Par Armelle
Un départ houleux pour les âmes de l’équipage
Je crois que jamais un départ
ne fut plus pénible que celui des Marquises. Nous avons été comme ensorcelés
par le pouvoir d’attraction de ses îles et les amitiés que nous y avons scellées
n’ont pas aidés à rompre le champ. Les derniers jours sont toujours difficiles
entre l’avitaillement et la préparation du bateau pour une nouvelle longue
navigation à partager avec l’envie de profiter des derniers instants avec ceux
que l’on va quitter. La météo, compatissante cette fois, nous laissera quelques
jours de plus et c’est bien la première fois que la nouvelle sera bien
accueillie par tous à bord.
Comme à l’accoutumée, dès le
découvert de l’île de Nuku Hiva, le bateau dance en rythme avec nos estomacs et
viendra renforcer le vague à l’âme de l’équipage. Nos pensées resteront aux
Marquises encore quelques jours avec Nomanie, Ui, Dig Doug et Theofania avant
de se tourner vers Hawaii. Notre destination se détourne des routes classiques
du Pacifique. Habituellement les voiliers poursuivent leur route vers les
Tuamotus, les îles de la
Société puis encore plus à l’ouest pour atteindre la Nouvelle-Zélande
avant l’automne prochain. Pour nous c’est plein nord direction l’Alaska via
Hawaii pour redescendre ensuite le long des côtes américaines. L’originalité de
cette boucle rend pour le moins incertaines ou lointaines les possibles retrouvailles
avec les voiliers que nous quittons. Ils prennent dès lors une saison d’avance
sur nous dans le Pacifique. Nous avions déjà connus cela en quittant les
Caraïbes et par là même tous ceux qui ne passaient pas Panama. C’est la règle
du jeu, partir, faire de nouvelles rencontres, se séparer, refaire des
rencontres, se perdre de vue pour à nouveau se retrouver. C’est le tourbillon
de la vie comme le chante si bien Jeanne Moreau avec ses parts de joie et de
tristesse que pour l’heure nous apprécions moyennement. La consolation c’est
que chaque jour passé en mer c’est aussi un petit pas vers la France. Non ,
non ! Nous ne sommes pas en plein délire géographique ! Seulement il
faut vous préciser un récent projet échafaudé pendant notre séjour aux
Marquises : par un heureux tour de passe-passe de quatre paires de main
généreuses les vols Paris-Hawaii de nos parents, qui prévoyaient de venir nous
y rejoindre, se sont transformés en vols Hawaii-Paris aux noms des quatre
membres de l’équipage. Bon d’accord avouons le, l’idée a peut-être germée outre
Amérique. Ainsi la perspective de bientôt revoir nos familles et amis de
toujours, ceux que l’on quitte sans craindre de perdre à jamais et que l’on
retrouve avec bonheur et simplicité viendra vite remonter notre baromètre
intérieur.
Une traversée
mouvementée
Evidemment lorsque l’on
recherche l’originalité il ne faut pas s’attendre à trouver des routes faciles.
Faire route au nord implique de serrer un peu plus les alizés. Et si les alizés
on les aime bien présents lorsqu’ils sont portants, de travers on les préfère
largement plus timides sinon c’est écoutilles fermés, 2 ris voire 3 dans la
grand-voile et génois bien enroulé, sans oublier la houle qui vient chatouiller
nos flancs jouant impunément au bilboquet avec notre coccinelle. On connait la
chanson. Chacun va peu à peu se recroqueviller dans son p’tit coin. Gilles à la
table à carte ou allongé dans le carré, toujours au vent, calé par une toile
anti-roulis, peu confortable mais c’est sa préférence pour mieux sentir les
mouvements du bateau et réagir au plus vite si nécessaire. Moi, au contraire,
trop sensible au mal de mer je reste sous le vent, dans le carré, même la nuit
car la couchette de notre cabine est trop grande pour pouvoir s’y caler quand
le roulis est trop fort. Les filles quant à elles trouvent toujours un petit
coin idéal où s’installer selon leurs activités. Elles comblent les places
vacantes, parsèment de leurs jouets les surfaces libres, d’humeur égal elles
s’accommodent de toutes les conditions et lorsque leur papa quitte quelques
temps le carré pour la table à carte elles profitent du créneau pour se
précipiter derrière la toile anti-roulis, chacune à sa manière. Camille, façon
cabris, commence sa manœuvre en prenant appui sur les marches de la descente,
puis un pied sur le plan de la cuisine, le suivant sur la table du carré et le
dernier en prenant appui sur l’épontille pour finir en vol plané au dessus de
la couchette, ce qui a le don de nous faire rager car les acrobaties de ce
genre sont interdites en mer, comme tout autre activités à risque pour les côtes.
Apolline a développé une tout autre technique, plutôt façon pingouin, plus en
adéquation avec sa situation car privée de l’usage de ces bras encombrés par
les nombreux doudous qu’elle porte. Elle amorce un lent et mesuré plongeon la
tête la première dans la couchette, le ventre en appui sur la toile anti-roulis, le corps en
équilibre juste quelques secondes le temps que le prochain coup de gîte vienne
achever la roulade. Quelques contorsions plus tard une petite tête toute ébouriffée
jette une paire d’yeux rieurs par-dessus la toile des fois qu’un doudous soit
resté du mauvais bord pendant la manœuvre.
Heureusement l’ensemble de la
navigation se fera tribord amure… ? Pour ceux qui ignore ce jargon de
marin, tribord amure ça veut dire que le vent vient de tribord et fait gîter le
bateau sur son flanc bâbord. Vous imaginez qu’inévitablement tout ce qui est à
tribord dans le bateau a soudainement envie de rejoindre l’autre bord. Après
quelques vols planés de bricoles en tout genre, pas toujours correctement
réceptionnés pendant les premières traversées, on commence à être au point sur
le sujet, solutionné par quelques élastiques et bouts d’ficelle un peu partout.
Là vous vous demandez mais pourquoi donc la préférence au tribord amure
alors…mmh ? … non c’est pas la priorité dont on a que faire en pleine mer…
Mais tout simplement parce-que nos prises d’eau de mer sont situés à bâbord et
que dans le cas contraire on a plus d’eau de mer et qui dit plus d’eau dit plus
de chasse d’eau ! Vous imaginez le tableau… Autre avantage du tribord
amure c’est que nos seules équipets (petits placards) sont situées à bâbord
donc au cas où le dernier rangement de l’équipet ait été fait un peu trop
négligemment on ne risque pas de mauvaise surprise à l’ouverture.
Gilles qui consciencieusement
fait régulièrement une petite ronde sur le pont pour inspecter tous les points
structurels du bateau découvrira un matin un toron abîmé sur l’un des haubans.
Par chance le temps s’est calmé et les conditions sont suffisamment bonnes pour
grimper aux barres de flèche et doubler le hauban au cas où la situation
s’aggravait avant notre arrivée. Je m’y colle. C’est plus simple car je suis la
plus légère. Quelques minutes plus tard,
assuré par Gilles, je redescendrai, le visage un peu blanc, mais la mission
accomplie.
Nous profiterons de ces quelques
jours de calme pour sortir de notre léthargie forcée, remettre un peu d’ordre, aérer
le bateau, se faire une petite toilette + une petite coupe de cheveux pour le
Capitaine et refaire les pleins des vivres de la cuisine. Le reste de la
traversée rimera avec ‘patience et
longueur de temps’. Et dans ces moments là rien n’est plus réconfortant que
de recevoir des petits mails de nos familles et amis. On en devient même accros
… voir irritables quand la boite aux lettres est vide. Alors continuez !
Et merci à vous car on sait combien votre temps est précieux et n’a pas la même
valeur que celui de nos traversées.
Autre réconfort : les
belles performances qu’affiche notre compteur. Le bateau va vite et passe bien
dans la mer. Sa cure d’amaigrissement draconienne opérée avant le départ est
payante ainsi que pas moins de 3 heures de carénage en bouteille. Le travail
est récompensé. On est content !
Nous abordons les iles à Hilo
sur l’île de Hawaii communément appelées Big Island, la plus grande île de
l’archipel, après 17 jours de mer, pour près de 2200 milles parcourues. Une
belle performance ! Nous sommes le 12 avril, un samedi, de nombreuses
pirogues et voiliers animent le plan d’eau du port Toute cette
activité sur un fond de littoral très urbanisé ! Quel contraste avec les
iles Marquises !
Par chance nous retrouvons un
voilier, perdu de vue depuis les Gambier, grâce à qui le Capitaine ramènera
quelques réjouissances culinaires (comprenez ‘hamburgers frites’) promis aux
petits matelots du bord pour compenser les privations des derniers jours de
mer. Le Capitaine seulement car tant que nous n’avons pas fait les formalités,
l’équipage est consigné à bord (dur dur lorsqu’on arrive un samedi soir et que
l’on doit attendre le lundi matin).
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