10 ans est nombreuse et exclusivement féminine !



Nous reprenons le rythme de vie que nous avions quitté aux Gambier : sédentaires la semaine avec des journées calées sur le rythme scolaire des filles, et robinsons le week-end en allant découvrir les vallées de l’île, dont certaines ne sont accessibles que par voie maritime.





Grâce à Jean notre ‘peperu’ (barreur ‘piroguier’), nous prenons l’habitude d’aller ramer tous les soirs dans la baie en pirogue polynésienne, le Va’a, à 6 places, qu’on appelle un V6 ; il existe aussi des V1, et des V3.



Grâce à Henri, le tenancier du bar du p’ti quai, le Snack Vaeki, nous avons un QG où boire un café, se tenir au courant des dernières infos, se connecter à internet ou se faire des soirées ukulélé ou projection de film. Et grâce à toutes ces brèves rencontres dans les vallées nous découvrons l’autre visage du marquisien, celui qui le week-end troque son 4X4  contre un cheval, ou la pirogue et son Vini (téléphone portable), contre la machette et redevient un homme libre qui chasse, pêche et cueille en oubliant ses récents reflexes consuméristes. 




Nuku Hiva, comme toutes les autres îles de l’archipel, regorge de vestiges de sites anciens dont certains ont été restaurés. Lors de chacune de nos ballades, nous en avons fait la découverte, nous projetant ainsi dans le passé ; des temps anciens que les premières expéditions de Cook ou Bougainville, ou encore l’équipage de la Bounty, ont pu découvrir ; un temps où les crêtes entre vallées représentaient des frontières naturelles entre différents peuples guerriers dont les affrontements se terminaient souvent par un rituel culinaire… du côté des vainqueurs (le plus adroit au casse-tête !).



Aujourd’hui seule la chasse au cochon dans les montagnes rappelle encore cette coutume que les marquisiens évoquent toujours sans complexe et avec humour. Mais attention ce droit leur est réservé ! Lors d’un séjour dans la baie de Hakawi, Gilles a pu accompagner Teiki à la chasse, alors que les chiens avaient flairé la piste d’un gros bouc sauvage. Si certains chassent avec une arme à feu, d’autres chassent à mains nues. L’animal est pisté par les chiens, qui finissent par l’épuiser et l’immobiliser. « Nous sommes alors arrivés avec une corde terminée par un nœud coulant passé à l’extrémité d’une perche en bois, rapidement réalisée par la machette de Teiki. Le nœud coulant est venu enserrer les cornes de l’animal que nous avons ensuite rapporté dans la vallée, où il a été saigné. »

Nulle part ailleurs depuis le début de notre voyage nous n’avons rencontré un peuple avec une culture aussi forte, à l’image de leurs îles qu’ils appellent Henua Enana : Terres des Hommes. Une terre qui peut paraître inhospitalière par son relief mais dont les vallées verdoyantes parce qu’alimentées par des rivières abondent de biens naturels.




Autres particularités de la culture marquisienne : le tatouage. Interdit à l'époque des missionaires, cette tradition très codifiée à l'époque avait complètement disparue. Depuis quelques années elle retrouve une seconde naissance et bon nombre de voyageurs succombent à la tentation de rapporter un souvenir permanent sur l'épiderme. Avons-nous succomber ? Vous verrez bien !



Les eaux Marquisiennes sont riches d’êtres vivants et notamment de plancton qui attire toute une chaine alimentaire, jusqu’aux plus gros des spécimens : raie Manta, requins et orques. Malheureusement (ou heureusement !) la plupart d’entre eux restent invisibles, tellement la soupe primitive est épaisse. Dans la baie de Taiohae, la visibilité sous l’eau ne dépasse pas 50 cm ! Autant dire qu’avec la quantité de requins divers, marteau, gris, tigre et même citron, nous avons rapidement abandonné l’idée de nous baigner autour du bateau. Autre rencontre imprévisible mais indésirable : les nonos. Silencieux, invisibles par leur taille minuscule et… terribles par leur piqûre infectieuse ! Le dos du Capitaine en fera les frais dans la baie d’Anaho. Autre inconvénient de cette abondance de vie aquatique qui trouve dans cette eau à plus de 30 degrés les conditions nécessaires à son développement : son attirance particulière pour la surface mouillée de notre pauvre Coccinelle ; idéale pour y venir nicher car les places vacantes sont chères. Les colonies amatrices sont sur le pied de guerre et reviennent inlassablement, ne laissant que peu de répit au plongeur entre les carénages. On baisse la garde quelques jours et on aperçoit déjà des crabes qui remontent le long de la coque.


Ua Pou













Nous avons profité des vacances scolaires de février pour aller visiter l’ile de Ua Pou. Un coup de cœur pour ses montagnes qui, quelque soit le rivage par lequel on les aborde, nous offrent un bouquet de pics volcaniques sur un socle verdoyant, évoquant un château de fée au pays des elfes et des ogres, digne d’un décor des histoires de Tolkien.



Et comme à chaque fois qu’on se sent bien dans un endroit le temps file à toute vitesse. Nous nous préparons déjà pour notre prochaine traversée vers Hawaii. Nous quittons les Marquises sans en avoir découvert tous les secrets mais avec la promesse consolante d’y revenir la saison prochaine, après avoir pointé notre étrave vers l’Alaska, la Colombie Britannique, puis la Californie. So long……



mardi 18 mars 2014

Une Coccinelle à Hao.

Par Armelle et Gilles

Si l’orientation du vent nous avait permis d’aller directement vers les îles Marquises, alors nous ne serions pas venus à Hao (à prononcer en inspirant le H), aux Tuamotu, et cela aurait été bien dommage. Car nous serions passés à côté de belles rencontres.


-          « Nous sommes en retard ! 
-          Comment ça en retard ? Personne ne nous attend ! » 
Le Capitaine regarde sa montre et précise :
-          « Nous avons deux heures de retard. C’est terminé on ne passera pas.»
Déçu et le visage fatigué par cette dernière nuit en mer à veiller pendant la remontée le long de la côte de Hao, Gilles regarde fixement la côte, là où le récif s’interrompt pour laisser place à une barrière d’écume qui peu à peu, à mesure de notre approche, se met à gronder de plus en plus fort. C’est la passe de Hao, réputée pour sa relative dangerosité en dehors des horaires navigables, basés sur celles des marées évidemment. Et comme un métronome, dès la renverse, le courant sortant (qui peut atteindre jusqu’à 20 nœuds, un record mondial probablement) reprend sa place et vient défier le vent contraire créant un joyeux bouillonnement infranchissable. A moins d’avoir les chevaux suffisant, ce qui manque malheureusement à notre Coccinelle.
En toute logique il faudrait attendre la prochaine marée. Mais le Capitaine, têtu (puisque breton) décide d’aller voir.
-          « Juste un p’tit coup d’œil. »
Dit-il. Comprenez : « On va tenter l’coup. »
Nous abordons la passe par l’ouest, les rouleaux qui bordent celle-ci ne nous laissent entrevoir le passage qu’au dernier moment, révélant finalement un étroit goulet d’eau, déjà bien agité, de quelques dizaines de mètres de large seulement. Cela semble praticable. Allez zou, on y va ! Nos 27 chevaux appuient les voiles et se lancent à l’assaut d’un courant qui, nous l’espérons, n’excède pas encore notre vitesse maximale de  6 nœuds. Nous progressons d’abord à vitesse lente, longeant les rouleaux qui viennent fracasser le récif, puis au beau milieu du parcours le paysage défile soudain… dans le mauvais sens. Trop tard ! Nous sommes refoulés lamentablement. Mais comme le Capitaine, je vous l’ai dit, est têtu, nous ré essayons mais cette fois en longeant la limite est de la passe. Et c’est avec une très lente progression que nous pénétrons dans les eaux calmes et claires du lagon. Nous voici donc dans un des atolls les plus grands des Tuamotu : une aire de jeux de près de 30 milles de long, protégée par un anneau de corail.


Nous prenons la direction de l’unique village de l’atoll, Otepa.
Dès le premier jour nous faisons la connaissance de Mirabelle et Ronald. Ils tiennent le snack ‘Chez Tia’, du même nom que leur dernière fille qui deviendra rapidement l’amie de Camille et Apolline. Cette joyeuse famille qui compte quatre enfants nous réservera un accueil chaleureux pendant tout notre séjour.



Dès le premier soir nous découvrons le poisson cru, façon Ronald, délicieux ! Un brin de causette avec le chef, et le lendemain, des vélos pour chacun nous attendaient devant le snack.

Les Tuamotu, le plat pays de la Polynésie.
En l’absence toute relative de voitures, le tricycle s’avère être le mode de transport le plus adapté au village. Il permet de se déplacer, mais le grand panier à l’arrière, ou l’autre à l’avant, peut aussi recevoir des enfants : 


Apolline s’en accommodera joyeusement, calée entre deux coussins. 

Une autre fois, nous nous amuserons de ce bébé, âgé d’un peu plus d’un an peut-être, et que sa maman promène dans le panier avant de sa bicyclette. Nous en apercevrons même deux, coincés dans le dit panier !
Les Tuamotu, c’est un peu comme les Pays Bas, le climat en prime ; le paradis du vélo, et ce pour une raison toute simple : ça ne monte pas. 



Le point le plus élevé d’un atoll est celui du plus haut cocotier, ou du clocher, et vu qu’en général on ne monte pas à vélo au sommet des arbres ou des églises… Sinon le platier ne s’élève qu’à quelques mètres au dessus du niveau de la mer. Aux Tuamotu, l’anneau de corail dispose parfois d’une passe qui permet d’accéder à l’intérieur du lagon ; sur ceux qui en sont dénués, le ravitaillement par la goélette (Taporo, Nuku Hau, Aranui) se fait à l’extérieur, sur un point de débarquement. Evidemment, de telles arrivées sur le platier de corail sont toujours un peu rock’n’roll. Les atolls sont d’anciens cratères de volcans qui se sont effondrés et enfoncés sous la surface de la mer. La partie émergée du cratère, à quelques mètres sous la surface de l’eau, a vu ensuite se développer du corail, et la vie y a prospéré. On compte plus de 80 atolls dans l’archipel des Tuamotu, le plus grand mesure 80 km de long, Hao, avec ses 60 km, fait partie des grands.

Nous nous sommes donc levés de bon matin et nous sommes partis sur les chemins de Hao, à bicyclette. Ou plutôt sur le chemin de Hao, puisque seule une route circule sur quelques kilomètres le long du motu principal, où se trouve le village de Otepa avec ses 1.000 habitants. 

Rapidement Maramatea (dite Tia) et Manuarii (son grand frère) prendront l’habitude de venir rejoindre nos filles après l’école, souvent en compagnie d’une bonne partie des enfants du village, pour des baignades, plongeons et sauts depuis la plateforme arrière, qui devient rapidement le plongeoir de piscine le plus couru de l’atoll. 



Il faut dire que grâce au petit tirant d’eau de Coccinelle, nous avons un mouillage de choix, une marina pour nous tous seuls, en plein cœur du village, avec vue sur le lagon. 




Les enfants deviennent vite inséparables, si bien que Camille ira dormir chez ses amis Paumotu bon nombre de fois. Et nous aurons le plaisir également d’accueillir Tia et Manuarii à bord tout un week-end.





Vagabond des Mers du Sud.
Quand il était ado, Ronald, natif de Raiatea, aux îles sous le Vent, rêvait avec ses deux frères d’acheter un voilier et de partir faire le tour du monde. Ce rêve il ne l’a pas encore réalisé. Un dimanche, Mirabelle et Ronald nous proposent spontanément d’aller manger le poisson grillé au faré (maison traditionnelle) de Francine, la maman de Mirabelle.
-          « Et si au lieu d’y aller en voiture, on y allait en bateau ? » 
propose le Capitaine. Banco ! Dimanche matin, Maramatea, Manuarii, Maona, Kahaya et leurs parents, toute la famille donc, embarque à bord de Coccinelle, pour un baptême de navigation à la voile dans le lagon. 






Cerise sur le gâteau, le vent est léger et bien orienté, le spi est extirpé de son sac et bientôt illumine le ciel de Hao, quelle belle journée ! Arrivés devant le faré, l’ancre légère est venue se poser sur le fond de sable entre deux patates de corail, puis tout le monde s’est jeté à l’eau pour rejoindre le motu à la nage. 



Ronald a grillé du poisson, tandis que les enfants jouaient au milieu des patates de corail, dans l’eau tiède et turquoise du lagon. 



Il ne manquait plus que la plage de sable fin. Chance incroyable, au moment du retour, le vent avait tourné, et nous avons pu renvoyer la grande bulle bleue. Ce fut pour nous l’une des plus belles journées depuis que nous avons commencé notre voyage, il y a 17 mois déjà, au cours duquel nous avons déjà parcouru plus de 15.000 milles, soit 28.000 km environ. So long…



Hao, late Atomic City.


A l’époque du CEP, le Centre d’Expérimentation du Pacifique, les bombes atomiques, fabriquées bien sûr en France, transitaient par Hao où elles arrivaient en pièces détachées. C’est ici qu’elles étaient assemblées avant d’être transportées dans les deux atolls concernés, à 250 milles d’ici : Mururoa et Fangatofa. L’atoll comptait plus de 5000 résidents, les militaires et leurs familles bien sûr, les employés du CEA, le Comité à l’Energie Atomique, et surtout de nombreux sous traitants, des civils polynésiens venus de Tahiti ou des autres îles. L’économie de l’île était florissante et le commerce prospère.
Pendant ce temps, l’économie traditionnelle des atolls, la pêche bien sûr, mais aussi la copra culture, ont été délaissées, les cocoteraies n’ont pas été entretenues, ni renouvelées. En 1996, le dernier tir a eu lieu, et les militaires ont commencé à démonter leurs installations, dont il ne reste aujourd’hui pratiquement plus rien. De cette période l’atoll a donc hérité d’une gigantesque piste d’atterrissage et d’une usine de dessalement.

L’avenir de Hao

Aujourd’hui ses 1000 habitants tentent de recréer une économie viable, entre autre en relançant la copra culture ou en développant le tourisme.
Les Paumotu sont souvent obligés de quitter leur atoll pour poursuivre leurs études, souvent à Tahiti, d’où ils ne reviennent pas toujours. Ainsi Ronald et Mirabelle, conscients que c’est entre leurs mains que se joue l’avenir de leurs enfants, s’investissent beaucoup dans la vie sociale et économique de leur atoll.
Hao possède un potentiel, deux jolis bassins bien fermés et qui ne demandent qu’à recevoir des voiliers de passage. Il n’existe pas de moyen de levage dans cette partie des Tuamotu, peut-être un jour un investisseur va-t-il créer une structure capable de sortir et stocker des voiliers hors de l’eau ?
L’escale vaut le coup, le lagon offre de belles plongées au milieu des requins et des raies Manta. L’accueil des habitants est des plus amicaux. Ronald et Mirabelle nous diront à plusieurs reprises :
-          « Dites à vos amis les voiliers qu’ils sont les bienvenus ici, à Otepa. »

En Polynésie, le visiteur reçoit des colliers, de fleurs lors de son arrivée, et de coquillages au moment du départ. Pour respecter la tradition, lors de notre départ, nous serons submergés de jolis colliers en porcelaine.
Le 7 décembre au petit matin, nous quittons Hao et les Tuamotu pour les Marquises. Et de nouveau, mais cette fois comme pour nous retenir, l’unique passe de Hao accomplira une nouvelle démonstration de puissance, à travers laquelle notre Coccinelle fonce tête baissée, écoutilles fermées.