samedi 29 juin 2024


De Singapour à Djibouti. Prologue.

Sept mois s'étaient écoulés depuis que Coccinelle était arrivé à Singapour. Sept mois que j'ai passés en France, une période qui aura été riche en émotions.

Mon père avait été admis dans un centre spécialisé pour les personnes âgées qui souffrent d'une maladie neuro dégénérative, une sorte de maladie d'Elsheimer, même si elle n'avait pas été complètement diagnostiquée, depuis six mois déjà. Il ne reconnaissait plus personne, peut-être ma mère parfois, et encore. Il vivait désormais dans son monde à lui. Parfois cependant il lui arrivait d'esquisser un sourire, un soupçon de quelque chose. Deux fois par semaine, mes frères et sœurs ou moi, nous conduisions ma mère à Quintin. Les six premiers mois il se déplaçait encore, jusqu'à ce qu'il ne devienne nécessaire, le temps de quelques semaines, de l'hospitaliser. Une période au cours de laquelle il ne s'est pas alimenté. Il avait alors beaucoup maigri, il ne devait plus peser que quelques dizaines de kilos. Quand il avait ensuite rejoint Quintin, il ne s'était alors presque plus levé, tout au plus le personnel, avec beaucoup de gentillesse et de prévoyance, le mettait il dans un fauteuil. Il avait gardé le lit, avec les conséquences induites sur son corps amaigrit. Il nous a quittés un jour de décembre, il s'est éteint, et pour nous tous, comme pour lui probablement, cela aura été un soulagement. On sentait qu'il souffrait. Ma mère en souffrait. Nous avions fait notre deuil depuis longtemps déjà. Mes parents auront vécu ensemble plus de 70 ans. Il étaient déjà ensemble à la maternelle. Jamais je ne les ai vus se disputer.

Au Cap d'Erquy.

Philippe, c'était un copain de toujours, de près de 40 ans. Sa maladie aura duré un an, après que ce cancer ai été décelé, un cancer des poumons. Le crabe aura mis du temps à s'installer, puis peu à peu ses pinces destructrices se sont disséminées dans son organisme, l'affaiblissant. Jusqu'à l'issue fatale, intervenue un jour d'automne, quelques semaines avant le départ de mon père. De façon tout à fait égoïste, j'ai été heureux d'être là, soulagé, de pouvoir dire adieu à l'un et à l'autre. Papa avait 87 ans, Philippe en avait 30 de moins. Que se serait-il passé si pour ce moment si important de la Vie qu'est la Mort, si j'avais été à l'autre bout du Monde, en traversée peut-être, ou alors dans un lieu où il aurait été impossible de laisser Coccinelle en sécurité et donc de rentrer ?

Avec Philippe il y a quelques années.

Je fais preuve d'une nette tendance à la larme facile. Je n'aime pas les enterrements. Mais qui les aime? C'est peut-être pour ça que je suis toujours parti, par monts et par vaux. Un enterrement, c'est aussi l'occasion de revoir des cousins qu'on n'avait pas revus depuis des lustres, des copains perdus plus ou moins de vue mais restés dans nos cœurs. 'Tiens toi aussi tu t'es teint les cheveux en gris ?'

Bart, l'équipier qu'il me fallait.

De la même façon que j'avais voulu trouver un équipier (ce fut Steve) pour traverser la première partie de l'Indonésie, entre Timor, Bornéo, Java et Sumatra, je souhaitais également trouver un équipier, ou une équipière, qui m'accompagnerait pour le détroit de Malacca, et pour la Mer Rouge. Et qui tant qu'à faire ferait avec moi l'intégralité du voyage. Je passais tout d'abord une annonce sur le site francophone 'Vogue avec moi', mais je n'obtenais pas vraiment de réponse intéressante. Je me dirigeai ensuite vers un groupe Facebook, sur lequel sont inscrits plusieurs centaines de milliers de membres ! Je postais, en anglais, un véritable petit CV nautique, avec mes différentes petites expériences de navigation, et ce que nous allions faire, tout en précisant qu'il ne s'agissait pas de la plus aisée des navigations. Et ce d'autant plus avec les aléas géopolitiques du moment. Avec d'une part les attaques des pirates somaliens, dans le golfe d'Aden, et d'autre part, les attaques des Houtis, contre des navires de commerce, dans le Sud de la Mer Rouge. Sans compter les vents contraires en Mer Rouge. Je n'obtenais que peu de réponses, succinctes, du genre : 'je suis intéressé', sauf une, émanant de Bart, un Canadien de Kamloop, une ville située à 300 kilomètres au Nord de Vancouver, en Colombie Britannique. Il avait pris la peine de se présenter, sur plusieurs dizaines de lignes. Ses années de chauffeur de bus pour jeunes touristes en mal d'aventure à travers toute l'Afrique, dans les années 80, ses différentes expériences nautiques en tant qu'équipier, plutôt au long cours, et pas des moindres. Ces dernières années, il avait navigué sur le trajet Panama Marquises Tahiti, Nouvelle Zélande Tahiti Hawaï Seattle, Australie Afrique du Sud, Afrique du Sud Angleterre. Il avait aussi navigué plusieurs mois sur un petit voilier avec des copains entre l'Alaska et la Colombie Britannique. Il était prêt à m'accompagner tout au long du trajet, jusqu'au Canal du Midi, et même jusqu'en Bretagne Nord. Nous avons convenu d'un appel en visio, après avoir passé plus d'une heure à discuter de ce que nous allions faire tous les deux, des deux côtés, la décision était prise. Nous allions naviguer ensemble. J'avais besoin d'un équipier. Je prenais donc tous les frais du bateau à la charge, seuls seraient partagés les achats de nourriture. Détail qui a son importance, Bart cuisine. Il est aussi végan. Qu'importe, je m'adapte. Le 29 janvier à 8h, Bart arrivait à l'aéroport de Changi, Singapour, après un long vol entre Kamloop, Vancouver, San Francisco, et Singapour. Moins d'une heure plus tard, mon vol se posait lui aussi à Singapour, en provenance de Paris, et avant de Nantes, où Aline m'avait déposé. Taxi, ferry jusqu'à Batam en Indonésie, et Bart faisait connaissance avec Coccinelle.

Bricoleur, cuisinier, homme de quart, Bart a été un équipier parfait.

C'est l'histoire d'un collecteur d'échappement qui ne savait pas qu'il allait faire le Tour du Monde.

La plupart d'entre vous ne savez pas ce qu'est, sur un moteur marin, le collecteur d'échappement. En anglais, on dit 'manifold'. Avant d'y avoir été confronté, je ne savais probablement pas de quoi il en retournait exactement. Il s'agit d'une pièce, sur le moteur, dans laquelle se mélangent d'une part les gaz d'échappement, et d'autre part l'eau de refroidissement. Un moteur marin est refroidit à l'eau de mer, et dans le cas du moteur de Coccinelle, un Yanmar 3GMD de 23 chevaux, il est à refroidissement direct, c'est à dire sans liquide de refroidissement. Il s'agit d'une pièce d'usure (mais je ne le savais pas), ainsi que le col du collecteur (d'échappement), mais je m'étais jusqu'à présent (c'était à Opua en Nouvelle Zélande, deux mois avant de partir vers la Nouvelle Calédonie) toujours convaincu qu'un moteur, tant qu'il fonctionne, et à condition d'en assurer l'entretien courant (la vidange essentiellement mais aussi le filtre à huile, parfois les filtres à air et à gazole), mieux vaut ne pas y toucher. J'avais bien remarqué de grosses tache de rouille au niveau du col du collecteur, et dans un excès de zèle, je l'avais pris en photo pour le montrer à un copain, Yannick, un Vannetais, skipper d'un cata Néo Zélandais de 50 pieds

- Ça n'est pas terrible, il faut regarder ça.

Ainsi fut fait. A peine avais-je commencé à retirer les durites que le col s'est cassé en deux. Dévoré par la rouille. Je me suis retrouvé au mouillage, sans moteur, avec pour le lendemain un coup de vent annoncé. Je contactai alors d'autres copains Français. Quelques dizaines de minutes plus tard ils étaient là, avec leur grosse annexe. J'ai donc pris une place à quai dans la marina de la Baie des îles à Opua. J'ai terminé le démontage du col, puis du collecteur, avant de les confier à une petite entreprise de mécanique marine, JB Marine. Le constat a été sans appel, pour le col il n'y avait plus d'espoir, et il en était à peu près de même pour le collecteur, bouffé de rouille à l'intérieur. Depuis quelques années déjà l'échappement à l'extérieur du bateau dégageait lui aussi de la rouille, dont je venais à bout de temps à autre à grand renfort d'acide déjaunissant. Mais je ne m'étais jamais posé la question de savoir d'où cette rouille pouvait bien provenir.

On peut le remonter, il va tenir deux mois, ou peut-être deux ans, mais à un moment ou un autre, il va finir par se percer. S'il perce, l'eau va pénétrer à l'intérieur du moteur, et si tel est le cas, l'eau n'étant pas compressible, cela entraînerait une destruction, irrémédiable, du moteur.

Je pris donc la décision de le changer, et d'en commander un neuf. Coût de l'opération : 800 € tout de même. Mais entre ça et casser mon moteur, j'avais déjà pris la décision de rentrer en Europe par la Mer Rouge et le canal de Suez. Avec au programme la moitié d'un tour du monde, mieux valait partir en mettant toutes les chances de mon côté. Et un bateau dans un état parfait, autant que faire se peut. James m'édita un devis, je le payai, par carte de crédit, la pièce en question, un bloc métallique de six kilos, était (en théorie) disponible en Australie. Elle était censée être là en trois jours, allez, avec un peu de retard, disons cinq jours, une semaine tout au plus, et le Yanmar ronronnerait de nouveau joyeusement. Par contre, le joint que se positionne entre le bloc moteur et le collecteur n'était pas disponible chez Yanmar Australie, il fallait le faire venir de Singapour, avec pour lui par contre un délai de trois semaines. Petite précision sur l'organisation de Yanmar. Il s'agit d'une entreprise japonaise. Le centre de distribution pour la zone Asie Pacifique est situé à Singapour. Et pour l'Australie et la Nouvelle Zélande, l'entreprise possède des entrepôts en Australie. Il ne me servirait à rien de recevoir la pièce si en l'absence du joint ad'hoc je ne pouvais pas la monter. En faisant quelques recherches, j'en ai trouvé un de disponible... à Tahiti ! Ce joint neuf étant indispensable pour remonter le collecteur qui allait arriver trois jours plus tard, j'ai donc demandé à un copain, Patrick, de passer chez Sin Tung Hin Marine à Papeete, de le payer et de récupérer la pièce, avant de me la faire parvenir par DHL en Nouvelle Zélande. Ainsi je n'aurai pas à attendre trois semaines qu'il arrive à Opua. Petite précision, j'étais déjà en attente d'une fenêtre météo pour quitter la Nouvelle Zélande depuis deux semaines quand je me suis rendu compte qu'il fallait changer cette pièce. Ainsi fut fait.

En side car sur les routes Indonésiennes. Vêtus respectivement de nos 'go to town shirts'.

Trois jours après avoir commandé et payé la pièce, je repasse chez JB Marine (ça tombe bien, ils sont situés juste à côté des douches), encore rien.

Quatre jours plus tard, la pièce n'était toujours pas arrivée. Et au cinquième, James m'annonça un peu penaud que le 'manifold' ne sera probablement pas là avant... trois semaines. Il fallait le faire venir de Singapour (environ 9000 kilomètres séparent la Nouvelle Zélande de Singapour), et peut-être même du Japon ! Je surveillais déjà avec attention les fenêtres météo pour repartir vers la Nouvelle Calédonie, mais sans moteur... Commença alors une longue attente. Entre temps, le joint était arrivé de Tahiti, entre son coût et le DHL, il m'avait coûté la bagatelle de 200 €. Les jours, les semaines s'écoulaient, j'attendais, la pièce bien sûr, sans trop m'affoler, car les fenêtres météo se refermaient inlassablement les unes après les autres. Jusqu'au moment où, début mai, plusieurs semaines plus tard, se présenta une possibilité pour enfin quitter la Nouvelle Zélande. La fenêtre était courte, une seule journée. Je pris ma décision, celle de partir avec le vieux collecteur. Je ferai ensuite suivre le nouveau en Australie. Je missionnai JB Marine pour remonter l'ancien colleteur. Leur mécanicien est venu le réinstaller, après l'avoir en atelier nettoyé, traité. Je me suis rendu compte plus tard qu'en effectuant le remontage il avait endommage une tige filetée en aluminium, qui de fait ne serrait plus. Mais il s'est bien gardé de me le signaler. Il m'a simplement suggéré de resserrer les boulons si une fuite apparaissait. Me rendant ainsi responsable de la tige filetée endommagée ? Autre détail troublant, qui aurait du me mettre la puce à l'oreille, le joint que j'avais commandé à Tahiti ne correspondait pas exactement. Il était trop large, j'ai mis cette différence sur le compte de Sin Tung Hin à Tahiti, le revendeur Yanmar, qui avait du faire une erreur dans l'envoi. J'aurais peut-être du... Puis j'ai pris la mer, avec au dessus de la tête une épée de Damoclès : si le collecteur perce, je perds mon moteur. J'avais en tête de le faire expédier, une fois arrivé en Nouvelle Zélande, en Australie, à quelques milliers de milles plus loin.

To be or not to be ?

Après les déboires de Nouvelle Zélande, météo et livraison, tout allait rentrer dans l'ordre. Les astres semblaient enfin vouloir s'aligner.

Trois jours après mon départ, le collecteur était arrivé en Nouvelle Zélande. Trop tard. Encore une petite précision, puisque rien n'est jamais complètement simple. La Nouvelle Zélande n'adhère pas au système IBAN d'échanges inter bancaires, et il est impossible d'effectuer un virement bancaire depuis un compte français vers un compte néo Zélandais. En tous cas pas avec une petite banque locale comme le Crédit Agricole (…). Ceux qui ont lu l'épisode précédent des aventures de Coccinelle connaissent Pamela. Je lui demandai de bien vouloir se rendre à Opua afin de régler le prix du transport par DHL vers Thursday Island (qui au passage m'a coûté 200 € environ), un petit village de quelques centaines d'habitants, avec ses aborigènes d'origine polynésienne (comment sont-ils arrivés là?), et ses quelques gardes côtes (la Papouasie Nouvelle Guinée est là toute proche, à quelques dizaines de kilomètres), et autres pilotes qui font passer des navires de 10 mètres de tirant d'eau... dans 12 mètres d'eau ! En payant DHL je me croyais sorti d'affaire, et c'est donc confiant que je quittai la Nouvelle Calédonie, en direction de la Grande Barrière de Corail, puis de Thursday Island. Il m'avait fallu trouver une adresse pour faire expédier le collecteur dans le détroit de Torrès, où j'allais passer quelques semaines plus tard. Naïvement, j'ai demandé aux Douanes Australiennes si je pouvais me l'adresser chez elles. Bien sûr, elles m'ont envoyé bouler, en argumentant le fait qu'en aucun cas elles ne pouvaient l'accepter, sous peine de conflit d'intérêt. En faisant des recherches en ligne, j'ai finit par repérer un mécanicien marin, Mikael Ingleby, revendeur de moteurs hors bord, agent Suzuki pour ne pas le nommer. Dans un mail je lui ai expliqué la situation, et rapidement il m'a répondu en me disant qu'il était d'accord pour que je fasse expédier la pièce chez lui, pas de problème, en indiquant son adresse postale. Parfait ! Une fois arrivé dans le Détroit de Torrès, ma première préoccupation consista à trouver une connexion Internet. DHL avait bien fonctionné, et le collecteur était arrivé à Cairns, dans le Queensland. Il faut savoir que les voiliers qui font escale en Nouvelle Zélande bénéficient d'une détaxe sur tous les produits et services qui concernent le bateau. Je n'avais donc pas payé de TVA sur le collecteur, mais bien évidemment j'ai du m'en acquitter en Australie, soit environ 200 € de plus. Quand on aime on ne compte pas. J'ai donc payé en ligne, mon collecteur était déjà en route pour le détroit de Torrès. Et là j'apprends ébahi que si la pièce a mis deux jours pour venir de Nouvelle Zélande en Australie, elle va être acheminée vers Thursday Island... en cargo ! Soit un peu plus de 1.000 kilomètres à parcourir à la vitesse d'un kangourou au saut de course. Dans certaines parties du monde et notamment dans celle-ci en Australie, le fret DHL, payé au prix (très) fort pour l'obtention d'un service rapide, chemine par voie maritime.

Yanmar en boîte.

J'avais toujours en tête de rallier Langkawi, en Malaisie, le plus rapidement possible, et rentrer en France.

Quand vous divorcez il faut se résoudre à ne plus avoir ses enfants que la moitié des vacances scolaires. L'année précédente, les filles avaient été avec moi au mois d'août, cette année là, ça serait juillet. Je n'avais pas imaginé prendre un tel retard en Nouvelle Zélande, j'étais donc pressé d'arriver. Avec les cinq semaines perdues en Nouvelle Zélande, c'était encore possible, mais c'était de plus en plus juste. Que faire ? Attendre à Thursday Island ? Ou continuer vers Darwin, à une petite semaine de mer de là, plus à l'Ouest ? Et y faire expédier la pièce, où elle m'attendrait probablement ? Le couac entre Cairns et Thursday Island ne devrait pas se reproduire, et ensuite, j'en étais persuadé, les choses allaient rentrer dans l'ordre. J'allais la mettre en place, et ne plus avoir la trouille de voir mon moteur rendre l'âme. J'arrive à Darwin. Je contacte Mikael Ingleby à Thursday Island, il me dit qu'il a bien reçu la pièce. Ouf ! Auparavant, je lui avais demandé s'il accepterait de faire suivre le colis, cette fois-ci par Quantas Freight (Quantas est la compagnie aérienne nationale Australienne), entre l'aéroport de Thursday Island, et celui de Darwin. Une compagnie aérienne n'allait quand même pas faire voyager mon collecteur à dos de koala. L'aéroport de Thursday Island n'est pas situé sur l'île même, mais à 20 minutes de là, accessible en ferry, non loin, sur l'île de Horn. Quantas propose ce service de colis ultra rapide, l'envoi prend le premier vol, avec dans mon cas il y avait un changement à Cairns, là où il était déjà passé aux mains de DHL. Connaissant le poids et les dimensions exacts de mon colis, je payai en ligne (70 €), après m'être mis d'accord avec Mikael Ingleby pour qu'il prenne le ferry jusqu'à Horn Island, moyennant finances, pour se rendre à l'aéroport, et qu'il y dépose, à une heure précise, en correspondance avec les heures de vol, le fameux colis.

Coccinelle à la mer.

Sauf que ça ne s'est pas passé comme ça.

Mikael a demandé à son neveu de s'en occuper. Bien entendu je lui avais transmis les références données par Quantas Freight. Celui-ci a donc pris le petit ferry jusqu'à l'île de Horn, et il a déposé le colis... au bureau de poste de Horn Island, paisible bourgade aborigène de quelques dizaines d'âmes. Et ce sans qu'aucun reçu d'aucune sorte, sans quoi que ce soit qui aurait prouvé et permis de suivre mon collecteur, ne lui ai été remis.

  • C'est normal, m'a dit Mikael, ici c'est tout petit. Tout le monde se connaît, et c'est ainsi qu'on procède. Ne t'inquiète pas, ton colis est à l'aéroport.

J'étais donc à Darwin, où j'ai multiplié les recherches en ligne, sur le site de suivi de DHL, passé moult appels téléphoniques, au bureau de poste de Horn. Rien. A Darwin, alors que Steve avait embarqué avec moi, j'ai attendu une semaine de plus. Et de guerre lasse, avec toujours au ventre la peur de perdre mon moteur, après deux semaines d'escale, nous avons pris la mer en direction de Singapour, et plus précisément Batam. Avec ces retards accumulés, 48 heures après êtres arrivés en Indonésie, je sautais dans un avion pour Nantes, via Paris. Mai il était trop tard pour Apolline et Camille, elles avaient passé le mois de juillet à La Rochelle, et elles passeraient le mois d'août dans la maison de famille de leur mère à Belle-île. En août, alors que j'étais rentré chez moi, dans les Côtes d'Armor, une nuit, le téléphone avait sonné. Il devait être en mode vibreur, dans mon sommeil j'avais vaguement entendu quelque chose, mais je n'avais pas répondu. Quelques heures plus tard, sur ma boîte mail, je découvrais un message émanant de DHL à Cairns en Australie, m'informant que mon colis leur était revenu. Ils me demandaient si j'en étais bien le destinataire final (à Thursday Island, il était adressé à l'attention de Mikael Ingleby). Je pris alors ma plus belle plume, trempée dans l'encre teintée de la brosse à cirer les pompes, et leur expliquai toute l'histoire, et ma surprise quand j'avais appris que mon colis avait été acheminé par cargo entre Cairns et TI (Thursday Island). Je leur rappelai alors que dans les années 80, j'avais travaillé plusieurs années pour DHL, à Paris, que nous avions toujours eu en tête de satisfaire nos clients, et que je ne doutais pas que quelqu'un dans leurs services saurait trouver une solution. J'ai parfois utilisé cette phrase, colorée de positive attitude, et elle m'a souvent permis d'obtenir ce que je voulais. Quelques jours plus tard, je recevais un mail de DHL France me demandant de régler des frais de douane et d'importation de 200 €, en ligne, pour les frais liés à l'entrée sur le territoire douanier français de mon fameux colis. Des 800 € payés au départ à Opua, j'en étais déjà arrivé à 1600 € au total, le prix à payer pour ne pas perdre de temps suite aux erreurs de JB Marine, pour au final ne passer qu'une semaine avec Apolline et Camille. J'avais la pièce avec moi. Une bien maigre consolation.

Gare maritime de Nongsa Point. Je retourne à Singapour, en ferry.

Fin janvier 2024. Je suis de retour sur Coccinelle, à Batam , près de Singapour.

Et dès le deuxième jour, après avoir fait un peu de ménage et de place dans le bateau, puisque durant les sept mois où il était resté là-bas, tout avait été démonté, rincé et rangé à l'intérieur, j'attaquai les travaux sur le moteur, et le changement du collecteur, ne sait-on jamais. Je commençai par couper l'arrivée de gazole, déconnectai quelques durites, la pompe à eau de mer, la durite d'échappement, celle qui est reliée au col d'échappement. Vous allez finir par être calé en mécanique, notamment en matière de collecteur d'échappement. Avant de retirer le collecteur en lui-même. Je prends le nouveau, vous savez, celui qui a tant voyagé, ce collecteur d'échappement qui ne savait pas qu'il allait faire le Tour du Monde. Et là, je vis un grand moment de solitude. Comme un vide étrange, l'apparition d'un gouffre sous moi, sans doute exacerbé par le jet lag dont je souffre encore. Je ne suis arrivé que depuis deux jours. Le collecteur n'est pas le bon. Il est trop large, les trous ne correspondent pas. Il ne s'adapte pas. JB Marine s'est planté. Plutôt que de commander un collecteur pour un Yanmar 3GMD, ils ont commandé un collecteur pour un 3HM. Ce qui n'est pas du tout, mais alors pas du tout la même chose. La situation est grave mais pas si désespérée que ça, dans le sens où comme je l'ai écrit, le distributeur Yanmar pour la zone Asie Pacifique est à Singapour, à 30 minutes de ferry, et il sera aisé de m'y procurer la pièce. Sauf que j'ai dépensé tout cet argent pour une pièce qui ne convient pas et qui en vaut 600€. En effet, comme je vais l'apprendre rapidement, le prix de la bonne pièce est inférieur de 200 € à celle que j'ai achetée chez JB Marine à Opua. Je me rappelai alors du joint que j'avais commandé à Tahiti, et dont les références m'avaient été données par JB Marine. Il ne correspondait pas, j'aurais alors du m'alarmer, mais je m'étais dit naïvement que c'était moi qui m'étais trompé. Ou alors Yanmar à Tahiti. Et bien non, c'était bien JB Marine. Le mécano de chez JB Marine, au moment de remonter le vieux collecteur, pour que je puisse prendre la mer, n'avait pu utiliser le joint tel quel, il avait du le retailler, il était trop grand, trop large, non adapté. Je n'avais pas relevé. Il correspondait à un collecteur de 3HM. Je commençai par écrire à Yanmar Singapour, en leur expliquant la situation. Rapidement je recevais une réponse avec les références exactes du bon collecteur cette fois-ci, et les coordonnées du concessionnaire Yanmar à Singapour, auprès de qui je pourrais faire ma demande de devis. Je m'en occupai aussitôt, et rapidement je recevais le devis des pièces demandées, en dollars de Singapour bien sûr.

Stupéfaction. Ca n'est pas la bonne pièce.

Mais je tenais à en avertir JB Marine, car cette plaisanterie m'avait coûté très cher, pour une erreur qui n'était pas mienne au départ.

Je repris donc ma plus belle plume, pour leur expliquer la situation. Sans cependant reprendre l'intégralité de l'historique, je leur rappelai l'argent investit dans une pièce qui ne correspondait pas, et que tout cela était de leur faute. Depuis le départ. Peu de temps après, le même jour, je recevais une réponse, signée d'une personne que je ne connaissais pas chez JB Marine, pour la bonne raison qu'elle venait de racheter l'entreprise. Elle me répondit qu'elle était désolée, et que... elle allait payer l'intégralité de la facture auprès de l'agent Yanmar de Singapour. Moins d'une heure après, la facture était réglée. Il ne me restait plus qu'à me rendre à Singapour. Quelques jours plus tard, je prenais le ferry pour traverser le détroit éponyme, avant ensuite d'emprunter le bus puis le métro. Je récupérais mon nouveau colleteur, tout en laissant l'ancien afin qu'il soir rapatrié dans les stocks de Yanmar Australie Nouvelle Zélande (il aura voyage celui-là). J'imagine qu'il aura été crédité sur le compte de JB Marine. Tout en ayant pris à leur compte le nouveau collecteur, ils auront finalement gagné de l'argent. Moi j'en aurai perdu beaucoup. Je retournais au bateau, en Indonésie (j'avais aussi du m'acquitter de l'aller-retour en ferry, des frais d'obtention d'un nouveau visa pour l'Indonésie, il n'est valable que pour une entrée!), et dès les premières heures de la matinée, le lendemain, le moteur de Coccinelle ronronnait tranquillement, sans risque aucun désormais de voir de l'eau pénétrer dans les cylindres. Nous allions bientôt être prêts à reprendre la mer, en direction de l'Europe.

Métro de Singapour. J'ai mon collecteur, et cette fois-ci, c'est le bon.


Un après-midi à Singapour.

Je n'ai pratiquement rien vu de Singapour. Tout au plus un bus, le métro. La ville m'a paru aérée, la circulation fluide, et pour cause. La voiture n'est pas accessible à tout le monde, loin s'en faut. C'est même plutôt le contraire. Posséder une voiture à Singapour n'est pas du ressort de chacun. Avant de songer à en acquérir une, il faut d'abord acheter... le droit de l'acheter. Ça s'appelle le Certificate of Entitlement (COE). Ça coûte dans les 75.000 €. Ensuite, les voitures sont taxées à... 200%. Ce qui va multiplier le prix de la voiture... par cinq, par rapport au reste du monde. C'est sûr, avec un tel système, on comprend pourquoi il n'y a pas d'embouteillages à Singapour. Par contre les transports en commun semblent efficaces et plutôt bien faits. Et également assez bon marché. Et très, mais alors, très propres. J'ai oublié comment cela se passe dans le métro parisien mais ici je ne crois pas avoir vu une seule personne ayant une autre occupation que celle d'avoir les yeux rivés sur l'écran de son smartphone, les doigts scrollant sans jamais sembler s'arrêter. Ou pour être exact, si une fois, j'ai vu une jeune fille, extraterrestre, une liseuse à la main. Sur le chemin du retour, le ferry a longé toute la côte Sud de Singapour, l'occasion de regarder ces innombrables navires au mouillage.

Détail des contraventions dans le métro de Singapour.

Big Brother is watching you.

Chacun se positionne à gauche. Pour faire de la place. 

Singapour est une ville très cosmopolite. Pas moins de quatre langues !

Le port de Singapour.

Le port de Singapour est le deuxième du monde, après Rotterdam, et c'est quelque chose. Devant Singapour, dans le détroit éponyme, et un peu plus loin dans le détroit de Malacca, transite une part importante du commerce mondial, et ce dans un étroit passage large de moins de trois milles. Par moments, depuis la marina où était amarré Coccinelle, on ne voyait même plus la côte de la Malaisie, juste en face. Elle était cachée par le trafic dense des navires, les uns derrière les autres, dans un sens, dans l'autre, tous plus gros les uns que les autres. Car ici on ne croise que peu de feeders, ces navires de tonnage moyen qui font du cabotage, à l'échelle d'un continent, et pas peu de voyages inter continentaux. Ce sont essentiellement des gros navires. La norme désormais semble être le porte containers de 400 mètres de long, et qui transporte en pontée la bagatelle de l'équivalent de 24.000 containers de 20 pieds (24.000 EVP). Quand ils font route vers l'Orient et la Chine, ils sont tous quasiment vides. Par contre, dans ce même sens, c'est un défilé quasi ininterrompu de gigantesques pétroliers, et autres vraquiers, tous aux dimensions extravagantes, et dont la moyenne doit se situer à 350 mètres de long à peu près. Le flot est ininterrompu, chaque heure, ce sont des millions de tonnes de pétrole et autres matières premières (du minerais, je suppose), qui vont alimenter l'usine du Monde, la Chine. Quand l'an denier j'étais remonté depuis la Nouvelle Calédonie vers le Détroit de Torrès, et quand ensuite avec Steve nous avions navigué en direction de Singapour, nous avions croisé les mêmes monstres, jusqu'à 370 mètres de long, et 70 mètres de large, gavés de minerais brut, chaque heure, c'étaient d'autres millions de tonnes de minerais qui partaient alimenter la Chine. Et dans ce même détroit de Singapour, à l'inverse, les pétroliers et vraquiers s'en reviennent à vide, cela se voit à leur ligne de flottaison, mais il suffit sinon de regarder les informations délivrées par leur AIS. En charge, ces navires affichent un tirant d'eau de 20 mètres. Contre une dizaine de mètres quand ils sont lèges. Et dans se sens Orient Occident européen, les porte containers sont chargés ras la gueule de produits manufacturés. La majorité de ces monstres ne s'arrêtent pas en route, tout juste ralentissent ils un peu aux abords de Singapour et du canal de Suez, sinon, ils font route directe depuis la Chine vers les grands ports d'Europe, Le Havre, Anvers, Rotterdam, Hambourg, Southampton.

Un porte containers de la compagnie Taïwanaise Evergreen.

Soutage et cargo à voile.

Au mouillage, devant Singapour, ce sont des centaines et des centaines de navires qui sont mouillés, ou peut-être même des milliers. Je n'ai jamais vu ça ailleurs et je ne vois pas où cela pourrait exister. A couple de nombre d'entre eux, un petit pétrolier (moins de 100 mètres...), ils viennent remplir les soutes de navires qui de toutes façons passent devant Singapour. Le savoir faire commercial des hommes d'affaire de Singapour fait le reste. Car Singapour ne produit pas de pétrole, mais pourtant récupère le fioul lourd, résidu de la distillation du pétrole, probablement racheté un peu partout sur terre aux raffineries, résidu dont on ne sait sinon pas quoi faire. Inconvénient de ce carburant peu cher, et qui sert aussi à alimenter les centrales électriques dites à fioul, il rejette dans l'atmosphère du soufre. Il faut cependant relativiser et l'impact du transport maritime dans cette pollution dans le sens où il (ne) représente (que) 13% (https://clearseas.org/) des émissions mondiales. Les armateurs font des efforts, ils essaient de décarboner. Le premier signe fut l'installation de filtres dans les cheminées. Ils développent des moteurs alimentés au GNL (CMA CGM Jacques Saade), ce qui reste quand même une énergie fossile, moins polluante peut-être car le soufre en moins. MAERSK de son côté a construit des navires (beaucoup plus petits pour l'instant) propulsés au méthanol, mélange de CO2 et d'hydrogène 'vert', produit à priori à partir d'énergies renouvelables. Il reste donc du travail avant de voir ces navires être remplacés par des cargos à voile, fussent ils de nouvelle génération. Au moment où j'écris ces lignes, en mai 2024, Grain de Sail 2 vient d'effectuer sa première traversée de l'Atlantique, entre Saint-Malo, et New York. Bravo ! Ce navire peut transporter dans ses soutes non pas des containers mais des palettes, comme au bon vieux temps. Ou encore comme on le fait à Djibouti, en Afrique (voir photo), où les sacs de riz sont déchargés un à un, à dos d'homme. Bien évidemment, le transport de marchandises par cargo à voile, toutes de haute valeur ajoutée, sera décarbonné. Grain de Sail est en aluminium, un matériau dont la production est vorace en énergie, et notamment en électricité, Pour obtenir une tonne d'aluminium, il faut environ : 13,5 MW (un français consomme en moyenne : 2.2 Mwh par an). La fabrication du bateau au Vietnam ? Les mâts en carbone ? Ses voiles ? A l'époque où je travaillais dans le nautisme, et notamment dans la presse nautique, j'avais eu un jour l'occasion de faire l'essai d'un catamaran à moteur d'une vingtaine de mètres, propulsé par deux moteurs diesel. Bien sûr il consommait du carburant, mais un bateau à voile est lui aussi équipé de moteurs diesel, même s'ils ne servent en théorie qu'à effectuer les manœuvres de port en sécurité. A moins de mettre l'équipage dans des chaloupe et de souquer ferme pour entrer des les ports de New York ou de Saint-Malo. Et quand il n'y a pas de vent. J'avais fait le calcul suivant. Le cata à moteur aura déjà fait plus d'un tour du monde avant d'avoir dépensé en diesel le prix de la construction du gréement d'un voilier de taille équivalente. Je parle là de coût, pas de bilan carbone. Mais quid de la construction du gréement, les gros winches, les cordages, les voiles, les mâts en carbone ? Tous fabriqués à partir d'une seule matière première : le pétrole. Au risque de passer pour un salaud de réactionnaire, le bilan carbone de chaque kilo de marchandise transportée par Grain de Sail risque bien d'être plus élevé que ne l'est ce même kilo transporté par un maxi porte containers. Mais lui ne fait pas rêver, à commencer par moi. Quoi que... Le premier cargo à voile Grain de Sail pouvait transporter 50 tonnes de fret, soit l'équivalent de la charge maxi de deux containers de 20 pieds. Le second navire a quant à lui une capacité de charge de 350 tonnes, soit l'équivalent de la charge de14 containers de 20 pieds. Pour transporter ce qu'emporte un maxi porte containers de 24.000 boites, il faudrait ainsi construire... 1700 navires à voile équivalents au Grain de Sail 2. Loin de moi cependant l'idée de remettre en cause l'intention de la Compagnie Morlaisienne qui est tout à fait louable. celle de transporter des marchandises à la voile. Ceci est également à rapprocher des millions de containers qui sont en circulation de par le Monde. Mais c'est un début. Je crois beaucoup plus aux ailes rigides greffées sur les navires et qui devraient pouvoir générer de substantielle économies de carburant.

Soutage d'un paquebot.

Grain de Sail II sous voiles. Il est beau !

Le tourteau. Une comédie en quatre actes. Acte premier.

Vous avez aimé l'histoire du collecteur, comment il a voyagé comment il a fini par être monté sur le moteur. Alors vous aimerez celle du tourteau de Coccinelle. Encore un nom inconnu pour les non marins. Wikipédia décrit ainsi le tourteau : "Tourteau, de l'ancien français tort, 'tordu', en biais, en référence à la marche en crabe sur le côté, ou par analogie de forme ou couleur avec la tourte qui vient de sortir du four, est le nom vernaculaire de plusieurs espèces de crabes du genre 'cancer'".

Pour le marin, le tourteau d'accouplement est un élément de jonction entre l'arbre d'hélice et l'inverseur. Et le miens m'a créé bien des soucis. Bon comme me l'avait fait remarquer mon copain Philippe trop tôt disparu, avant qu'un autre de crabe ne l'emporte : ton bateau est à voile, tu n'as pas besoin de moteur. Oui sauf que... Le tout premier signe d'un problème est arrivé le jour même de mon départ d'Opua, en Nouvelle Zélande, au moment d'embrayer la marche arrière pour sortir de la marina, alors que l'ancien collecteur venait d'être réinstallé. Habituellement j'enclenche la marche arrière, l'hélice se met à tourner, et le bateau recule. Ce jour là il ne s'était rien passé. Ou plutôt, pas grand chose, et il a fallu nettement accélérer pour qu'enfin Coccinelle ne daigne se mouvoir. Je n'y ai pas plus pris garde. Avec Christina mon équipière de l'époque, nous avions donc pris la direction de la Nouvelle Calédonie, où elle avait débarqué, puis j'étais arrivé à Darwin, où Steve avait embarqué avec moi. C'est à partir de ce moment là que le problème était allé en s'amplifiant. Plusieurs fois, alors que j'embrayais le moteur en marche avant, afin de progresser faute de vent, il ne se passait rien, c'est à dire que j'avais beau augmenter le régime du moteur, l'inverseur n'entraînait pas l'arbre d'hélice. J'ai tout d'abord mis cela sur le compte de l'inverseur (lui aussi a passé la quarantaine!), et nous avons donc évité de nous servir du moteur. D'une part à cause du collecteur (…), mais aussi en raison de cet autre problème. Jusqu'à ce qu'un matin je ne m'éveille avec en tête l'impression d'avoir trouvé la solution. Je retirai alors le matelas de ma couchette, le contreplaqué qui protège la gatte où se trouve l'arbre d'hélice et le tourteau (je vous ferai grâce des noms barbares qui caractérisent les différents éléments qui caractérisent la ligne de transmission d'un voilier muni d'un arbre d'hélice), pour constater... que l'arbre s'était désolidarisé du tourteau ! Pas étonnant que ça ne fonctionnait plus. Afin de pouvoir travailler sur l'arbre sans que la vitesse du bateau ne l'entraîne vers l'arrière, et ne fasse tourner l'hélice, et donc l'arbre, j'arrêtai le bateau et le mis à la cape, barre et voiles à contre, je desserrai les deux vis qui maintiennent l'arbre en place, puis à l'aide d'une pince étau, serrée sur l'arbre, et de la barre de secours, un gros morceau de teck bien raide que j'utilise comme levier, l'arbre avait repris sa place, idem pour la clavette qui permet la transmission du mouvement, je resserrai le tout, puis on repartit. L'hélice était de nouveau entraînée. Nous avions ainsi traversé la Mer de Chine septentrionale jusqu'à Batam. Fin du premier acte de la comédie en quatre actes du tourteau.

Le vieux tourteau. Une misère ! On ne devrait pas publier des photos comme ça. Je vous rassure, Coccinelle est mieux entretenu qu'il n'y paraît sur cette photo.

Le tourteau. Acte second.

Février 2024, sept mois plus tard. Nous quittons Nongsa Point en direction du détroit de Malacca, Et c'est de nouveau la galère. Rapidement, au bout de quelques heures, le pointeau qui maintient l'arbre en place s'est désolidarisé, la clavette s'en est allée, il fallait tout recommencer. De plus, un autre problème est venu se greffer. L'arbre vibrait. Quel que soit le régime du moteur, il tremblait, entraînant avec lui le moteur. Combien de fois a-t-il fallu recommencer l'opération, remettre la clavette, l'arbre en place ? Jusqu'à ce que les vibrations ne se fassent trop importantes, et qu'il devienne urgent de ne plus utiliser le moteur à d'autres fins que celle de recharger les batteries. Dans les environs de Singapour et de Malacca, le soleil et le vent brillent par leur absence, l'atmosphère équatoriale est lourde, et pour progresser, il faut un moteur. A Darwin, en prévision d'une perte totale du moteur (liée à l'échangeur, pas à la transmission!), j'avais fabriqué, à l'aide de contreplaqué (acheté à cet escient à Nouméa), des tissus et de la résine époxy, une chaise à fixer sur la jupe à l'aide de quatre vis écrous et sur laquelle viendrait se positionner le moteur hors-bord. Ça n'est pas la panacée, mais cela permet de se mouvoir d'urgence quand il n'y a absolument plus de vent. Une fois le bateau lancé, l'hélice, la prise d'aspiration d'eau, et le moyeu de l'hélice (par lequel s'évacue l'échappement) restent dans l'eau grâce à la vague du bateau qui se maintient à ce niveau. Mais pour cela il faut de la vitesse, aussi avons-nous 'matossé' tous les bidons et jerricans possibles, gazole et eau, tout à l'arrière du bateau, rempli aussi le caisson de la jupe d'une centaine de litres d'eau de mer. Ainsi lestés, nous avons pu continuer à faire route. L'objectif étant alors Sabang, la dernière île indonésienne tout au Nord de Sumatra, avec l'idée de... faire souder l'arbre sur le tourteau, puisque le problème semblait venir du tourteau. A Sabang, il y a un chantier naval, je suis allé les voir, leur ai exposé mon problème, et mon souhait de faire souder l'arbre et le tourteau.

Pas de problèmes my friend, pour 300 US $ on vous le fait.

En France, la facture n'aurait pas dépassé les 100 US $, et encore. Je leur proposais 100 $, ou rien. Ils acceptèrent. Entre temps j'ai contacté un copain, Fabrice, qui possède le Chantier naval des Minimes, à La Rochelle. J'ai aussi contacté Hervé, qui manage le chantier NSI à Taravao, à Tahiti (ce sont eux qui ont construit la fameuse tour des juges pour les épreuves de surf des Jeux Olympiques de Paris, l'été prochain à Tahiti). Ni l'un ni l'autre ne me conseillaient la soudure. Idem pour le chantier à Sabang. Finalement ces derniers m'ont fabriqué une nouvelle clavette, comme je l'aurais fait moi-même si j'avais disposé d'un atelier, qu'ils ont mis en place. Pour 100 $, nous avions une nouvelle clavette, cher payée, mais cela semblait fonctionner, même si les vibrations elles n'avaient fait que légèrement s'atténuer.

Bricolage maison pour éviter que l'on ne perde l'arbre d'hélice.

Le tourteau. Acte troisième. Quand on est con...

Suite aux trois semaines de retard liées à ma côte cassée (voir plus loin), la marge pour rejoindre Djibouti était désormais faible. Certaines années, la renverse de mousson, du NE au NW, dans le golfe d'Aden, est précoce, et peut survenir dès la fin du mois de mars. Nous n'avions donc pas le temps de commander un tourteau neuf depuis l'Europe ou les États-Unis (l'arbre de Coccinelle est d'un pouce, unité de mesure impériale, et non pas de 25 mm). Un tourteau en pouce est introuvable en France. Bon Coccinelle étant un voilier, nous étions repartis. Avec l'idée de régler le problème à Djibouti, tout près, à un peu plus de 6.000 km plus loin. Nous aurions alors le temps de nous en occuper. La meilleure période (la moins mauvaise) pour remonter la Mer Rouge est avril, et de toute façon, il ne sert à rien d'arriver trop tôt en Méditerranée, car les vents y sont encore forts, les coups de vent fréquents (et contraires). Nous avions donc quitté l'Indonésie et l'île de Sabang, en direction des Maldives, à un peu moins de 2.000 milles. Le début de la traversée fut marqué par des calmes. Coccinelle est assez léger, et bien toilé, et de fait s'en sort toujours assez bien dans les petits airs. Mais parfois vient un moment où il faut se résoudre à démarrer le moteur si on souhaite arriver un jour. Pendant ce temps les vibrations avaient continuer à s'amplifier. J'ai à bord un livre très bien fait sur les moteurs diesel, de Jean-Yves Pallas. A la fin de cet ouvrage, il liste les problèmes que l'on peut rencontrer avec un moteur, et les causes probables. Une ligne est consacrée aux vibrations et autres cognements dans la ligne de transmission. Parmi celle-ci figure... le contrôle du serrage des écrous des silent blocs, qui tiennent le moteur. Le moteur est fixé à l'aide de quatre gros boulons sur ces silent blocs, ils absorbent les vibrations inévitables propres au moteur diesel. J'étais persuadé de l'avoir déjà fait, d'avoir vérifié s'ils étaient bien fixés. Par acquis de conscience, j'y jetais quand même un œil. Et là stupeur. J'étais peut être persuadé, mais les faits étaient là. Peut-être n'avais-je resserré que les deux situés à l'arrière ? Ils étaient complètement lâches. A la main, j'avais du leur faire faire plusieurs tours avant de les amener en contact avec la patte du moteur. Je me suis senti si con. Le blaireau de service. L'idiot. Tout ça pour ça. Pour deux écrous, j'aurais du commencer par ça. Les vibrations avaient fortement endommagé le tourteau, et il allait falloir s'en contenter jusqu'à Djibouti. Mais au moins le problèmes avait-il été identifié. Et c'était une excellente chose.

Il y a tourteau. Et tourteau.

Le tourteau. Acte quatrième. Dénuement et fin.

Depuis Uligan, aux Maldives, je trouvai, en ligne, un tourteau d'un pouce, montage Yanmar, sur l'île de Man, au Royaume Uni. Je passai commande, avant de faire retirer la pièce par DHL (décidément!), pour me la faire livrer à Djibouti. Elle arriva à Djibouti, après avoir transité par Barhein, quelques jours après nous. Je vous passerai les détails pour la récupérer auprès de la Douane à l'aéroport de Djibouti, mais cela aura pris trois heures, 25 € de taxi, une bonne centaine d'€uro de taxes et frais, des dizaines de minutes à faire plusieurs queues, des signatures diverses et variées, et une centaine d'€uro de taxes. Mystères que je ne m'explique pas, finalement, le prix de la pièce arrivée sur Coccinelle aura été le même que si j'avais acheté la même en France (sauf qu'elle était introuvable à ce diamètre). Soit environ 300 €. De retour au bateau, je me mis à la tâche, vous connaissez le processus : retirer les draps, soulever les matelas, retirer les panneaux de bois, et ce pour la trentième, ou la quarantième fois. Je démontai l'ancien tourteau, reculai l'arbre d'hélice, montai le nouveau, contrôle, check, puis re check, nous mîmes le moteur en marche, nous l'avions embrayé, et là... Que croyez-vous qui arriva ? Et bien tout fonctionna à la perfection, je montais dans les tours, rien, pas la moindre vibration, et le bateau qui tournait sur son mouillage, sous l'action de l'hélice embrayée. Eureka ! Encore un problème de résolu, et lequel ! Nous avions jusqu'à nouvel ordre un moteur en ordre de marche, on croisait les doigts. Il devait nous conduire dans un premier temps jusqu'à Suez, puis jusqu'à l'entrée du Canal du midi, jusqu'à Bordeaux, et pour terminer jusqu'à Saint-Samson sur Rance !

Le nouveau tourteau installé à Djibouti. C'est quand même mieux, et il allait nous ramener en Europe.

Une histoire de tracé de côte. Ou plutôt de côte cassée.

Quand j'étais rentré en France, en juillet dernier, j'avais repris un vol pour Singapour pour le lundi 8 janvier (2024). Quelques jours avant cette date, c'était la nuit, en sortant de chez des copains, j'avais glissé sur une lame de bois, dehors, sur un deck extérieur mouillé, et j'étais tombé comme une roche sur le dos. Sur le coup j'avais été sonné, j'avais été pris de tremblements une demi-heure durant, mais finalement (j'étais resté dormir sur place), j'avais passé une bonne nuit. C'était le mardi. Malgré l'absence de douleur significative, j'avais quand même pris rendez-vous avec mon médecin. Examen visuel, palpation, appui sur la zone concernée, je ne ressentais pas vraiment de douleur, d'un commun accord (avec le médecin), nous avions estimé qu'une radio n'était pas nécessaire. Le lendemain jeudi, hasard des calendriers, j'avais rendez-vous chez un pneumologue. J'avais pour m'y rendre une petite heure de route, la position assise ne me gênait alors pas du tout. Je m'étais trompé d'heure, j'étais arrivé une heure trop tôt, aussi étions-nous partis, avec ma mère qui m'accompagnait, marcher dans les rues de Pontivy, le long du canal. Le vent était froid, glacial. Nous y avions rapidement mis un terme, et étions allés nous réchauffer dans la salle d'attente. Le patient précédent s'en était allé, j'avais pris sa place. Le pneumo m'avait alors fait rentrer dans une cabine exiguë, afin de mesurer ma capacité pulmonaire. Et là... La douleur fut soudaine, violente, intense. Je ne pouvais plus bouger. Chaque mouvement me faisait hurler. Puisque j'étais chez le médecin, celui-ci m'avait rédigé une ordonnance pour aller passer une radio. Le lendemain, elle révélerait sans surprise la fracture d'une côte. Le trajet retour en auto s'avéra être un supplice. En ligne droite ça allait encore, mais dès qu'il fallait agir sur le volant, dans les virages, en franchissant un rond-point (et il y en a quelques uns sur les routes secondaires du Centre Bretagne), la douleur m'amenait des larmes. Je souffrais le martyr, et pourtant ça n'était encore rien comparé à ce qui m'attendais. Mon avion était trois jours plus tard. Pour ce dernier week-end ensemble avec Aline avant plusieurs mois, elle vint me chercher (ma voiture resterait chez moi à l'abri), nous passerions le week-end à Pornichet, et pour le dimanche soir (l'avion était le lundi), j'avais réservé un Airbnb près de l'aéroport de Nantes, de façon à être à pied d'oeuvre le lendemain matin. Nous avions passé l'après-midi en ville, dans le vieux Nantes. Le lendemain dans la matinée, je devais prendre le premier vol qui me conduirait à Roissy Charles de Gaulle, puis un second quelques heures plus tard jusqu'à Singapour. J'avais mis le réveil un peu plus tôt, je n'aime pas devoir me hâter. Le réveil avait sonné. Je ne pouvais pas bouger. La douleur était trop intense. Chaque mouvement générait douleur et larmes. Allongé en travers du lit, je savais déjà que je ne pourrais pas monter dans l'avion. Air France n'était pas joignable de si bon matin et il fallait se rendre à l'aéroport. Aline se chargea de remettre mes bagages dans la voiture, comme à chaque fois, j'étais bien chargé, avec 2 x 23 kilos, 1 x 12 kilo, avec notamment un collecteur d'échappement, une pompe à eau de rechange pour le moteur, et un inverseur que j'avais pris soin de démonter et bien nettoyer pour en retirer le maximum de traces d'hydrocarbures. Rien qu'à elles deux, ces deux pièces avoisinaient les 20 kilos.

Comme à chaque fois que je retourne sur le bateau, je suis bien chargé. Tout ça voyage en avion. C'est très écolo le bateau.

Frères de côte.

Sortir de la voiture fut d'une souffrance sans nom, chaque pas un calvaire, malgré mes petits pas de vieillard, chaque mouvement provoquait sur mon visage des rictus de douleur. Le comptoir était ouvert. Une femme très aimable changea la date de mon billet, d'un optimisme débordant, je pris un billet pour le lundi suivant. Je me réjouis d'avoir choisi Air France. Notamment à cause de la correspondance à Nantes. Les trajets entre la Bretagne et Roissy sont toujours dispendieux. Et surtout pour la facilité avec laquelle j'avais pu changer mon vol, à moins de deux heures du décollage. Il m'en a coûté 13 €. Retour à la case départ. Aline ma ramena chez moi en Bretagne Nord, aux lisières du Mené. J'avais mis en location Airbnb le logement que j'occupais depuis quelques mois, heureusement il n'avait pas été loué. Aline installa un matelas à même le sol, ça serait plus dur, juste devant le poêle à bois, et la TV. Pour le matelas, j'allais le regretter. Au milieu de la nuit, je voulus me lever pour un besoin naturel. Et là... Je ne sais pas si au cours de mon existence j'avais déjà autant souffert. Sur une échelle de 1 à 10, j'étais à 9. J'avais pourtant par le passé et par deux fois goûté à la morphine pour soulager des douleurs. La première quand, à l'âge de 23 ans, j'avais raté un atterrissage en delta plane. Tassement fracture de vertèbre, avec une perte de connaissance de 45 minutes paraît-il. Et l'autre fois, quelques années plus tard, quelques mois avant de partir avec Orca faire le Tour du Monde, quand à la suite d'une maladie chronique des poumons (emphysème congénital), j'avais du subir une intervention chirurgicale préventive (abrasion pleurale). L'anesthésiste avait mis en place avant l'intervention une péridurale, pour soulager la douleur lors de mon réveil, mais une personne du service avait jugé nécessaire, le lendemain, et malgré mes protestations, de changer mes draps. Évidemment l'aiguille avait été arrachée. Je suis donc resté là à genou sur mon matelas, quelques heures durant, à ne pas pouvoir bouger. Vers 7 heures du matin, j'avais passé un coup de fil à des copains pour qu'ils viennent m'aide à me relever. Personne n'avait répondu. Mary m'avoua plus tard que quand elle avait écouté mon message, elle avait cru à une plaisanterie de ma part. J'étais sensé être à Singapour. Il était urgent d'attendre. Je me suis reposé trois semaines, complètement, en ayant parfaitement conscience que je me devais d'être sur pied le plus rapidement possible, et du mieux qu'il soit, pour être au top de mes capacités pour ramener Coccinelle en Europe. Au cours de ma première semaine de convalescence, je n'avais guère quitté le canapé. Qu'il est dur d'être dépendant !

En anticipation. Coucher de soleil dans l'océan Indien.

Une Coccinelle en route vers l'Europe.

J'étais donc arrivé au bateau avec trois semaines de retard sur le timing prévu. Pas trop tard, mais tard tout de même, car je voulais absolument traverser le golfe d'Aden avant la renverse de mousson. Nous avions quitté très tôt Nongsa Point, aux premières lueurs du jour, de façon à s'extirper des systèmes de séparation du trafic des cargos, et pouvoir s'en éloigner un tant soit peu avant la nuit. Ça n'était pas vraiment prévu, mais nous nous étions arrêtés dès le premier soir, sur une petite île. Quand nous étions arrivés, deux petits bateaux de pêche, longs d'une dizaine de mètres, étaient au mouillage. On ne voyait personne, ils devaient dormir. C'était notre première journée de navigation, il n'était pas nécessaire de se faire violence, et gagner coûte que coûte sur notre route. Les petits bateaux étaient partis, d'autres étaient arrivés, l'un d'eux (mais j'imagine qu'il en est de même pour chacun d'entre eux), ne possédait comme ancre qu'un tout petit apparat en fer à béton tordu. Dès qu'il y eut un peu de vent, elle chassa. Alors il s'était approché de nous, et nous avait demandé s'il était possible de s'amarrer derrière Coccinelle. Oui bien sûr. Le moteur des bateaux de pêche en Indonésie sont refroidis à air, leur régime est assez lent, et on les entend pétarader au loin. Je les soupçonne de fonctionner à l'huile de vidange... J'étais curieux de voir de près l'un de ces moteurs, aussi leur demandai-je l'autorisation de monter à bord. Ensuite, le jeune présent à bord était venu visiter Coccinelle. C'était bien la première fois qu'il montait sur un voilier. Il y a un monde entre un bateau de pêche Indonésien, et un voilier moderne européen ! Pour communiquer, nous avons utilisé Google Translate, c'est magique. Il s'exprimait en Indonésien, et le téléphone traduit en anglais, ou en français. Au moment de regagner son bord, il n'avait pu s'empêcher de nous demander de l'argent. Nous sommes riches, ils sont pauvres, et cela change la donne des échanges humains. Ça avait aussi été le cas d'un employé de la marina (malgré les près de 400 € que je leur ai laissé chacun des sept mois où Coccinelle est resté à Nongsa Point!), à qui j'avais demandé de s'occuper de m'établir un certificat de santé, nécessaire pour faire escale ensuite aux Maldives. '20 $, ça n'est rien pour vous'. Ça avait encore été le cas au chantier à Sabang, un peu plus tard, où l'employé m'avait demandé 50$, comme ça, puisque apparemment en Occident, l'argent semble tomber comme la pluie en automne. Plus tard, ce seront les bateaux de pêche du Sri Lanka (si loin de leurs bases, à 650 milles de Colombo!) qui feront un détour pour nous demander, en mimant un geste sans équivoque, des cigarettes, ou de la bière. Ça sera aussi, encore plus tard, le cas en Érythrée. Ce sont j'imagine des restes de comportement colonialiste de certains ?

Petit bateau de pêche dans le jour finissant.

Indonésie.

Je n'ai pas vu grand chose de l'Indonésie. J'avais un projet, un objectif, celui de ramener Coccinelle en Europe. Et pour ça je me devais de mettre tous les atouts de mon côté. Je n'ai pas eu le temps de faire du tourisme. Tandis que j’œuvrais à la remise de Coccinelle en état de naviguer (on dit 'réarmer' un bateau), Bart quant à lui, qui avait négocié la location de son scooter à l'un des agents de sécurité de la marina, a pendant que je travaillais sur le bateau arpenté les rues et les routes de l'île de Batam, œuvrant quant à lui à la constitution de la cambuse. Il est chargé de faire à manger. Je sais faire beaucoup de choses dans la vie mais cette activité m'indiffère. Je lui confiai aussi le soin de rapporter plein de petites choses plus techniques et dont j'avais besoin, des pinces, des joint en cuivre, du dégrippant, quelques outils, etc. Deux semaines après être arrivés, après avoir réglé le problème du collecteur, Coccinelle était prêt. A Batam les marées sont de l'ordre de 1.50 mètres, et nous aurons même réussi à effectuer un carénage, sur la plage, il est devenu beau avec son bel antifouling rouge. L'Indonésie est un pays en voie de développement, avec 280 millions d'habitants, c'est aussi le plus grand pays musulman au monde. J'ai quand même trouvé une fois le temps de me rendre en ville, avec Bart sur son scooter, une grande autoroute de 2 X 5 voies traverse l'île, on y croise finalement assez peu de voitures, mais des myriades de deux roues. Le salaire moyen en Indonésie ne dépasse pas les 300 €, pourtant, à Batam, on trouve un immense mall commercial, avec un supermarché, et pléthore de boutiques, y compris un Apple store. Mais ce pays en développement... se développe, et dans quelques années c'est à dire demain, il ambitionne de devenir la treizième puissance économique mondiale. Batam possède de gros chantiers de construction navale, dédiés entre autre à l'exploration pétrolière. Puis nous avons quitté Batam. Nous avons laissé derrière nous Singapour, en prenant soin de ne pas pénétrer, ne serait-ce que de quelques mètres, dans les couloirs réservés aux navires de commerce.

Carénage sauvage sur l'île de Batam. Les avantages du dériveur lesté qui peut venir se poser sur une plage à marée basse.

Le grand tour par l'Afrique du Sud.

Depuis plusieurs mois, depuis les attaques du Hamas le 7 octobre dernier en Israël, et la vengeance sanglante et excessive d'Israël, les rebelles Houtis, au Yémen, ciblent, avec des missiles et des drones, les navires de commerce qu'ils soupçonnent, à raison ou à tort, d'appartenir à des intérêts Israéliens. Ou encore plus simplement de desservir des ports Israéliens. Face au risque pour leurs équipages et leurs navires, mais aussi plus probablement en raison de l'augmentation du montant des primes d'assurance des porte containers et autres pétroliers qui transitent habituellement par la mer Rouge et le canal de Suez, la plupart des armateurs, au moment où nous sommes passés, en ce début d'année 2024, partaient en direction de l'Afrique du Sud afin de rallier l'Europe. La route de ou vers la Chine n'évite pas le détroit de Singapour, mais après Malacca, et après avoir contourné Sabang, plutôt que de prendre le chemin de la Mer Rouge, nous avons vu tous ces navires tourner à gauche, faisant force vapeur afin de compenser en partie le retard induit par une route beaucoup plus longue. 10.950 milles séparent Sabang du Havre en passant par l'Afrique du Sud, contre 7.600 milles en passant par le Mer Rouge. Je crois que la vitesse de croisière d'un porte containers est de 14 nœuds, tous ceux que nous avons croisé ou qui nous ont doublés et qui faisaient route vers l'Afrique du Sud marchaient à 20 nœuds, une fumée noire sortant de leur cheminée. Avec pour conséquence (à minima) un doublement de leur consommation, dont l'augmentation n'est pas rectiligne, mais exponentielle. 

Petit pétrolier en route vers son mouillage à Belawan.

Le tanker japonais.

En général, grâce à l'AIS, deux navires en approche l'un de l'autre peuvent anticiper et modifient leur route de quelques degrés de façon à passer à au moins un mille l'un de l'autre. Même avec notre modeste vitesse, nous le faisons aussi, bien en avance, de façon à réduire le CPA (Closest point of Approach, visible sur l'AIS). Tous le font. Sauf un tankers japonais. C'était juste après Sabang. Il faisait route vers un port de la Tanzanie. Dès que je l'ai repéré sur l'AIS, bien avant que je ne l'ai en visuel, j'ai trouvé que notre CPA allait être bien proche. Le temps passant, et alors qu'il ne modifiait pas sa route d'un moindre et seul petit malheureux degré, je l'ai appelé par VHF. Il m'a répondu qu'il nous avait vus, pas de problèmes, et qu'il allait passer sur notre tribord. Ne vous inquiétez pas tout va bien. Nous maîtrisons la situation. Sauf que moi je trouvais que non, tout n'allait pas si bien que ça. Inexorablement, il s'est rapproché, et au bout d'un certain temps, il était évident qu'il allait passer près, très près de nous. Coccinelle naviguait alors tribord amures, c'est à dire que le vent venait de tribord, et pour m'en éloigner, il aurait fallu que j'empanne. Pour rappel, la voile est prioritaire sur la vapeur. Il se rapprochait de plus en plus et je commençais sérieusement à me poser la question de savoir si je n'allais pas à un moment ou un autre venir lui rayer sa peinture (bon Coccinelle est assuré en Responsabilité Civile...). Je n'en menais pas large. Pourtant j'ai rarement en mer ce sentiment que les chose pourraient mal se passer. Nous naviguions sous pilote électrique, et j'ai voulu (je ne sais plus pourquoi) enclencher le régulateur d'allure (pilote automatique qui maintient un angle constant avec le vent apparent) et dont j'avais un peu oublié les réglages, depuis le temps que je ne l'avais pas utilisé. La retenue de bôme, qui l'empêche de battre, d'un côté comme de l'autre, n'était pas à poste non plus. Suite à une fausse manœuvre de ma part donc (mais à cause de ce bachi bouzouk à poil ras de tanker japonais), la grand-voile a empanné, entraînant avec elle le bris d'une bastaque. Je ne pouvais en prendre qu'à moi-même, mais aussi et surtout beaucoup au tanker japonais. Le monstre est passé vraiment tout près de nous. Lège, il était vraiment impressionnant, très haut sur l'eau. Une muraille d'acier. Il s'agissait d'un gros, très gros pétrolier. 340 mètres de long, navigant à 11-12 nœuds, à rapprocher de nos modestes 5.5 nœuds. Il est passé à 200 mètres. Mon empannage avait réveillé Bart. Il est sorti hagard de sa sieste, mais il était trop tard. Bon rien de très grave heureusement. Et c'est depuis ce jour là qu'à bord de Coccinelle le tanker japonais est un peu devenu notre épouvantail. Notre plombier polonais à nous. Autant dire que plus tard, à l'entrée du golfe d'Aden, quand nous avons été survolés par un avion de la Navy japonaise, quand il s'est approché, on a bien failli plier le mât et le coucher sur le pont, au cas où il serait passé trop près, pour ne pas voir notre antenne VHF arrachée. Dans la précipitation, j'ai oublié de noter son nom.

Le CMA CGM dans le canal de Suez en mai 2024. 396 m de long, 53,6 m de large, Wikipédia annonce une consommation quotidienne de 120 tonnes. Exceptionnellement, il est immatriculé en France, à Marseille.

Un destroyer Etats-unien.

Nous faisions route ver le Sud du Sri Lanka. L'endroit est habituellement fréquenté, puisque tous les navires qui transitent par le détroit de Malacca y passent ensuite. J'ai été surpris de constater que l'OMI n'a pas mis en place de DST, pour l'un des lieux les plus fréquentés de la planète. Les personnes de quart à la passerelle des navires connaissent leur travail, et appliquent à la lettre les consignes des règles pour prévenir les abordages en mer. A de rares exceptions près, et il suffit pour cela de rester à l'écoute de la VHF sur le canal 16, les navires se croisent, et se recroisent, sans jamais se rapprocher de moins d'un mille les uns des autres. Ils connaissent les règles de barre, sauf... Le 21 août 2017, dans le détroit de Singapour, l’USS John McCain (un destroyer long de 150 mètres quand même) est entré en collision avec le chimiquier libérien Alnic MC. Le navire américain s’apprêtait à rejoindre le mouillage après une mission de routine. Au moment de l’accident, le commandant du bâtiment se trouvait à la passerelle, il remarque que le timonier a du mal à tenir son cap et sa vitesse. Il demande alors à renvoyer les commandes de la machine sur une autre console. Une certaine confusion s’en suit. Le timonier ne comprend pas ce qu’il se passe et informe le commandant qu’il n’a plus le contrôle du cap du navire. Les commandes des deux arbres sont découplées : alors que le bâbord ralentit, le tribord continue à tourner pour maintenir une vitesse de 20 nœuds pendant plus d’une minute. Ce qui a amené une déviation de la route vers bâbord, et la collision intervient sans qu’aucune communication n’ait pu être effectuée vers l'Alnic. Dix marins de l'USS John McCain périssent dans l’accident. Le rapport d’enquête relève que quatre personnes différentes ont été impliquées. Plusieurs d’entre elles étaient en affectation provisoire sur le bâtiment et n’étaient pas familières des instruments du destroyer et de la configuration de sa passerelle. Les enquêteurs ont constaté que « plusieurs hommes de quart n’avaient pas le niveau de connaissance basique des instruments de la passerelle » et que compte tenu de l’état du trafic, il aurait sans doute fallu mettre des personnes plus qualifiées à la barre et à la gestion de l’allure. Selon Wikipédia, « une commission officielle a conclu, après enquête, que l'accident était dû aux écrans tactiles multiples de la passerelle de commande, dont la complexité a conduit à la collision. En conséquence, en août 2019, l'US Navy a annoncé l'abandon des systèmes tactiles dans les deux ans sur tous ses destroyers ou contre-torpilleurs, au profit d'un retour aux manettes physiques ». Moins de deux mois plus tôt, un autre destroyer États-unien, le USS Fitzgerald, était entré en collision avec un porte containers philippin, le ACX Crystal, au large de Tokyo. Plusieurs marins États-uniens avaient là encore perdu la vie. La mer était calme, la visibilité bonne. Les conclusions de l’enquête sont sans appel : «niveau insuffisant de connaissance des règles nautiques internationales »,«une équipe de veille ne connaissant pas les fondamentaux de l’utilisation du radar», «une vitesse inappropriée compte tenu du trafic alentours», « une veille visuelle effectuée uniquement sur bâbord». L’enquête avait mis également en évidence que l’équipe de quart ne connaissait pas l’existence d’un dispositif de séparation de trafic et qu’ils n’utilisaient pas l’AIS.

Un joli trou dans la coque de l’USS John McCain

Les pirates, de Malacca ou de Somalie, et les Houtis...

Les rapports sur le sujet, et notamment ceux rédigés par la Marine Nationale française, et que j'ai pu consulter (en tant qu'adhérent au MICA), sont sans équivoque. La plus grande concentration d'attaques se situe exactement... dans les détroits de Malacca et de Singapour. Autrement dit, exactement où nous sommes passés. Il faut cependant relativiser. Ces attaques concernent exclusivement les navires de commerce, au mouillage ou en navigation, et il semblerait que les pirates se concentrent essentiellement... sur les pièces détachées des navires de commerce, ce qui paraît pour le moins étrange. Ils se revendent ensuite sur des marchés parallèles ; certains navires au mouillage à Singapour seraient-ils finalement là pour un gigantesque marché au puces du matériel dérobé ? Peut-être aurions-nous du nous y rendre, histoire de voir si on ne pouvait pas y trouver un tourteau, dérobé sur un autre (petit) voilier ? Je n'ai pas plus investigué... N'empêche que... Avec notre problème de moteur en vrac, nous nous sommes retrouvés au large de Belawan complètement empétolés, à la dérive sur une mer d'huile, la grand-voile ne battant même pas, tellement le calme était parfait, à attendre que la brise veuille bien revenir. Dans cette région les bateaux de pêche sont pléthoriques, l'un d'eux, une belle unité de 25 mètres peut-être, s'est approchée de nous, à une vingtaine de mètres, à 2 nœuds, traînant derrière elle un chalut. Quand je dis belle unité cela concernait surtout sa taille, et l'esthétique générale, toujours soignée sur les navires indonésiens, au dessin variable en fonction de la zone : l'Indonésie s'étend sur près de 3000 kilomètres. Avec son bruit caractéristique, dû à l'échappement libre, il n'était sinon pas très bien entretenu. Surtout, la plupart des hommes présents à bord, assez jeunes pour la plupart, à aucun moment ne nous a manifesté la moindre marque de sympathie. On n'était pas très fiers, surtout en étant complètement à leur merci, sans moteur et sans vent, en plein détroit de Malacca, même si dans les faits on ne voyait pas trop ce qui aurait pu nous arriver. Et les pirates qui sévissent dans cette zone sont organisés et surtout savent ce qu'ils recherchent. A la suite de cette rencontre un tantinet inquiétante, j'ai réuni mon équipage, et pris la décision d'aller s'approvisionner en essence. A défaut de moteur diesel, nous avions le moteur hors-bord. Après avoir attendu les premières lueurs du jour, tiré quelques bords, et profitant du courant rentrant, le petit moteur hors-bord de 8 CV nous a poussés dans le chenal du port de Belawan. Un grand port de commerce assurément, avec à l'extérieur des dizaines de navires au mouillage, deux terminaux à containers, un chantier naval capable de mettre en cale sèche de très gros navires.

Bateau de pêche à l'entrée de Belawan.

Tu fais quoi toi pour tes vacances ? Moi je vais faire du bateau dans le détroit de Malacca.

Les cartes mentionnaient un mouillage pour les voiliers, tout au fond de la rivière, nous nous y sommes dirigés, et avons mouillé à proximité immédiate de deux barges délivrant du gazole. C'est d'essence dont nous avions besoin. Le temps de regonfler l'annexe et nous embarquions avec nos jerricans. Nous nous sommes arrêtés saluer les employés sur la barge, leur faire part de nos intentions. Celui qui semblait le responsable, un métis chinois, nous a alors mis en garde, c'est dangereux ici, vous ne pouvez pas laisser votre bateau, mais si vous voulez mettez le à couple de la barge, nous allons le surveiller. Je vais être taxé de racisme si je dis qu'ils avaient tous plus ou mois des têtes de brigands. Autant mettre le loup dans la bergerie, le renard dans le poulailler, ou Michel Fourniret et sa femme Monique Ollivier dans un collège de jeunes filles. Rentrant dans son jeu je lui dis alors que je n'avais aucun doute sur le fait qu'il soit une personne intègre (…), tout comme devaient l'être les autres présentes à bord, et je leur indiquai que j'étais certain qu'ils allaient garder un œil sur Coccinelle. Leur tête à tous et leur comportement étaient tout aussi avenants que l'avait été la veille celle des pêcheurs. Puis nous avions (rapidement) traversé la rivière pour nous rendre de l'autre côté, du côté de la ville, vers un navire des garde côtes, amarré à proximité, un patrouilleur d'une trentaine de mètres. Nous voilà dans l'annexe à proximité d'eux, à palabrer, à leur expliquer la situation, notre quête d'essence, tout en leur demandant s'il était possible de venir mouiller Coccinelle à proximité de leur navire, le temps d'aller acheter un peu d'essence. D'où nous étions, nous ne pouvions pas voir le bateau, il était alors caché derrière les barges, à quelques centaines de mètres. Ça avait alors recommencé. Non vous ne pouvez pas venir mouiller ici. Non vous ne pouvez pas amarrer votre annexe sur notre bateau. Ah bon et comment fait-on ? Finalement Bart avait grimpé sur le bateau des garde côtes, chargé de ses trois bidons de 20 litres, à pied puis en taxi, puis il avait poursuivi sa quête de carburant, tandis que je rentrai à bord. Je m'assurai ainsi qu'il n'arriverait rien de fâcheux à la Cox. Une heure plus tard, Bart était de retour, victorieux avec ses trois bidons d'essence, comme convenu il m'appela à la VHF, je retournai le chercher, le temps de décharger les jerricans, de remonter puis de dégonfler l'annexe, et nous repartions pour de nouvelles aventures ! Ouf. Nous n'étions pas mécontents de quitter ce lieu pour le moins pas très accueillant. Là où nous avions mouillés, juste à proximité, se trouvaient une multitude de petits bateaux de pêche. Sans être condescendant, il faut reconnaître que tout cela sentait la misère, et le désespoir.

Sabang. Ride en side car fabrication maison pour faire les pleins d'eau et de gazole.


Sans moteur : on navigue à la voile.

Dans le chenal, long de plusieurs milles, mais large seulement de quelques centaines de mètres, le vent était bien sûr pil poil dans l'axe, contraire à notre route. Si dans les eaux protégées du port nous avons dans un premier temps pu utiliser le hors-bord, dès que le clapot s'est formé le moteur a commencé à sortir de l'eau, le rendant inefficace, avec le risque d'endommager la turbine de la pompe à eau, qui refroidit le moteur. L'occasion de me réjouir d'en avoir, avant de quitter la Nouvelle Zélande, confié sa révision à un professionnel. Avec la trinquette sur enrouleur, à chaque virement de bord, Bart a du se rendre à l'avant, pour aider le génois à passer d'un bord sur l'autre, opération pas vraiment simple, et qui à chaque fois nous a fait perdre de la distance. Tout ceci au milieu d'une myriade de bateaux de pêche, et autres navires de commerce qui entraient ou sortaient du port. Mais à force de persévérance et d'une multitude de virements, nous avons enfin rejoint le bout du chenal, le louvoyage s'est fait de plus en plus efficace, avec de plus longs bords de près dans une brise assez légère. Heureusement et même s'ils ne connaissent pas (ou plus) la navigation à voile, tous ces hommes (pas trace de la moindre femme) sont des marins, et plusieurs fois les embarcations ont anticipé nos virements de bord, ayant parfaitement conscience de notre capacité à manœuvrer pour le moins limitée. Nous étions lestés d'essence, que nous n'utiliserons finalement pas. Nous avons alors en effet bénéficié de brises thermiques (petit vent de terre la nuit, de mer la journée), qui nous a permis de progresser à la voile. Le vent nous a accompagnés jusqu'à Sabang, et nous n'avons pas eu à utiliser le moteur, si ça n'est pour rejoindre le mouillage.



Sans dessalinisateur : on rentre à la maison !

"Liliane, on fait les valises, et on rentre à... Phuket, en Thailande". Quand nous sommes arrivés à Sabang, il y a avait là un catamaran, au mouillage, battant pavillon anglais. Nous avons pu échanger avec lui, avant qu'il ne reparte, il nous a donné quelques tuyaux sur l'île. Son skipper, sexagénaire, voyage avec sa jeune femme thaïlandaise. Il est le signe de l'évolution de la plaisance et le symptôme de ce qu'elle est devenue. Leur catamaran était un Leopard (marque sud africaine) d'une quarantaine de pieds (12 mètres environ), assez récent. Ils étaient en route pour les Maldives, avant ensuite de poursuivre vers le Kenya, en Afrique de l'Est. Il nous a raconté ses déboires. Ils avaient quitté Phuket en Thaïlande depuis quelques jours déjà quand ils ont subi une avarie (se rappeler du vieil adage : your boat is completly broken, but you don't know it yet). Ou encore le principe d'Antoine : «  toute mécanique possède un état normal, stable et naturel, l'état de panne; on peut parfois, pour une durée toujours limitée et avec beaucoup d'efforts, la maintenir dans un état instable et anormal, l'état de marche; ainsi, moteur hors bords, alternateur, circuits électriques et pompes en tous genre sont venus nous taquiner dans notre paradis ». Cette avarie les a contraints à faire demi-tour, à faire escale à Sabang, où nous les avons rencontrés, avant de repartir vers Phuket, en Thailande, au vent donc, à 230 milles de là. Avaient-ils cassé un hauban ? Perdu un safran ? Subi une voie d'eau ? Car justifier un tel demi tour avec les conséquences que cela entraîne, justifie quelque chose de sérieux. Et bien non. Ils avaient fait demi tour parce que leur dessalinisateur avait cessé de fonctionner. Je me souviens d'un bateau rencontré aux Galapagos, qui lui aussi suite à une panne de dessalinisateur avait envisagé sérieusement de retourner au Panama, contre vents et courants, pour remettre en conformité le précieux appareil. Je lui avais suggéré d'acheter des bidons pour y mettre de l'eau ; ce qu'il avait fait. C'est assez surprenant. Pourtant la sécurité la plus élémentaire conduit à toujours conserver à bord une quantité d'eau, augmentée d'une petite marge, suffisante pour atteindre la prochaine escale. A bord de Coccinelle, le petit dessalinisateur produit 5.5 litres par heure. Et est utilisé pour maintenir à niveau la réserve suffisante pour atteindre la prochaine escale. Il permet aussi une douche quotidienne, sur la jupe à l'arrière, ce qui est quand même, pour la petite toilette, plus agréable que l'usage de lingettes. Il fut un temps où l'on naviguait sans dessalinisateur, et même sans GPS. The times they are changing...

Coucher de soleil dans l'océan Indien.

La mer n'est plus si dégueulasse que ça.

Je navigue depuis bientôt 40 ans. C'est le vieux con qui parle à l'attention des jeunes cons. Et je trouve que les océans n'ont jamais été aussi propres que maintenant. Au siècle dernier, il n'était pas rare, au milieu des océans, en Atlantique ou dans le Pacifique, de croiser à la surface de l'eau toutes sortes de détritus, des fûts de 200 litres, des roues de voiture, des réfrigérateurs, etc. Peu à peu les choses se sont améliorées. Bien sûr au vent des îles, Marquises ou Tuamotu notamment, on récupère toujours du plastique, mais il s'agit là la plupart du temps d'apparaux de pêche. En voyant le verre à moitié vide, ces détritus auront été jetés sciemment à la mer par des hommes mal éduqués. Mais si on voit le verre à moitié plein on pourra alors penser qu'ils auront été perdus par accident. Il y a longtemps que je n'ai pas navigué en Méditerranée. Mais de mémoire, il y a une vingtaine d'années, les choses étaient déjà moins pire que ce qu'elles avaient pu l'être auparavant. Tous les océans, toutes les mers. Sauf un. L'océan Indien. Les choses ont commencé à se gâter quand nous sommes entrés dans les eaux Indonésiennes. Et elles n'ont fait ensuite qu'empirer. Il y a trente ans, c'était déjà la même chose. Que ce soit en Mer de Chine Méridionale, ou dans le détroit de Malacca. Peut-être ces détritus sont-ils le fait de navires de commerce, mais je ne le crois pas. Ce qui flotte ressemble plus à de déchets ménagers. Il semble que la collecte et le retraitement des ordures ne soit pas une priorité pour la plupart des pays qui bordent l'Océan Indien. Cet océan est une véritable poubelle. Il est jonché de plastiques en tous genres, qui apparaissent ça et là à la surface de la mer. C'est d'autant plus visible par petit temps, quand il n'y a pas de vent et donc pas de moutons blancs à la surface de l'eau. Alors oui il reste du travail, comme toujours, du travail d'éducation, de prévention, pour que notre belle planète reste ce qu'elle est, un joyau à préserver. Pour l'instant, la protection de l'environnement, dans les faits ça reste un truc de riches. Bizarrement, il semblerait que la vie marine ne s'offusque pas tant que ça de ce plastique qui pollue l'océan Indien. J'ai trouvé qu'il y avait bien plus de poissons volants et de dauphins, que dans n'importe quel autre océan. A Djibouti, une très grosse tortue marine semblait très bien s'en accommoder. Et plus tard encore, on en verra de dauphins plusieurs fois par jour, en Mer Rouge.

Poissons volants, tortues, dauphins, constituent le spectacle quotidien d'une navigation au grand large.

Sabang, l'île du bout de... Sumatra.

Sabang est une petite île située tout au Nord de l'île de Sumatra. Tout de suite elle nous a plu. Notre problème de tourteau n'était toujours pas résolu, ce fut notre priorité lors de cette agréable escale de quelques jours. Il n'est pas aisé d'y mouiller, les fonds descendent vite, mais un petit ponton où sont amarrés des bateaux de pêche, facilite le débarquement en annexe, à quelques dizaines de mètres de la rue commerçante principale. En Indonésie, il est difficile d'ignorer les appels à la prière diffusés par des haut parleurs criards émanant des différentes mosquées de la ville. Et elles sont nombreuses. Le premier appel retentit aux alentours de 4 heures du matin, bien avant le lever du jour, et le dernier bien après le coucher du soleil. Lors de notre dernier soir à Sabang, alors que nous complétions nos ultimes achats avant de mettre les voiles (que c'est joli...), soucieux de dépenser nos ultimes roupies indonésiennes, dans les étals des boutiques de frais, où s'étalaient en devanture fruits et légumes aux couleurs chatoyantes, nous en étions à terminer nos achats quand on nous a demandé de nous hâter. Ainsi fut fait. Et là, en quelques secondes tout s'est arrêté. Un peu comme lors d'une éclipse totale du soleil. Les arrière boutiques se sont refermées, plus un scooter ne circulait dans les rues, plus une voiture, plus le moindre promeneur sur les trottoirs. L'heure de la prière avait sonné, et un nouveau confinement venait d'être décrété, chaque jour recommencé. Sauf qu'il ne dure que quelques dizaines de minutes. Nous sommes restés seuls un peu comme des cons, avec nos sacs à dos remplis de vivres frais pour les semaines à venir. L'après-midi nous avions loué les services d'un side car attelé à un scooter, assemblé à l'aide de quelques morceaux de ferraille soudés entre eux. Et roule ma poule. Nous avons ainsi fait les pleins de gazole, et d'eau filtrée.

Bateaux de pêche sur leur petit ponton à Sabang. Derrière, Coccinelle au mouillage.

Bateau de pêche à Sabang.

Les Maldives.

Nous avons passé trois jours aux Maldives, à Ulligan exactement, tout au Nord de l'archipel, un petit village loin de tout, mais qui offre au navigateur de passage la possibilité de s'y arrêter, il dispose en effet d'un bureau de douane et des agents de l'immigration. Nous avons pu y effectuer les formalités d'entrée et de sortie. Si nous avons pu éviter de le faire en Indonésie, aux Maldives, nous n'avons pas pu y échapper : il a fallu prendre un agent, il s'est avéré très efficace. Le fuel a été livré à bord, nous avons pu faire des courses à l'épicerie locale qui (la chance nous a sourit ce jour là), venait d'être ravitaillée par un cargo, via Malé, la capitale. Sur ces atolls arides il est difficile de faire pousser fruits et légumes, tout semble venir du Sri Lanka, ou d'Inde, pas trop éloignées, mais à quelques centaines de milles tout de même. Nous avons pu y refaire les pleins de frais, biscuits, etc. Dans la perspective de la Mer Rouge, et notamment du Soudan et de l’Égypte, j'avais quitté la France avec une somme rondelette en cash, plus de 1500 US $, mais je n'ai pas eu besoin d'y toucher aux Maldives, car j'ai pu payer par carte de crédit. Il n'y a pas grand chose à faire à Ulligan, ou du moins nous n'avons pas repéré grand chose. Il faut y vivre, nous n'étions que de passage. La vie y est rythmée par l'appel à la prière du Muezzin, je ne m'étendrai pas sur le fait que les Maldives sont une République Islamique, et qu'on y applique la Charia. Ce qui ne dérange pas les centaines de milliers de touristes qui chaque année viennent profiter de ses plages magnifiques, de ses hôtels implantés sur des atolls de corail. La loi interdit aux Maldiviens de toucher à l'alcool, et les serveurs des hôtels viennent dans leur majorité du Sri Lanka. Pour plus d'infos sur le paradis Maldiviens, il suffit d'aller surfer sur le Net.

Les relax façon Maldives. On a testé, c'est confortable.


En fin de journée, des myriades de femmes balaient les rues de Ulligan.


Triporteur électrique façon Piaggio, mais électrique, et construit en Chine.

Les pirates des côtes somaliennes.

Si les pirates du détroit de Malacca sont célèbres dans l'imaginaire populaire, ceux de Somalie sont aussi d'actualité, même s'ils le sont moins depuis une dizaine d'années, grâce à la mise en place d'une force internationale prête à intervenir pour assister tout navire en difficulté. Après les Maldives, nous avons repris notre vers l'Ouest, ou plus précisément vers l'Ouest Nord Ouest. Avec le golfe d'Aden, nous allions entrer dans le cœur du sujet. Petit rappel des faits. A partir des années 2000, avec une culmination dans les années 2010, et il a s'agit là d'une conséquence directe de l'anarchie qui régnait alors (qui règne encore?) en Somalie, des hommes, habitués à la guerre et au maniement des armes, lors des différents épisodes de guerre civile, se sont mis à lorgner du côté de toutes ces richesses qui passaient devant chez eux. Et ils se sont mis, à attaquer, à partir de petits bateaux de pêche, les navires de commerce qui passaient au large de la corne de l'Afrique, à monter à bord, et prendre en otage leurs équipages. Ils sont allés jusqu'à détourner des navires, pétroliers, porte containers, pour les ramener le long des côtes somaliennes. Avant de demander une rançon à l'armateur, si celui-ci voulait revoir sa cargaisons. Et son équipage. Nombre d'entre vous avez du voir 'Captain Philips' avec Tom Hanks. Le rôle des armées en temps de paix consiste notamment à sécuriser les approvisionnements en matières premières des pays. A part à Russie et ses ambitions belliqueuses et expansionnistes, dont le budget de la défense culmine à 6% de son PIB, le budget de la défense des pays occidentaux tourne autour de 3% du PIB. Avec toujours l'hyper puissance États-unienne, dont le budget de la défense, de l'ordre de 800 milliards de $ je crois, a longtemps été équivalente à la somme des budgets de la défense de tous les autres pays du monde. La Chine s'enrichit, le budget qu'elle consacre à sa défense est en nette augmentation. Une coalition s'est donc mise en place, pour protéger les navires en transit, un rail de circulation (Dispositif de Séparation du Trafic) a été mis en place, ceci afin d'éviter que les navires à protéger ne soient éparpillés un peu partout à la surface du golfe d'Aden qui mesure environ 1.500 km sur 500. Même si ensuite les pirates se sont externalisés, et des attaques et détournements de navires ont eu lieu jusqu'au beau milieu de l'Océan Indien. Ce rail s'étend sur un millier de kilomètres, entre le Sud du Sultanat d'Oman, et l'entrée de la Mer Rouge. Il permet de concentrer les navires à surveiller et à protéger, avec des navires de guerre, des avions.

Dans le port de Djibouti, une frégate française quitte le port, devant, un boutre cargo.

Une Coccinelle dans le Golfe d'Aden.

Inutile de dire que c'est avec une certaine appréhension que nous avions traversé le golfe d'Aden. Il y avait eu par le passé des attaques de pirates somaliens à l'encontre de voiliers, et notamment le Tanit, dont l'histoire s'était terminée tragiquement, mais ils n'avaient rien à faire là à ce moment là. J'ai pris la décision de passer par la Mer Rouge en parfaite connaissance de cause, après avoir bien étudié le pour et le contre. Cette année, nous avons été une trentaine à faire ce choix. D'autres équipages ont préféré prolonger leur séjour en Asie du Sud Est, d'autres encore ont choisi de faire le grand tour par l'Afrique du Sud. Bien sûr je me suis ensuite posé d'autres questions quand en novembre les Houtis ont commencé à lancer des attaques de missiles et de drones contre des navires de commerce. Non par crainte d'une quelconque attaque contre un voilier, en l’occurrence Coccinelle, je voyais mal un missile se tromper de cible, ou pire encore l'ayant ratée, venir percuter Coccinelle. J'avais plus peur d'un embrasement général du Moyen Orient, et une fermeture pure et simple du Canal de Suez, comme entre 1967 et 1973. Mais les temps ont changé, les Palestiniens sont devenus une épine dans le pied des pays arabes, qui n'iront plus mourir pour Gaza. Et il y a peu de chances de voir le canal fermer. Bien sûr, nous serons soulagés quand nous serons en Méditerranée. Avant d'approcher de cette zone, nous avons suivi le protocole mis en place par la coalition. J'ai donc enregistré Coccinelle auprès de UKMTO (United Kingdom Maritime Trade Organisation), MSC(HOA), (Maritime Security Center Horn Of Africa), l'organe de la coalition, et le MICA, la Marine Nationale (française). A partir du moment où nous sommes entrés dans la zone dite HRA, la High Risk Area, qui en gros s'étend à l'Est jusqu'au milieu de l'océan Indien, à mi chemin entre l'Afrique et les Maldives, et jusqu'à la frontière Saoudienne en Mer Rouge , nous leur avons, deux fois par jours, transmis notre position, à l'aide de la balise InReach. A leur demande, à aucun moment nous n'avons éteint notre émetteur AIS. Les petits bateaux, qui sont équipés d'émetteurs AIS de classe B, ne peuvent pas modifier les informations émises, comme peuvent le faire les navires de commerce, qui eux disposent d'un émetteur de classe A. Sinon la différence se trouve surtout au niveau de la puissance d'émission. Ils peuvent indiquer en théorie le pays et le port de destination, la date et l'heure prévue d'arrivée. Dans ses recommandations, le MSCHOA a suggéré de les modifier et ceci afin de décourager d'éventuels agresseurs. Ainsi dans le golfe d'Aden, la plupart des navires indiquaient, en lieu et place de la destination, affichaient l'indication : armed guards onboard. En arrivant dans le Sud de la Mer Rouge, ces informations se sont adaptées, et on a pu lire : no link with Israël. Ou encore : Chinese owner and crew. Ou encore : Russian armed guards onboard. Ou : Muslim crew only.        

Exemple d'information AIS émise par un navire.

Après le tanker, l'avion militaire japonais.

Alors que nous approchions du corridor de sécurité, nous avons été survolés par un avion des Forces Aériennes Japonaises, qui nous a demandé le nom du bateau, la nationalité, le nombre de personnes présentes à bord. Nous avons ensuite suivi le rail, à proximité immédiate, entre 0 et deux milles, au Sud. La situation est tendue, depuis le début des attaques des Houtis dans le Sud de la Mer Rouge, les navires de guerre s'y concentrent, et leur présence a donc nettement diminué dans le golfe d'Aden. D'où une reprise, lente mais bien réelle, des attaques de pirates. Nous n'avons rien vu, mais nous avons entendu à la VHF un échange entre l'avion japonais, et un navire de guerre chinois (la Chine a ouvert ces dernières années une importante base militaire à Djibouti), et aussi surprenant que cela puisse paraître, l'avion a demandé au navire de signaler toute anomalie, activité suspecte, etc. Ce qui signifie que chacun travaille de son côté sans échanger par voie officielle. La coalition européenne d'une part, appuyée par les Japonais, et les Chinois qui eux font cavalier seul. Ils sont là pour protéger le transit de leurs exportations ! Une attaque de pirates (Somaliens) a cependant eu lieu, au Nord de la Somalie, au large du port de Bosaso. deux jours avant que nous y passions, à l'encontre d'un bateau de pêche (Somalien). Un pêcheur a été tué. Le bateau a ensuite regagné son port. Alors que nous naviguions à proximité immédiate du rail, une matinée, nous avons repéré l'AIS d'un navire... Somalien. Il faisait route vers l'Est. Il nous a intrigués tout d'abord parce qu'il n'y a pas beaucoup de navire somaliens qui possèdent un AIS, et d'autre part, où pouvait donc se diriger ce navire, faisant route vers l'Est ? On s'est ensuite posés avec Bart la question de savoir si notre réaction n'avait-elle pas des relents racistes ? Pourquoi se méfier spécialement d'un navire Somalien ? Il faut aussi chercher une explication dans le fait que nous avions des doutes sur sa destination, car il s'agissait d'un petit navire genre boutre, d'une quarantaine de mètres, bien entretenu, rutilant. Or dans le rail on ne trouve que des gros navires qui vont et viennent entre la Mer Rouge et l'Océan Indien. Nous l'avons croisé à quelques centaines de mètres. Peut-être s'était-il approché pour nous observer, un voilier, qui n'est pas vraiment légion dans la région ? Toujours est-il qu'après nous avoir croisés, il a ensuite viré sur bâbord, et a pris la direction de... Oman. Comme tous les autres, il avait suivi le rail pour bénéficier de la protection des forces armées.

Un avion des Forces Aériennes Japonaises.

Al Hamdulilah 1, le boutre Somalien.

Et son signal AIS.

Bab el Mandeb, la porte d'entrée de la Mer Rouge.

Nous sommes arrivés sans encombres à Djibouti, où nous avons passé une dizaine de jours, et où nous avons pu enfin nous reposer. La navigation avait été intense depuis notre arrivée à Singapour, deux mois plus tôt, entre la préparation du bateau, les navigations, la résolution des problèmes, en attendant les suivants. C'est en petit convoi que nous avons quitté Djibouti, pas moins de six voiliers ensemble, à la queue leu leu. Quand la météo est bonne pour l'un, elle l'est aussi pour les autres. Nous avions préféré attendre des vents moins violents dans Bab el Mandeb, où il s'engouffre entre les montagnes du Yémen d'un côté, et celles de Djibouti et de l’Érythrée de l'autre. Alors qu'il était de quart, Bart aura vécu une petite frayeur, quand ce qui devait être un boutre avait soudainement changé de route et était passé à quelques centaines de mètres devant nous, sans AIS bien sûr. A Djibouti, ancienne colonie française qui à l'époque, avant 1975, s'appelait 'Territoire des Affar et des Issas', à quelques centaines de mètres de nous, nous avions assisté au ballet des navires de guerre de la coalition, qui tous viennent s'y ravitailler. Pour souter bien sûr, pour se réapprovisionner en vivres, mais aussi probablement en armes, opération facilitée par la présence de la base militaire française, à proximité de l'aéroport, qui si elle est moins importante qu'elle ne l'a été, offre toujours un îlot de stabilité. Nous avons ainsi vu passer en quelques jours des navires militaires Indiens, Italiens, Grecs, Allemands, et aussi Français. Nous avons ensuite, au Nord de Bab el Mandeb, aperçu, à plusieurs reprises, des navires de guerre, à pleine vitesse (une bonne trentaine de nœuds, au vu de l'écume qu'ils projetaient derrière eux), sans AIS évidemment, nous avons aussi été survolés par un hélicoptère. J'ai appris ensuite qu'ils lançaient aussi des missiles anti missiles. Et plusieurs fois, ce sont des drones de surveillance militaires, avec il me semble un moteur propulsifs, à l'arrière de l'aéronef, qui nous ont survolés, avec leur bruit caractéristique, un moteur électrique peut-être, sans qu'ils ne s'intéressent particulièrement à nous. Ils semblaient surtout quadriller la zone.

Coccinelle au près.

Bataille navale grandeur nature.

Plusieurs fois, nous avons entendu des bruits d'explosion, diffus, lointains, sourds, difficiles à identifier. Mais d'orages il n'y avait point de trace. Une explication rationnelle pourrait suggérer qu'il a peut-être s'agit de tirs de missiles anti missiles, au moment de leur lancement, ou alors au moment de l'impact avec leur cible ? Nous n'en verrons ni n'en saurons plus, mais durant ce laps de temps plusieurs navires auront été attaqués, et quelques uns touchés. Une vraie bataille navale grandeur nature. Sauf qu'à bord de dits navires il y a des hommes. L'un d'eux avait même du être remorqué vers Djibouti (qui pour des raisons de sécurité lui avait refusé l'accès à son port), et il avait du repartir vers Oman. Fin avril, quelques semaines après notre passage, un navire a été touché par deux missiles, au large de l’Érythrée, exactement à l'endroit précis où nous étions passé, quelques semaines plus tôt. Nous sommes restés à proximité du rail des cargos, en assurant une veille attentive : en effet, pour échapper aux Houtis, nous avons croisé de nombreux navires qui faisaient route sans AIS, et surtout complètement en dehors des DST. Pour les repérer de nuit, le radar et le détecteur de radar ont montré toute leur efficacité. Cinq jours après avoir quitté Djibouti, nous entrions dans Suhakin, au Soudan, ville fantôme, où je ne descendrai même pas à terre, préférant me consacrer à quelques bricoles à faire sur Coccinelle, tandis que Bart se rendait au marché pour y faire faire quelques courses.

Coccinelle arrive à Suhakin, Soudan.

Un peu de culture dans ce monde de brutes.

Naviguer à la voile au long cours offre beaucoup de temps libre, et la liseuse électronique est pour ça une invention fabuleuse. Pour faire face à toute défaillance, en vieux briscard, Bart et moi naviguons avec une liseuse de rechange. J'ai découvert Annie Ernault, lauréate il y a deux ans du prix Nobel de Littérature. J'ai particulièrement aimé 'La femme gelée', où elle décrit son quotidien de jeune maman qui se retrouve contrainte de sacrifier ses désirs professionnels au bénéfice de ceux de son mari. Alors que elle aussi veut vivre, elle se retrouve cloîtrée entre couches, promenades au parc, la préparation des repas pour sa petite famille. Et cet extrait : « Voyager et faire l'amour, je crois bien que rien ne me paraissait plus beau à 10 ans ». J'ai aussi beaucoup aimé (et pleuré) à la lecture d'un auteur que je ne connaissais pas, Hervé Jaouen. « Les lumières de la Baie d'Audierne » est un livre puissant, inspiré de faits vrais, le naufrage judiciaire de l'affaire d'Outreau. Jaouen a relocalisé l'histoire, romancée, dans un cadre Breton. Les faits sont narrés par le prisme d'une adolescente dont les parents font partie des accusés d'une histoire dont ils sont, comme le sont également les autres accusés, à priori complètement étrangers. On y suit la déchéance de cette famille, qui passe du statut d'aisée, à flirter avec le quart monde, la déchéance financière, sociale, morale aussi parfois, et intellectuelle. Une leçon à retenir pour tous ceux qui veulent juger avant la justice, et qui il est normal de laisser la vindicte populaire condamner avant même de savoir si l'accusé est coupable. Une simple plainte, une unique dénonciation suffit. Et des vies sont détruites, dans le cas présent, à cause d'un jeune homme issu d'un milieu privilégié, frais émoulu de l’École Nationale de la Magistrature de Bordeaux, et à qui l'institution avait donné tous les pouvoirs. J'ai aussi découvert William Faulkner, que je connaissais bien sûr de nom, mais que je n'avais jamais lu. Un choc. Une écriture qui n'appartient qu'à lui, délicieuse, dure aussi. «Lumière d'août » n'est pas toujours simple à appréhender, à suivre, il faut parfois faire preuve de concentration, j'ai du m'y reprendre à deux fois, comme une pâtisserie dont on se gave car on la trouve trop bonne, mais qu'on a dévorée si vite qu'on n'a pas pu aller jusqu'à la fin. Il faut alors attendre pour la goûter de nouveau. En général j'aime assez la littérature États-unienne. John Steinbeck, Toni Morisson, Jim Harrisson, Un goût que semble partager Philippe Djian, qu'il raconte dans 'Ardoise', que j'ai beaucoup aimé aussi. Et puis il y a eu 'La femme brûlée'. Un livre signé Souad, tout simplement, un pseudo. L'histoire d'un crime d'honneur. Ou plutôt d'horreur. J'avais déjà lu 'Rouge Brésil' de Jean-Christophe Ruffin, et j'ai adoré 'Le parfum d'Adam', quand l'écologie radicale se perd dans la dérive du terrorisme. Un livre édifiant, mais certains y pensent. J'ai bien peur qu'un jour certains ne passent à l'action, directe, et on risque de se retrouver avec des prises d'otages au sièges de grandes compagnies pétrolières, des empoisonnements de masse, etc. Dans le même ordre d'idée, Ken Follet a écrit 'Apocalypse sur commande'. Génial.


Golfe de Suez.

Au moment où je termine d'écrire ces lignes, nous sommes au mouillage à El Thor, une ville située dans le Sinaï, depuis plus d'une semaine déjà. Nous n'avons pas le droit de mettre l'annexe à l'eau, pas le droit de se baigner, ou de se rendre à bord d'un autre bateau. Nous attendons qu'une fenêtre météo veuille bien se présenter. Et que le vent fou et fort de Nord veuille bien se calmer. Et qu'il nous permette de rejoindre l'entrée du canal de Suez, qui n'est plus pourtant qu'à un peu moins de 120 milles. La suite au prochain épisode, jusqu'au canal du Midi..