mardi 26 novembre 2013

Pitcairn, bis et repetita.

Dans un post précédent, nous vous avions raconté notre escale familiale à Pitcairn. Fin octobre, je suis retourné chercher des Pitcairnais dans leur île, pour les conduire à l’aérodrome de Mangaréva, avant de les ramener une semaine plus tard à Pitcairn.

Par : Gilles.



La proposition est arrivée en août, par un bateau de nos copains, une grosse unité de 21 mètres financé en partie par la mise à disposition ponctuelle du bateau auprès d’une agence de voyage basée en Californie. Il s’agit parfois de charter classique, mais le plus souvent d’expéditions lointaines, dans des coins improbables, isolés de tout. Ainsi quand nous étions arrivés à Pitcairn pour la première fois, en juin, ce bateau y avait chargé des centaines de kilo de matériel, ainsi que quelques ‘piafologues’ (expression empruntée à Isabelle Autissier), et qu’ils avaient ensuite déposés à Henderson, puis à Oéno. Ces deux îles, avec Ducie et Pitcairn, forment ce que l’on appelle l’Archipel de Pitcairn.
Il nous a donc été proposé un transport assez particulier, qui a consisté à se rendre à Pitcairn, y charger trois Pitcairnais pour les ramener à Mangaréva, où ils prendraient un avion pour se rendre à Papeete. Là-bas devait se tenir la première édition du festival Bounty Tahiti, qui vise à supporter la reconstruction de la célèbre Bounty, en vue d’une exploitation touristique sur Tahiti et ses îles. Il existait jusqu’à l’an dernier une réplique de la Bounty, nettement plus grande que l’originale (et qui avait servi de support notamment dans le film de 1963 avec Marlon Brando), mais qui a fait naufrage l’an dernier au large des côtes Nord Américaines de Virginie, engloutie par les vagues du cyclone Sandy.
Une semaine après les avoir déposés à l’aérodrome de Togegegie, qui dessert les Gambier, je devrais les ramener dans leur île perdue au milieu de l’Océan Pacifique sud, à 600 kilomètres des Gambier, à 2000 kilomètres de l’île de Pâques, et un peu plus encore de Tahiti. Pitcairn est desservie quatre fois par an par un cargo mixte qui vient de Nouvelle Zélande, à 3000 milles de là. En dehors de ces rotations, en cas de besoin, des voiliers le plus souvent sont affrétés. Dans le cas de notre voyage, les frais ont été pris en charge par le gouvernement de Pitcairn, via le gouvernement Britannique.

La belle équipe ! : Mike, Brenda, Meralda et Gilles


Aussi pléthore de cartons se sont-ils entassés sur le pont, puis dans un hangar à terre à Rikitéa.
A partir du moment où l’accord a été conclu, et même avant car il a fallu anticiper la préparation, nous avons passé en revue l’aspect général du bateau, avant d’entrer dans les détails de ces travaux qui, deux mois plus tard, allaient nous permettre de faire ce transport avec un bateau qui, à défaut d’offrir un très grand confort en termes de place, douches, etc., n’aurait rien à envier à qui que ce soit pour ce qui est de l’entretien ou la propreté. Parmi celles-ci, la capote faisait partie des grosses priorités, ses plastiques étaient complètement faïencés, j’ai donc ressorti la machine à coudre, les aiguilles et les ciseaux ; le sunbrella, tissu rouge nécessaire à la réfection, était présent à bord depuis plusieurs mois déjà, il ne manquait que la motivation : la capote a donc retrouvé une nouvelle jeunesse, elle est désormais plus jolie, étanche (si si…), et surtout elle présente bien. Mille et un petits travaux se sont donc succédés, de la couture encore sur l’easy bag (cette pièce de tissus rouge dans laquelle la grand-voile vient, sur la bôme, se ranger), et la grand-voile elle-même, dont les accrocs n’avaient pas été réparés depuis l’Océan Atlantique. Nous avons aussi fait quelques retouches de gel coat, des lattes de teck à recoller, sans parler de l’intérieur, avec notamment un récurage total et intégral des coffres, un nettoyage poussé de tous les coins et recoins, un traitement de toutes les boiseries, polishages des cuivres et des inox. Armelle a également passé des heures et des heures à raccommoder de nombreux tissus, rideaux, en raison de l’invasion de mites qu’il a fallu combattre par un traitement de grande ampleur…. Nous avons aussi investi dans trois parures de draps complètes, pour que l’impression de nos passagers soit la meilleure. Rien n’a été négligé !

 

Je m’en irai seul à l’aventure braver les eaux du Pacifique Sud pour me rendre à Pitcairn, un îlot Britannique infesté de descendants de mutins.
Quelques jours avant le départ pour Pitcairn, nous avons aussi ‘dégraissé le mammouth’, ou plutôt l’éléphant, tant il y a de choses à bord et qu’il fallait vider des cabines pour que les passagers se sentent chez eux. Aussi pléthore de cartons se sont-ils entassés sur le pont, puis dans un hangar à terre à Rikitéa, avec en vrac les béquilles du bateau et les roues de l’annexe, les tentes et les livres des filles, toutes ces affaires dont nous n’avons pas besoin pour naviguer et qui libèreraient poids et volumes. A l’occasion de ce premier voyage, Apolline, Camille et Armelle n’ont pas trouvé de location à terre. Il y avait bien les pensions qui accueillent des touristes, mais à 80 € la nuit, le bénéfice des transports aurait bien vite été englouti. Aussi deux bateaux copains se sont-ils proposés pour héberger les filles Ruffet à leur bord, pendant que leur marin de papa s’en irait seul à l’aventure braver les eaux du Pacifique Sud pour se rendre à Pitcairn, un îlot Britannique infesté de descendants de mutins, et pas n’importe lesquels puisqu’il s’agit des mutinés de la Bounty ; en prendre quelques uns à bord, et les ramener sains et saufs à la civilisation, en évitant toute forme de mutinerie : avec des descendants de Fletcher Christian et de sa compagne Maimiti, mieux vaut se méfier !
Les conditions à l’aller se sont avérées royales, un peu de moteur au départ, une journée complète sous spi, un peu de près, et déjà, dans une belle lumière de petit matin, les contours de Pitcairn apparaissaient. Pour la deuxième fois consécutive, après notre escale du mois de juin, les Dieux de la Mer ont été favorables avec moi, et j’ai pu mouiller Coccinelle en sécurité et ainsi descendre à terre. Quel plaisir de retrouver ces têtes connues trois mois plus tôt, il faut dire qu’ils n’ont pas eu une seule visite de voilier depuis la nôtre. Seul le Claymore a fait une rotation avec la Nouvelle Zélande. Je refais un petit tour au musée, en profite pour faire quelques courses, et après un repas pris comme la dernière fois chez Carol et Jay Warren, leur fille Charlène et leur petite fille Torika, je me suis offert une petite balade sur les hauteurs de Pitcairn. Que cette île est belle sous le soleil, des chemins de terre rouge la sillonnent de part en part, et sont conçues essentiellement pour les quads. Mes pas me conduisent ainsi à ce que fut la station radio, qui avant l’avènement du satellite, représentait le seul lien de Pitcairn avec le monde extérieur.
J’avais donné rendez-vous à Jay ainsi qu’à mes passagers à 16h00, mais ma promenade a duré plus que prévu, le temps a filé et à ma décharge je n’avais pas pris l’heure avec moi. Le temps de récupérer le gros panier de légumes que m’avait préparé Carol, que déjà Charlène me déposait avec son quad sur le port. Jamais je n’avais vu autant de monde à Pitcairn ici sur le quai, j’ai évalué à une quarantaine le nombre de personnes présentes alors, venues saluer le départ de trois des leurs, partis à Tahiti y représenter leur île, dans un projet de reconstruction du bateau qui avait amené ici leurs ancêtres, 225 ans plus tôt. Sachant que l’île compte une cinquantaine d’habitants, c’est donc la quasi-totalité de Pitcairn qui était là pour nous ce jour-là. Et j’étais en retard…
Après avoir chargé leurs bagages et le matériel pour le salon, mais aussi des kilos et des kilos de tomates, quelques régimes de bananes, et mes passagers, j’ai commencé à balancer la bringuebale du guindeau manuel d’avant en arrière, puis d’arrière en avant, faisant ainsi remonter, lentement, au gré de mes mouvements lancinants, les 35 mètres de chaîne, qui durant ces quelques heures avaient assuré le lien entre notre ancre de 20 kilos et Coccinelle, qui a pu alors reprendre le chemin de Mangaréva.

 
 Au mouillage lors du voyage aller.

Mike a passé ce premier voyage à fond de cale, allongé sur l’une des couchettes du carré, coincé entre banquettes et toile anti rouli.
Meralda Warren est la sœur de Jay Warren, elle est artiste. Elle écrit, chante, joue de la guitare et du Hukulele. Surtout Meralda est l’une des dernières dépositaires du savoir faire ancestral de la fabrication du Tapa (www.maimiti.pn). En Polynésie ils ne sont plus que quelques uns, à part Meralda, on les trouve à Fatu Hiva, aux îles Marquises. Le tapa est issu de l’écorce de divers arbres, elle est décollée, lavée, rincée, séchée, travaillée, jusqu’à obtenir cette sorte d’étoffe qui servait à vêtir les anciens Polynésiens. Meralda transforme ses tapas en œuvres d’art, sur lesquelles elle pousse la perfection en fabriquant elle-même l’encre avec laquelle elle va dessiner. Elle vend ensuite ses œuvres sur différents salons, quand elle a l’occasion de s’y rendre, comme le salon Bounty Tahiti. Ou aux paquebots, qui sont de plus en plus nombreux à faire escale à Pitcairn chaque année.
Brenda Christian est née elle aussi à Pitcairn, même si elle a passé la moitié de sa vie en Angleterre, ou ailleurs dans le monde, là où l’a conduite sa carrière de militaire. Des deux femmes, Brenda est celle qui a les traits les plus métissés, avec de longs cheveux noirs ondulés, un teint hâlé. Descendante d’un mutiné Anglais et de sa compagne Tahitienne. Mike Lupton quant à lui est Anglais et est le mari de Brenda. Tous deux se sont connus en Angleterre, jusqu’à ce que Brenda lui dise :
-          Chéri, je t’emmène sur mon île…
Cela fait désormais 14 ans. Les quelques nœuds de vent portant du départ, associés aux 3 mètres de houle de sud, traversière donc, ne représentent assurément pas la meilleure entrée en matière pour une mise en jambe des estomacs : à peine avions nous quitté la protection de l’île que déjà Mike, malgré le patch derrière l’oreille et autres remèdes de cheval, remplissait la petite bassine blanche que désormais il n’allait plus quitter, pas un seul instant, tout au long de la traversée. Mike a passé ce premier voyage à fond de cale allongé sur l’une des couchettes du carré, coincé entre banquettes et toile anti rouli, et avec pour autre compagnon un rouleau de Sopalin, et une boîte de médicaments. Même pour aller au petit coin, il emmenait avec lui sa bassine, qu’il a fini par appeler ‘my friend’, mon amie ; car le moindre de ses déplacements déclanchait dans son estomac des rejets dont je vous épargnerai la description. Mike n’a mis le nez dehors, dans le cockpit, que lorsque Coccinelle a pénétré dans les eaux protégées du lagon des Gambier, deux jours et demi plus tard.
C’est donc en compagnie de Meralda et de Brenda que j’ai découvert ce que j’ai décrété être le plat national de Pitcairn : The Roll. Le roll, c’est un biscuit cuisiné à base de farine, d’huile, et d’autres ingrédients dont j’ai oublié le nom. La pâte est roulée à la main jusqu’à obtenir comme un gros spaghetti d’un diamètre de 15 mm environ, et qui va être cuite au four. Le roll se conserve des mois et des mois dans une boîte étanche. A longueur de journée, les Pitcairnais rongent donc le roll. Le roll, c’est convivial, c’est bon (moi j’aime), c’est nourrissant, et on peut discuter ou encore boire le thé tout en grignotant son rouleau de roll. Et puis, il faut l’avouer, pour les estomacs mal habitués aux mouvements de la mer, ils permettent de s’alimenter un tant soit peu. Au bout du compte, mes hôtes ne nous ont pas coûté bien cher en nourriture, quelques spaghettis, un plat de viande…
Après les affres de cette première nuit, la mer s’est calmée, et le vent s’est orienté comme il fallait, grand largue, j’ai pu alors envoyer le spi, pour le plus grand bonheur de mes passagères. Petite question. Avez-vous déjà navigué en compagnie de plusieurs femmes ? Prenez donc deux femmes, mettez-les sur un bateau, laissez-les à portée de voix l’une de l’autre et je peux vous garantir sans trop me tromper qu’elles commenceront à papoter alors qu’elles n’auront pas encore trempé leurs lèvres dans leur café du petit matin, et qu’elles ne cesseront de papoter qu’après la nuit tombée. Entre temps, seule une période de sommeil pourra interrompre ces dialogues. Je l’avais déjà expérimenté quand cinq ans plus tôt j’avais ramené Coccinelle (qui s’appelait Gentle Presence), avec Annette et Céline, entre Détroit, Michigan, et Québec. Elles ne se connaissaient pas quand elles sont montées à bord, à Détroit, mais rapidement leurs discussions sont montées en puissance, et elles avaient alors papoté, all days long… Il s’agirait là d’un trait essentiellement féminin.
Au petit matin du troisième jour, Coccinelle est venu s’amarrer le long du quai des goélettes de Rikitéa. Meralda, Brenda et Mike sont partis à la boulangerie, y chercher quelques baguettes. Ils en sont friands à Pitcairn, et quand vient le Claymore, quatre fois par an, les Pitcairnais passent commande en avance au mitron qui pétrit alors plus de pain. Les baguettes sont congelées, chargées sur le Claymore et ensuite livrées à Pitcairn. Les nouvelles vont vite sur les petites îles, et à peine avions-nous terminé notre petit déjeuner qu’une femme au volant de son gros 4x4 pick up se garait devant Coccinelle en nous apprenant qu’elle venait les chercher pour les conduire à sa pension, jusqu’au départ de l’avion. Personne n’avait pourtant été prévenu de notre arrivée, mais le tambour Mangarévien a fonctionné.
Fin du premier acte, les filles Ruffet sont revenues à bord, et la vie normale a repris son cours, une semaine durant.

 
 Arrivée à Pitcairn

De toutes façons, les fichiers météo ne donnaient aucune meilleure fenêtre avant une semaine.
Dix jours plus tard, Meralda, Brenda et Mike sont rentrés de Papeete. Les marins le savent bien, il existe trois sortes de vent : trop fort, pas assez fort, ou dans le mauvais sens. Parfois deux adjectifs peuvent se cumuler. Le retour vers Pitcairn allait donc se faire avec le vent dans le mauvais sens, sans l’ombre d’une ouverture, celle 
d’un bord de près qui pourrait s’avérer un peu plus favorable qu’un autre : non, ce vent là soufflerait exactement de là où je voulais ramener mes passagers, de Pitcairn. Attendre que les conditions s’améliorent ? Les vents dominants ici soufflent de ESE, c’est l’alizé, et à cette période de l’année, en l’absence de perturbations, il peut ainsi souffler des semaines et des semaines durant. De toutes façons, les fichiers météo ne donnaient aucune meilleure fenêtre avant leur fin de validité, c’est à dire une semaine. Après quelques dernières courses, ils ont donc embarqué, Coccinelle a quitté le quai, sous les au revoirs de Armelle, Apolline et Camille, j’ai envoyé la grand-voile, et tenté de mettre le cap vers Pitcairn. Il faut bien comprendre que quand le vent souffle ainsi exactement de la mauvaise direction, on peut faire route au moteur, contre le vent, à condition qu’il n’y ait pas trop de mer, pas trop de vent. Car sinon le bateau bute dans chaque vague, il n’avance plus, et des litres de gazole sont brûlés sans réel gain. L’autre solution, plus en adéquation avec un voilier, consiste à tirer des bords, les voiles bordées, le bateau bien gîté, en essayant de toujours parfaitement conserver un bateau bien réglé : trop toilé, il se plante dans les vagues, souffre, le gréement aussi, et dans de telles conditions, le risque d’une avarie n’est pas à négliger. A contrario, s’il est sous toilé, le bateau manque de puissance, ne remonte pas bien au vent, et le gain par rapport à la destination est forcément décevant. J’ai du d’autant plus faire attention que Coccinelle était pour ce retour particulièrement chargé : en plus du poids de mes hôtes, ils avaient avec eux bien sûr leurs bagages, mais aussi le reste du matériel qu’ils avaient emmené avec eux à Papeete, ainsi que diverses courses pour Pitcairn : en effet, lors de la précédente rotation du Claymore, le container contenant le lait a pris l’eau et il a été gâté. Mes nouveaux amis sont donc revenus avec des dizaines et des dizaines de boites de lait, plus une centaine de litres en liquide, des boites de jus de fruits, pour un poids total que j’ai estimé à une bonne demi tonne. Avec cet excès de poids, il m’a fallu également prendre garde à la fatigue du gréement dormant. Mieux préparé, Mike a finalement été moins malade qu’à l’aller, mais tous les quatre avons surtout somnolé au cours de ces presque 5 jours : et oui, ça n’est pas glorieux, 5 jours pour parcourir 300 milles en ligne droite, même si ces incessants virements de bord nous ont fait parcourir plus de 450 milles. C’est bien connu, le près, c’est deux fois le temps, trois fois la distance, et quatre fois la rogne ! Au matin du cinquième jour, nous sommes enfin arrivés, j’ai pu mouiller Coccinelle dans la Bounty’s bay, mais un peu trop proche des cailloux à mon goût, et avec ce petit vent qui portait à la côte, je n’ai pas osé laisser la Cox seule au mouillage pour descendre à terre. Une fois mes passagers débarqués, et après que Brenda eut bien failli finir à la baille, j’ai donc remonté l’ancre, salué mes amis de Pitcairn, et repris la route de Mangaréva, que j’ai atteint deux jours et 10 heures plus tard, soit deux fois moins de temps qu’à l’aller.

  Arrivée à Pitcairn

Quand vous lirez ces lignes, nous serons en route pour de nouvelles aventures, la redécouverte des îles Marquises, où nous devrions rester jusqu’à mi avril 2014.

vendredi 22 novembre 2013

Les Gambier, un concentré de la Polynésie

Par : Gilles et Armelle.


Les îles de la Polynésie possèdent de nombreux trésors géologiques : relief volcanique et verdoyant, plages, barrière de corail, anneaux coralliens, lagons, atolls, passes et motus. Tandis que chaque archipel possède en général une ou deux de ces richesses, l’archipel des Gambier, lui, en rassemble la totalité, concentrée sur un minuscule point géographique, un écrin de corail dans l’océan pacifique, mais largement suffisant pour découvrir la Polynésie et y passer notre plus longue escale depuis notre départ !



Le Heiva


Quoi de plus fantastique que d’arriver en Polynésie en pleine préparation du Heiva, la fête traditionnelle la plus importante en Polynésie… et aux Gambier ! Depuis des semaines le village de Rikitéa, scindé en deux quartiers, prépare des spectacles de danse et confectionne de nouveaux costumes. Toute la jeunesse de Mangareva est revenue au village pour l’occasion. Dans un premier temps, la fête consiste à déambuler à la manière d’un carnaval dans les rues de Rikitéa, en dansant devant chacune des maisons ; tout en offrant des paniers de fruits. Les festivités se poursuivent au milieu des ‘baraques’, construites de bric et de broc et qui proposent repas et jeux divers ; puis se terminent par un spectacle de danse et de chant, sur fond de légende polynésienne. Les prix sont ensuite distribués à chacun des participants, jugeant  la créativité des chants, des chorégraphies et des costumes, ces derniers étant pour la plupart entièrement végétaux et donc confectionnés à la dernière minute. Cette fête est l’une des plus authentiques de la Polynésie. Sa motivation est uniquement traditionnelle et non pour attirer le touriste (et pour cause, ce dernier se compte sur les doigts de la main aux Gambier, surtout en cette saison).

 Nous plongeons donc au cœur de la culture polynésienne, avec des yeux et des oreilles complètement vierges et impatients de prendre le rythme et d’entrer dans la danse.




Le mauvais temps, habituel en cette saison, n’aura pas épargné la fête, ni nos premières nuit au mouillage ; il n’aura pas non plus fait chanceler les danseurs qui jours après jours répéterons le ‘pe’ (à  prononcer comme le petit vent malodorant !), perpétuant la survivance de rites festifs. Nous serons conquis par l’ambiance ! 


Dany, le chef de file de l’une des deux troupes de Mangaréva, a convaincu ses danseurs de faire une représentation uniquement pour les équipages des voiliers. Merci Dany !
 

Et nous aurons droit au deuxième acte en allant à la fête de l’Assomption le 15 août à Akamaru pendant laquelle un jeune couple célébra son mariage, en même temps que la venue de l'Evêque, accueillis au souffle du conque.




Sous la houlette de Dany, sans qui la culture ne serait pas ce qu’elle est aux Gambier, la chorale a donc entonné les plus beaux des Hymens, ces chants religieux uniques à la Polynésie.


Un gigantesque barbecue a été offert à l’ensemble de la population présente. Puis la cérémonie a repris, et le païen a pour un temps succédé au religieux. Les danseurs en tenue traditionnelle ont investi le lieu et interprété une version très ‘Mangarévienne’ des Noces de Cana, les plus incultes et les plus athées connaissent cette scène au cours de laquelle JC, invité à un mariage, transforma des amphores, remplies d’eau au départ, en vin, du plus grand cru, pour faire face à une défaillance des mariés et de leurs familles qui avaient nettement sous estimé la quantité d’eau de Bacchus nécessaire à la satisfaction des convives. 






Taravaï
L'Eglise St Gabriel de Taravaï

Notre première destination, lorsque nous nous décidons enfin à quitter notre abri sûr, est Taravaï. L’Ile la plus occidentale de l’archipel (à pas moins de 5 milles de Rikitéa !). Taravaï demeurera un vrai coup de cœur pour nous, de par ses mouillages sauvages sur la côte ouest, et l’accueil incroyable des rares familles qui y habitent. Celles-ci vivent en quasi complète autonomie, équipées de panneaux solaires, de réservoirs récupérant l’eau de pluie, de culture et d’élevage ; et toujours prêtes à accueillir le visiteur de passage, pourtant nombreux en cette saison. Nous étions 27 bateaux dans l’archipel et l’on peut supposer que pas moins de 90 % d’entre eux sont passés par là ! C’est là que nous y ferons notre initiation aux découvertes culinaires : co ino ino au lait de coco, beignets de coco, boulettes de poissons, uru (fruit de l’arbre à pain), muscles de nacre, et nous repartirons chaque fois les bras chargés de fruits et légumes.

Nous réserverons dans notre cœur une place privilégiée à ces après-midi de farniente passées en compagnie de la famille de Mamako, se terminant par une partie de pétanque, de volley ou de frisbee, le ventre repu des nombreux mets apportés par chacun des voiliers invités, accompagnant le porc au barbecue sacrifié le matin même pour l’occasion.

Un après-midi chez Mamako, le chien de Hervé et Valérie
Alan de Taravaï et nos p'tits matelots
Le mauvais temps

Mouillage dans la baie d'Onemea à Taravaï...par mauvais temps

« Coccinelle - Coccinelle - Coccinelle - d’Arpatas ! », la VHF nous réveille aux premières lueurs du jour. Au ton cela semble urgent. Gilles décroche l’écouteur de la VHF et la voix encore sommeillante répond présent à l’appel. Notre voisin de mouillage, navigateur expérimenté, nous signale calmement que la dernière rafale vient de retourner notre annexe. A peine ses mots achevés qu’une seconde rafale vient la retourner à nouveau, puis une 3ème encore venant parachever l’évènement… dans le mauvais sens évidemment ! Et Jacques, à demi-amusé, poursuit dans le haut-parleur et commente l’affaire : « Ah non c’est bon !... Ah non faut y aller là ! ». Comme annoncé, le vent a encore forcit et légèrement tourné. Il faut lever l’ancre en vitesse et changer de mouillage. C’est malheureusement devenu une habitude depuis notre arrivée à Taravaï. La solidarité entre plaisanciers prend le pas, nos voisins nous aident à récupérer sur la plage tout ce qui était dans l’annexe, embarquent nos filles à leur bord pour nous permettre de rincer le moteur de l’annexe à grande eau. Quelques temps plus tard, en compagnie des deux autres bateaux avec qui nous étions mouillés dans une petite crique paradisiaque, nous levons l’ancre au plus vite, et allons nous réfugier plus au nord. De retour à Rikitéa, le lendemain, nous découvrirons, vu le nombre de plaisanciers le nez dans leur moteur, que notre annexe n’aura pas été la seule à faire la crêpe !

Durant les deux premiers mois de notre séjour, les fenêtres météo permettant des excursions dans les îles auront été courtes. Ce fut pour nous, avouons-le, une mauvaise surprise, nous nous attendions naïvement à pouvoir goûter tous les jours aux eaux turquoise du lagon. Finalement les occasions auront été assez rares pour les frileux que nous sommes devenus, conséquences d’une tropicalisation opérée depuis des mois, un handicap accentué par une solubilité à l’eau de pluie.  

Temps presqu'habituel au mouillage de Rikitéa

Heureusement les surprises et distractions ne manquent pas pour les enfants : un dimanche midi, alors que nous sommes restés à Rikitéa car il a plu sans interruption depuis deux jours, vers le milieu de la journée le ciel s’éclaire, un curieux appel à la VHF interpelle nos deux petits mousses. Le capitaine de Black Pearl annonce avoir trouvé une bouteille à la mer renfermant un énigmatique message. Les enfants de tous bords se précipitent aussitôt et une longue chasse au trésor, organisé en secret par l’équipage, commence à travers le village. Une sympathique initiative qui viendra égayer la fin d’un de ces trop nombreux week-ends pluvieux.


Les enfants de bateau

L’école mangarévienne

Un mois et demi après notre arrivée, le voyage a pris un rythme différent de celui auquel nous avions été habitués jusqu’à présent. Les journées d’escale qui étaient rythmées par le CNED, les courses et la préparation des repas, l’entretien du bateau et les discussions avec les voisins de mouillage, ont pris un autre tournant : fin août, Apolline et Camille ont pris le chemin de l’école de Rikitéa, et se sont jointes aux quelque 200 élèves inscrits à l’école communale. Chaque matin, chacun son tour, une annexe faisait le tour des bateaux-famille et partait déposer, le long du quai de l’école, pour 07h20, les seules petites têtes blondes de l’établissement, avant de les récupérer l’après-midi à 15h30, à la sortie de l’école, marquée non par une sonnerie mais par le son de tambours mangaréviens. Ces percussions rythmeront aussi le début des cours, la récré, la cantine… La première fois on trouve ça très pittoresque, et puis après on s’y habitue, l’exceptionnel devient le quotidien et c’est très bien ainsi.
Apolline allait à l’école pour la première fois, elle a rejoint la classe de Madame Dounia, en moyenne section ; Camille quant à elle est passée aux choses sérieuses, et a intégré la classe de CE 1 avec Madame Irmine. Chaque lundi, une ‘cérémonie’ rassemble tous les élèves et leurs maîtresses pour une sorte de salut aux drapeaux. Dans la cour de l’école, trois pylônes, hauts de six à sept mètres peut-être, reçoivent chacun son drapeau, le Mangarévien, celui de
Dès le 1er  jour, l’appréhension des filles laisse place à l’enchantement, celui de se faire de nouveaux amis, de quitter le cocon parental et d’apprendre de nombreuses choses avec un charmant accent mangarévien. Les parents peuvent enfin savourer des journées presqu’entières sans rabâcher le sempiternel « fait pas ci, fais pas ça ! ». Imaginez depuis plus d’un an que nous sommes 24h sur 24 ensemble dans un espace confiné n’excédant pas les 12m3 et aux règles de sécurité drastiques. Cette expérience aura fait le plus grand bien aux petits comme aux grands. Et le soir tout le monde est content de se revoir !

   L'école de Rikitéa

                                                                                        La cathédrale St Michel de Rikitéa

La vie de robinson


Le week-end, si le temps le permet, dès le vendredi midi, c’est la transhumance des voiliers familiaux qui, comme nous, profitent de cette courte liberté pour effectuer une échappée belle, vers les îles ou les motus du lagon, y vivre quelques heures à la Robinson. Dans des mouillages paradisiaques, aux multiples dégradés de bleu, nous posons notre ancre dans une eau claire et turquoise, non loin d’une belle ‘patate’ de corail peuplée d’espèces multicolores, bercés par le grondement du ressac de l'autre côté de la barrière qui nous protège Nous savourons enfin nos premières expériences de lagon du Pacifique.  

Nous y tenterons de pêcher la langouste et la cigale au clair de lune sur le platier de corail ; sans succès, mais rien que l’expérience d’une balade nocturne, à jouer les prédateurs, sur le corail, vêtus d’une combinaison et d’épais chaussons, de l’eau jusqu’aux genoux et une puissante lampe à la main, vaut le détour. Nous irons ramasser les cocos et les oranges sauvages, arpenter les plages et le corail à la recherche de coquillages, et manger la pêche du jour en brochette au feu de bois sur la plage. 
Difficile d'accéder à la plage à cause des platiers de corail.

Chaussures obligatoires sur le corail !




Avouons-le, il s’agit de la pêche des voisins de mouillage, car je n’ai pas encore dépassé le stade du 1er cours de chasse sous-marine, un peu échaudée par la présence des requins et de la ciguaterra. Cette dernière touche pratiquement toutes les espèces de poissons coralliens présentes dans le lagon, et il faut un œil averti pour repérer les rares d’entre elles qui échapperaient à la malédiction. Les discussions sur la comestibilité de tel ou tel poisson animent bon nombre de nos rencontres et curieusement le discours diffère largement suivant notre interlocuteur. Difficile de se faire un avis. Nous nous contenterons de manger le poisson qui nous sera occasionnellement offert et toujours en petite quantité. Et nous découvrirons finalement que la ciguaterra n’est pas qu’une menace fantomatique, grâce à des voisins de mouillage, férus de chasse sous-marine, qui en auront fait la malheureuse expérience.



Le ravitaillement
Le ravitaillement des îles se fait au rythme du passage des goëlettes, le Taporro, 6 ou 8, et le Nuku Hau. Cela commence par une rumeur qui petit à petit devient une info à confirmer, pour enfin devenir quasi certaine que « le prochain cargo c’est pour mardi !». « Oui mais lequel celui qui a du gaz ? Ou des œufs ? » Et alors le mardi matin, à l’aube, à peine le cargo amarré toute l’île défile sur le ponton et vient chercher ses denrées, commandées directement à Tahiti. Et le lendemain rebelote, devant les magasins : « 1er arrivé, 1er servi et y’en aura pas pour tout le monde ! ». Car en effet il se passe souvent près de 3 semaines entre deux cargos, et les commerçants ne découvrent qu’à l’ouverture des cartons ce qu’ils ont reçus. Les commandes ne correspondant souvent pas aux livraisons, cela engendre des petites périodes de pénuries sur certains produits. Alors comme tout le monde on finit par devenir opportunistes : on achète en quantité ce qu’il y a et on s’en contente.

 le Taporo parmi les voiliers au mouillage de Rikitéa

Pour les fruits et les légumes, c’est autrement compliqué. Ceux-ci ne se vendent pas car tout le monde en a en quantité dans son jardin, et il est d’usage de les offrir aux visiteurs de passage. Passées les premières semaines, où notre statut de nouveaux arrivés nous permet d’en bénéficier largement, nous nous accommoderons en proposant ensuite le troc, pour finir par ne plus nous adresser qu’aux rares maraîchers vendant le produit de leur récolte, tout aussi rare malheureusement.

Ce que nous retiendrons d’ici c’est que pour avoir une info, il ne faut pas hésiter à solliciter un villageois ni même à redemander aux voisins si le 1er n’a pas su et ainsi de suite sans se lasser car on fait parfois de nouvelles découvertes même après 3 mois de séjour dans l’île. Les nombreuses petites cantines ne sont pas toujours signalées depuis l’extérieur, encore moins les maraîchers ou ceux proposant un service particuliers. Inutile ! Tout le monde est supposé le savoir. Et si vous voyez une personne sur le bord de la route avec une glacière ou une marmite, sous-entendez : ‘échange bon p’ti plat contre monnaie’.


La perliculture



Aujourd’hui John nous fait visiter sa ferme.











Nous allons enfin découvrir le secret de la perle noire : un écosystème basé sur le corail, des eaux pas trop chaudes, une nacre et un nucleus, le temps faisant le reste. Une recette de fabrication uniquement basée sur des éléments naturels. Un bijou intégralement bio ! Quoi de plus naturel qu’il revienne à la mode car en effet le marché est florissant depuis quelques années. Les fermes se sont multipliées dans le lagon, si bien que cette activité est devenue la principale source de revenu des Gambier  et sa richesse. Elle attire de nombreux travailleurs.



Malgré notre présence le rythme du travail ne faiblit pas. Chaque jour, les nacres (ou huîtres perlières) sont collectées à la ferme pour y recevoir une greffe. Pendant cette courte opération (quelques secondes pour les plus habiles) un nucleus, entièrement organique lui aussi, est introduit dans la gonade du coquillage avec un petit morceau de nacre, appelé greffon, pris sur le manteau d’une autre huître. Le coquillage est ensuite ré immergé dans le lagon pour deux longues années, pendant lesquelles, si elle l’accepte, l’huître va  devenir orfèvre et accomplir son travail en sécrétant, couche après couche, de la nacre autour du nucleus. Le résultat, lorsqu’il est réussi, est bien évidemment unique. Aucune perle ne ressemble à une autre. Malheureusement à peine 2% des greffes donnent une perle parfaite. Et ce sont ces deux caractères : unicité et rareté, qui en font un des bijoux les plus prisés au monde. A travers son noir intense, chaque perle dévoile à sa manière ses reflets communément appelés aile de mouche, aubergine ou champagne ! Autour d’une forme parfaitement sphérique, cerclée, ou encore baroque.



John nous avoue quand même de quelle manière il parvient à maîtriser ses récoltes. Il anticipe le résultat de sa production en sélectionnant avec soin la teinte de la nacre donneuse, celle qui octroiera ses reflets à la perle. Il oriente ses choix en fonction des tendances des marchés actuels. Business is business !

Il accepte de découvrir avec nous les 1er résultats d’une récolte expérimentale qui vise, nous explique-t-il, le marché de la place Vendôme, en tentant d’obtenir des perles de grosse taille d’un gris clair métallisé. Sur une vingtaine de nacres ouvertes sous nos yeux, une seule donnera une perle grise… mais qui n’a pas la taille suffisante. John conclut avec philosophie : « On ne peut pas savoir avant d’avoir essayé ».



Notre escale se prolongera encore un peu plus que prévu. Bêtes et disciplinés nous pensions quitter les Gambier pour les Marquises vers la fin octobre, afin d’éviter de séjourner en période cyclonique à travers les Tuamotu.  Mais une belle occasion de refaire la caisse de bord se présenta. Le Capitaine a donc laissé son équipage à terre le temps de remplir une mission pour le moins originale : retourner à Pitcairn pour escorter trois habitants de l’île vers Mangareva puis les ramener ensuite à bon port. Une mission périlleuse connaissant le passif de leurs ancêtres…. A découvrir au post suivant !






mardi 16 juillet 2013

Pitcairn, l'île des révoltés de la Bounty


Par : Armelle.

 


Pourquoi faire escale à Pitcairn, nous direz-vous ? Cette île minuscule, sans plage, ni baie abritée, encerclée de hautes falaises exposées aux vents dominants et à la houle, avec un unique village de 50 habitants. Une île qui ne se trouve qu’à quelques jours de mer d’un joli archipel doté de lagons, de plages, de coraux et de bons mouillages (les Gambier).

Et bien parce-que Pitcairn à une histoire particulière, liée à ses habitants.

Laissez-moi vous la raconter, si vous ne la connaissez déjà, et vous comprendrez sans aucun doute notre obstination :
 
En 1787 la couronne d’Angleterre fait armer un navire du nom de la Bounty pour un long voyage vers Tahiti puis retour vers les Caraïbes, avec pour mission de rapporter des pousses d’arbres à pain. Ceci dans le but de fournir de la nourriture à bon marché pour les esclaves des colonies anglaises implantées dans les îles caribéennes. Le commandement est confié au capitaine Bligh. A son bord se trouve également Fletcher Christian, premier lieutenant et ami du capitaine. Leur amitié part vite en fumée après quelques semaines en mer. Fletcher Christian est en complet désaccord avec les méthodes disciplinaires du capitaine, qu’il juge cruelles et démesurées. L’équipage arrive épuisé à Tahiti et y séjourne plusieurs mois, avant de repartir les cales chargées de jeunes pousses d’arbre à pain. Ils auront reçu un accueil très chaleureux de la part des tahitiens et beaucoup de marins se liront avec des femmes. Fletcher Christian entre autre, n’échappera pas à leur charme et tombera amoureux de Maimiti, la fille du roi. Dès leur départ les humiliations et punitions sévères du capitaine reprennent. Le contraste avec la douceur de vivre Tahitienne est énorme, la mutinerie éclate après seulement deux semaines de mer. Fletcher Christian en prend le commandement. Le capitaine Bligh et la plupart de ses hommes sont débarqués dans la chaloupe, 19 au total qui, après 5 mois de navigation, parviendront à rejoindre l’île de Timor. Quant à La Bounty, celle-ci fait demi-tour en direction de Tahiti. Elle y séjournera quelques temps avant d’en repartir avec 9 mutins et des Tahitiens, hommes et femmes, dans le but de trouver une île isolée, voir inconnue ou jamais aucun navire du royaume d’Angleterre ne viendra reprendre les mutins pour les juger. En effet s’ils sont repris, pour eux, c’est la peine capitale. Leur odyssée les mènera jusqu’à Pitcairn, une île dotée de tout ce qu’il faut pour vivre (eau, fruits et légumes en abondance), une île de surcroît jamais visitée car très difficile à aborder. Enfin les cartes de l’époque sont fausses, Carteret s’est trompé de 150 milles en longitude dans son relevé, lors de sa découverte en 1767. L’île est parfaite pour une communauté qui désire ne jamais être retrouvée.

Ils bâtiront ici un petit havre de paix à l’abri de toute visibilité depuis la mer. La Bounty sera échouée sur les récifs et brûlée. Des enfants viennent rapidement remplir les maisons. Chacun s’emploie à subvenir à ses besoins par diverses récoltes. Malheureusement ils ont commis une grave erreur : leur petite communauté comprend plus d’hommes que de femmes. Des tensions vont vite apparaitre et peu à peu s’envenimer jusqu’à de graves querelles se concluant par des bains de sang, au cours desquels Fletcher Christian et bien d’autres hommes trouveront la mort. En 1820 lorsqu’un baleinier américain fait relâche sur l’île de Pitcairn, c’est le premier depuis la Bounty. Il ne reste plus qu’un seul homme, John Adams, vivant au milieu d’une vingtaine de femmes et d’enfants. Il finira par raconter l’histoire des révoltés de la Bounty, dont le sort fut demeuré inconnu jusqu’alors.

Cette histoire eut un retentissement dans le monde entier. Car en effet à l’époque de la mutinerie de la Bounty un courant humaniste remettait en cause l’ordre établi aboutissant entre autres à une révision du Code Maritime et surtout en France à la Révolution de 1789 et la Déclaration des Droits de l’Homme.

En faisant escale à Pitcairn nous voulions revivre cette épopée, naviguer dans le sillage de la Bounty et venir à la rencontre des descendants des mutins.
 
Arrivée sous spi à Pitcairn

Aujourd’hui les habitants de Pitcairn se prénomment tous Christian, Young, MacCoy, ou Adams. A peu d’exception près ils sont tous descendants des mutins de la Bounty. Ils parlent un dialecte mi anglais mi polynésien et subsistent grâce aux ravitaillements trimestriels d’un cargo néo-zélandais.

L’île n’a reçu aucune visite depuis un mois et aujourd’hui nous sommes deux bateaux à arriver le même jour et à mouiller dans la célèbre baie de la Bounty, à seulement quelques mètres des restes de son épave. Tikaï, un bateau français de 21m que nous avions rencontré aux Galápagos, vient faire escale ici pour une mission scientifique.
 

Mouillage dans la baie de la Bounty.
L'épave se trouve à quelques mètres derrière, au niveau des  roches.
 
Nous décidons de débarquer ensemble et par nos propres moyens… La manœuvre s’avèrera plus que délicate : ‘Attention surtout ne pas regarder derrière soit et foncer entre deux vagues en opérant un brusque virage à gauche juste devant les roches, pour venir s’abriter derrière le petit môle. Waouh ! Impressionnant quand on regarde la déferlante qui vient aussitôt refermer la passe. Ça commence fort !’ Et pendant toute la balade on pense au retour qui ne va pas être simple.
 
Vue du mouillage depuis la terre.
 

Les falaises de Pitcairn. Ca déferle au travers de la passe d’accès au môle de débarquement.
 
 
Une fois à terre et remis de nos émotions, nous sommes chaleureusement accueillis par Charleen qui nous offre à chacun un collier confectionné par sa maman. Puis direction le petit bureau de l’immigration improvisé pour l’occasion (une planche sur tréteaux recouverte d’une jolie nappe, installée en plein air devant le hangar à bateaux et qui sera démontée aussitôt les formalités effectuées), où le représentant des autorités britanniques (mais Néo Zélandais) nous reçoit en uniforme, sans aucun doute enfilé quelques minutes auparavant.
 
Bureau de l’immigration

Nous sommes ensuite embarqués, pour le plus grand bonheur des filles et du nôtre, car la pente est raide et nos guibolles toutes molles, dans des super quads, aménagés de rangements et assises supplémentaires et surplombés d’un abri, pour gravir la route qui mène au village, invisible depuis la cote. Nous découvrirons vite que ce sont les seuls moyens de locomotion sur l’île car les seuls adaptés aux routes escarpées et transportables par cargos.
 
Moyen de locomotion unique à Pitcairn : le quad

Charleen nous dépose au village et nous propose avec beaucoup de discrétion ses services si besoin. « Call Charlene on channel 16 if you need something » nous dit elle en désignant sa radio dans sa poche. Et nous aurons de cesse de recevoir ce genre de proposition car tous ici communiquent par radio VHF, toujours utilisée malgré l’arrivée récente du téléphone. Pour visiter le musée ? Call Nadine, on channel 16 of course. Pour poster une carte ? No problem, call Denis. Il vous ouvrira le bureau de poste. Aujourd’hui nous sommes samedi ; la communauté étant des Adventistes du Septième Jour, les samedis sont fériés mais les habitants savent que les bateaux de passage sont tributaires de fenêtres météo souvent très courtes, alors ils sont prêts à nous ouvrir tous les services si besoin. Et lorsque nous leur disons que ce n’est pas nécessaire car nous revenons demain ils répondent d’un air dubitatif : ‘Ouh ! If the weather is good !’

Notre première visite sera de courte durée car nous devons regagner notre bord en même temps que l’équipage de Tikaï qui doit déjà repartir. Le retour fut très sportif comme on s’y attendait. Une fois à bord nous découvrons l’inconfort du mouillage : le bateau est ballotté dans tous les sens, malgré le fait que nous ayons laissé la grand-voile à deux ris pour en diminuer les effets. La fatigue de la traversée n’arrangeant rien à notre état moral nous songeons à repartir, peu motivés pour passer la nuit dans un tel inconfort avec l’angoisse de déraper, alors qu’un paisible lagon nous attend à moins de trois jours de mer seulement. Malheureusement c’est chose impossible sans avoir refait un peu de gasoil. Et pour cela nous avons besoin de l’assistance de la chaloupe des Pitcairnais qui est déjà mobilisée par Tikai pour le chargement de son matériel scientifique.

Débarquement de la chaloupe entre deux déferlantes

Mouillage houleux

L’affaire est réglée, nous resterons ici cette nuit et prenons rendez-vous pour demain matin avec Jay le pilote de la chaloupe. Et même si la nuit fut à la hauteur de ce que l’on craignait, nous passerons une superbe journée le lendemain, en visitant le village et ses divers services, ou lieux de pèlerinage sur les traces des révoltés de la Bounty, en compagnie de Torika, la fille de Charleen.
Nous verrons les lieux où se trouvaient la maison de Fletcher Christian et Maimiti, la tombe de John Adams, les restes de ce qu’une expédition sous-marine a pu récupérer de la Bounty. Chaque lieu ravivant le souvenir de notre lecture de la célèbre trilogie de Nordhoff and Hall, dont le dernier volet est entièrement consacré à l’épopée sur l’île de Pitcairn.

Le sommet de Pitcairn

Balade dans l’île en compagnie de Torika
 
L’école de Pitcairn où sont inscrits seulement 8 enfants
 
La cour de récré avec :
 
Accrobranches

Trampoline en pleine nature

Cabane dans les arbres
 
Le jeu préféré des enfants : grimper au sommet des banian trees.

Nous aurons quelques discussions sympathiques et intéressantes avec les habitants, en particuliers avec Nadine qui nous fera visiter le musée et qui aime à entretenir un certain mystère sur le mythe du devenir des mutins. « John Adams se serait contredit plusieurs fois dans son récit, il n’aurait peut-être pas dit toute la vérité », nous murmure-t-elle…

Ou bien avec la famille de Carol, mère de Charleen, qui nous accueillera pour le déjeuner et nous racontera les complications de la vie qu’implique une communauté aussi isolée, mais que tous souhaitent pourtant conserver. Nous repartirons avec un joli plat en bois confectionné par Carol, dont nous apprendrons en regardant au dos de celui-ci qu’elle se prénomme Christian. Nous avions passé une bonne partie de la journée avec cette famille et n’avions pas pensé jusqu’ici à leur poser la question fatidique : de quel mutin descendez-vous ? Carol nous apprend alors qu’elle fait partie de la 6ème génération des descendants de Fletcher Christian et que bien qu’elle soit mariée elle a gardé son nom de famille, étant bien consciente de sa valeur. La 1ère chose que font les touristes qui achètent de l’artisanat à Pitcairn, nous apprend-elle, est de vérifier si c’est fait par un descendant des mutins. Et le descendant le plus connu est évidemment celui qui a mené la mutinerie. Et de conclure en souriant : « Business is business ! »

Carol nous racontera la vie de ses enfants. Certains sont restés vivre à Pitcairn mais d’autres sont partis. Sa fierté demeure son fils unique : Daryl Christian, descendant de Fletcher Christian, 7ème génération, sillonne à son tour les océans … mais cette fois en tant que capitaine d’un grand yacht !

Il est déjà l’heure de repartir,  nous voulons regagner notre bord dès la fin d’après-midi pour ne pas se faire prendre par la nuit au cas où la manœuvre de la remontée de l’ancre s’avèrerait plus compliquée que prévu, car il est hors de question de passer la prochaine nuit au mouillage. La fenêtre météo est terminée, la houle et le vent reviennent dès ce soir.

Nous lèverons l’ancre en même temps qu’une petite brise évanescente. Déjà les à coups sur le guindeau sont violents. Nous regardons l’île de Pitcairn s’éloigner dans notre sillage, sous un soleil couchant avec beaucoup d’émotion. Nous réalisons, les jambes encore flageolantes des tribulations ‘pitcairnoises’, que nous venons de franchir une grande étape symbolique de notre voyage. Cette escale sera sans doute la plus courte de notre long périple mais marquera nos esprits plus que tout  autre.