mardi 18 mars 2014

Une Coccinelle à Hao.

Par Armelle et Gilles

Si l’orientation du vent nous avait permis d’aller directement vers les îles Marquises, alors nous ne serions pas venus à Hao (à prononcer en inspirant le H), aux Tuamotu, et cela aurait été bien dommage. Car nous serions passés à côté de belles rencontres.


-          « Nous sommes en retard ! 
-          Comment ça en retard ? Personne ne nous attend ! » 
Le Capitaine regarde sa montre et précise :
-          « Nous avons deux heures de retard. C’est terminé on ne passera pas.»
Déçu et le visage fatigué par cette dernière nuit en mer à veiller pendant la remontée le long de la côte de Hao, Gilles regarde fixement la côte, là où le récif s’interrompt pour laisser place à une barrière d’écume qui peu à peu, à mesure de notre approche, se met à gronder de plus en plus fort. C’est la passe de Hao, réputée pour sa relative dangerosité en dehors des horaires navigables, basés sur celles des marées évidemment. Et comme un métronome, dès la renverse, le courant sortant (qui peut atteindre jusqu’à 20 nœuds, un record mondial probablement) reprend sa place et vient défier le vent contraire créant un joyeux bouillonnement infranchissable. A moins d’avoir les chevaux suffisant, ce qui manque malheureusement à notre Coccinelle.
En toute logique il faudrait attendre la prochaine marée. Mais le Capitaine, têtu (puisque breton) décide d’aller voir.
-          « Juste un p’tit coup d’œil. »
Dit-il. Comprenez : « On va tenter l’coup. »
Nous abordons la passe par l’ouest, les rouleaux qui bordent celle-ci ne nous laissent entrevoir le passage qu’au dernier moment, révélant finalement un étroit goulet d’eau, déjà bien agité, de quelques dizaines de mètres de large seulement. Cela semble praticable. Allez zou, on y va ! Nos 27 chevaux appuient les voiles et se lancent à l’assaut d’un courant qui, nous l’espérons, n’excède pas encore notre vitesse maximale de  6 nœuds. Nous progressons d’abord à vitesse lente, longeant les rouleaux qui viennent fracasser le récif, puis au beau milieu du parcours le paysage défile soudain… dans le mauvais sens. Trop tard ! Nous sommes refoulés lamentablement. Mais comme le Capitaine, je vous l’ai dit, est têtu, nous ré essayons mais cette fois en longeant la limite est de la passe. Et c’est avec une très lente progression que nous pénétrons dans les eaux calmes et claires du lagon. Nous voici donc dans un des atolls les plus grands des Tuamotu : une aire de jeux de près de 30 milles de long, protégée par un anneau de corail.


Nous prenons la direction de l’unique village de l’atoll, Otepa.
Dès le premier jour nous faisons la connaissance de Mirabelle et Ronald. Ils tiennent le snack ‘Chez Tia’, du même nom que leur dernière fille qui deviendra rapidement l’amie de Camille et Apolline. Cette joyeuse famille qui compte quatre enfants nous réservera un accueil chaleureux pendant tout notre séjour.



Dès le premier soir nous découvrons le poisson cru, façon Ronald, délicieux ! Un brin de causette avec le chef, et le lendemain, des vélos pour chacun nous attendaient devant le snack.

Les Tuamotu, le plat pays de la Polynésie.
En l’absence toute relative de voitures, le tricycle s’avère être le mode de transport le plus adapté au village. Il permet de se déplacer, mais le grand panier à l’arrière, ou l’autre à l’avant, peut aussi recevoir des enfants : 


Apolline s’en accommodera joyeusement, calée entre deux coussins. 

Une autre fois, nous nous amuserons de ce bébé, âgé d’un peu plus d’un an peut-être, et que sa maman promène dans le panier avant de sa bicyclette. Nous en apercevrons même deux, coincés dans le dit panier !
Les Tuamotu, c’est un peu comme les Pays Bas, le climat en prime ; le paradis du vélo, et ce pour une raison toute simple : ça ne monte pas. 



Le point le plus élevé d’un atoll est celui du plus haut cocotier, ou du clocher, et vu qu’en général on ne monte pas à vélo au sommet des arbres ou des églises… Sinon le platier ne s’élève qu’à quelques mètres au dessus du niveau de la mer. Aux Tuamotu, l’anneau de corail dispose parfois d’une passe qui permet d’accéder à l’intérieur du lagon ; sur ceux qui en sont dénués, le ravitaillement par la goélette (Taporo, Nuku Hau, Aranui) se fait à l’extérieur, sur un point de débarquement. Evidemment, de telles arrivées sur le platier de corail sont toujours un peu rock’n’roll. Les atolls sont d’anciens cratères de volcans qui se sont effondrés et enfoncés sous la surface de la mer. La partie émergée du cratère, à quelques mètres sous la surface de l’eau, a vu ensuite se développer du corail, et la vie y a prospéré. On compte plus de 80 atolls dans l’archipel des Tuamotu, le plus grand mesure 80 km de long, Hao, avec ses 60 km, fait partie des grands.

Nous nous sommes donc levés de bon matin et nous sommes partis sur les chemins de Hao, à bicyclette. Ou plutôt sur le chemin de Hao, puisque seule une route circule sur quelques kilomètres le long du motu principal, où se trouve le village de Otepa avec ses 1.000 habitants. 

Rapidement Maramatea (dite Tia) et Manuarii (son grand frère) prendront l’habitude de venir rejoindre nos filles après l’école, souvent en compagnie d’une bonne partie des enfants du village, pour des baignades, plongeons et sauts depuis la plateforme arrière, qui devient rapidement le plongeoir de piscine le plus couru de l’atoll. 



Il faut dire que grâce au petit tirant d’eau de Coccinelle, nous avons un mouillage de choix, une marina pour nous tous seuls, en plein cœur du village, avec vue sur le lagon. 




Les enfants deviennent vite inséparables, si bien que Camille ira dormir chez ses amis Paumotu bon nombre de fois. Et nous aurons le plaisir également d’accueillir Tia et Manuarii à bord tout un week-end.





Vagabond des Mers du Sud.
Quand il était ado, Ronald, natif de Raiatea, aux îles sous le Vent, rêvait avec ses deux frères d’acheter un voilier et de partir faire le tour du monde. Ce rêve il ne l’a pas encore réalisé. Un dimanche, Mirabelle et Ronald nous proposent spontanément d’aller manger le poisson grillé au faré (maison traditionnelle) de Francine, la maman de Mirabelle.
-          « Et si au lieu d’y aller en voiture, on y allait en bateau ? » 
propose le Capitaine. Banco ! Dimanche matin, Maramatea, Manuarii, Maona, Kahaya et leurs parents, toute la famille donc, embarque à bord de Coccinelle, pour un baptême de navigation à la voile dans le lagon. 






Cerise sur le gâteau, le vent est léger et bien orienté, le spi est extirpé de son sac et bientôt illumine le ciel de Hao, quelle belle journée ! Arrivés devant le faré, l’ancre légère est venue se poser sur le fond de sable entre deux patates de corail, puis tout le monde s’est jeté à l’eau pour rejoindre le motu à la nage. 



Ronald a grillé du poisson, tandis que les enfants jouaient au milieu des patates de corail, dans l’eau tiède et turquoise du lagon. 



Il ne manquait plus que la plage de sable fin. Chance incroyable, au moment du retour, le vent avait tourné, et nous avons pu renvoyer la grande bulle bleue. Ce fut pour nous l’une des plus belles journées depuis que nous avons commencé notre voyage, il y a 17 mois déjà, au cours duquel nous avons déjà parcouru plus de 15.000 milles, soit 28.000 km environ. So long…



Hao, late Atomic City.


A l’époque du CEP, le Centre d’Expérimentation du Pacifique, les bombes atomiques, fabriquées bien sûr en France, transitaient par Hao où elles arrivaient en pièces détachées. C’est ici qu’elles étaient assemblées avant d’être transportées dans les deux atolls concernés, à 250 milles d’ici : Mururoa et Fangatofa. L’atoll comptait plus de 5000 résidents, les militaires et leurs familles bien sûr, les employés du CEA, le Comité à l’Energie Atomique, et surtout de nombreux sous traitants, des civils polynésiens venus de Tahiti ou des autres îles. L’économie de l’île était florissante et le commerce prospère.
Pendant ce temps, l’économie traditionnelle des atolls, la pêche bien sûr, mais aussi la copra culture, ont été délaissées, les cocoteraies n’ont pas été entretenues, ni renouvelées. En 1996, le dernier tir a eu lieu, et les militaires ont commencé à démonter leurs installations, dont il ne reste aujourd’hui pratiquement plus rien. De cette période l’atoll a donc hérité d’une gigantesque piste d’atterrissage et d’une usine de dessalement.

L’avenir de Hao

Aujourd’hui ses 1000 habitants tentent de recréer une économie viable, entre autre en relançant la copra culture ou en développant le tourisme.
Les Paumotu sont souvent obligés de quitter leur atoll pour poursuivre leurs études, souvent à Tahiti, d’où ils ne reviennent pas toujours. Ainsi Ronald et Mirabelle, conscients que c’est entre leurs mains que se joue l’avenir de leurs enfants, s’investissent beaucoup dans la vie sociale et économique de leur atoll.
Hao possède un potentiel, deux jolis bassins bien fermés et qui ne demandent qu’à recevoir des voiliers de passage. Il n’existe pas de moyen de levage dans cette partie des Tuamotu, peut-être un jour un investisseur va-t-il créer une structure capable de sortir et stocker des voiliers hors de l’eau ?
L’escale vaut le coup, le lagon offre de belles plongées au milieu des requins et des raies Manta. L’accueil des habitants est des plus amicaux. Ronald et Mirabelle nous diront à plusieurs reprises :
-          « Dites à vos amis les voiliers qu’ils sont les bienvenus ici, à Otepa. »

En Polynésie, le visiteur reçoit des colliers, de fleurs lors de son arrivée, et de coquillages au moment du départ. Pour respecter la tradition, lors de notre départ, nous serons submergés de jolis colliers en porcelaine.
Le 7 décembre au petit matin, nous quittons Hao et les Tuamotu pour les Marquises. Et de nouveau, mais cette fois comme pour nous retenir, l’unique passe de Hao accomplira une nouvelle démonstration de puissance, à travers laquelle notre Coccinelle fonce tête baissée, écoutilles fermées.



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