Par Armelle
et Gilles
Si
l’orientation du vent nous avait permis d’aller directement vers les îles
Marquises, alors nous ne serions pas venus à Hao (à prononcer en inspirant le H),
aux Tuamotu, et cela aurait été bien dommage. Car nous serions passés à côté de
belles rencontres.
-
« Nous sommes en retard !
-
Comment ça en retard ? Personne ne nous
attend ! »
Le
Capitaine regarde sa montre et précise :
-
« Nous avons deux heures de retard. C’est
terminé on ne passera pas.»
Déçu
et le visage fatigué par cette dernière nuit en mer à veiller pendant la
remontée le long de la côte de Hao, Gilles regarde fixement la côte, là où le
récif s’interrompt pour laisser place à une barrière d’écume qui peu à peu, à
mesure de notre approche, se met à gronder de plus en plus fort. C’est la passe
de Hao, réputée pour sa relative dangerosité en dehors des horaires navigables,
basés sur celles des marées évidemment. Et comme un métronome, dès la renverse,
le courant sortant (qui peut atteindre jusqu’à 20 nœuds, un record mondial
probablement) reprend sa place et vient défier le vent contraire créant un
joyeux bouillonnement infranchissable. A moins d’avoir les chevaux suffisant,
ce qui manque malheureusement à notre Coccinelle.
En
toute logique il faudrait attendre la prochaine marée. Mais le Capitaine, têtu
(puisque breton) décide d’aller voir.
-
« Juste un p’tit coup d’œil. »
Dit-il.
Comprenez : « On va tenter l’coup. »
Nous
abordons la passe par l’ouest, les rouleaux qui bordent celle-ci ne nous
laissent entrevoir le passage qu’au dernier moment, révélant finalement un
étroit goulet d’eau, déjà bien agité, de quelques dizaines de mètres de large
seulement. Cela semble praticable. Allez zou, on y va ! Nos 27 chevaux appuient
les voiles et se lancent à l’assaut d’un courant qui, nous l’espérons, n’excède
pas encore notre vitesse maximale de 6 nœuds. Nous progressons d’abord à vitesse
lente, longeant les rouleaux qui viennent fracasser le récif, puis au beau
milieu du parcours le paysage défile soudain… dans le mauvais sens. Trop
tard ! Nous sommes refoulés lamentablement. Mais comme le Capitaine, je
vous l’ai dit, est têtu, nous ré essayons mais cette fois en longeant la limite
est de la passe. Et c’est avec une très lente progression que nous pénétrons
dans les eaux calmes et claires du lagon. Nous voici donc dans un des atolls
les plus grands des Tuamotu : une aire de jeux de près de 30 milles de
long, protégée par un anneau de corail.
Nous
prenons la direction de l’unique village de l’atoll, Otepa.
Dès
le premier jour nous faisons la connaissance de Mirabelle et Ronald. Ils
tiennent le snack ‘Chez Tia’, du même nom que leur dernière fille qui deviendra
rapidement l’amie de Camille et Apolline. Cette joyeuse famille qui compte
quatre enfants nous réservera un accueil chaleureux pendant tout notre séjour.
Dès
le premier soir nous découvrons le poisson cru, façon Ronald, délicieux ! Un
brin de causette avec le chef, et le lendemain, des vélos pour chacun nous
attendaient devant le snack.
Les
Tuamotu, le plat pays de la
Polynésie.
En
l’absence toute relative de voitures, le tricycle s’avère être le mode de transport
le plus adapté au village. Il permet de se déplacer, mais le grand panier à
l’arrière, ou l’autre à l’avant, peut aussi recevoir des enfants :
Apolline
s’en accommodera joyeusement, calée entre deux coussins.
Une autre fois, nous
nous amuserons de ce bébé, âgé d’un peu plus d’un an peut-être, et que sa maman
promène dans le panier avant de sa bicyclette. Nous en apercevrons même deux, coincés
dans le dit panier !
Les
Tuamotu, c’est un peu comme les Pays Bas, le climat en prime ; le paradis
du vélo, et ce pour une raison toute simple : ça ne monte pas.
Le point le
plus élevé d’un atoll est celui du plus haut cocotier, ou du clocher, et vu qu’en
général on ne monte pas à vélo au sommet des arbres ou des églises… Sinon le
platier ne s’élève qu’à quelques mètres au dessus du niveau de la mer. Aux
Tuamotu, l’anneau de corail dispose parfois d’une passe qui permet d’accéder à l’intérieur
du lagon ; sur ceux qui en sont dénués, le ravitaillement par la goélette (Taporo,
Nuku Hau, Aranui) se fait à l’extérieur, sur un point de débarquement. Evidemment,
de telles arrivées sur le platier de corail sont toujours un peu rock’n’roll.
Les atolls sont d’anciens cratères de volcans qui se sont effondrés et enfoncés
sous la surface de la mer. La partie émergée du cratère, à quelques mètres sous
la surface de l’eau, a vu ensuite se développer du corail, et la vie y a
prospéré. On compte plus de 80 atolls dans l’archipel des Tuamotu, le plus
grand mesure 80 km
de long, Hao, avec ses 60 km ,
fait partie des grands.
Nous
nous sommes donc levés de bon matin et nous sommes partis sur les chemins de
Hao, à bicyclette. Ou plutôt sur le chemin de Hao, puisque seule une route circule
sur quelques kilomètres le long du motu principal, où se trouve le village de
Otepa avec ses 1.000 habitants.
Rapidement Maramatea (dite Tia) et Manuarii
(son grand frère) prendront l’habitude de venir rejoindre nos filles après
l’école, souvent en compagnie d’une bonne partie des enfants du village, pour
des baignades, plongeons et sauts depuis la plateforme arrière, qui devient
rapidement le plongeoir de piscine le plus couru de l’atoll.
Il faut dire que
grâce au petit tirant d’eau de Coccinelle, nous avons un mouillage de choix,
une marina pour nous tous seuls, en plein cœur du village, avec vue sur le
lagon.
Les enfants deviennent vite inséparables, si bien que Camille ira dormir
chez ses amis Paumotu bon nombre de fois. Et nous aurons le plaisir également d’accueillir
Tia et Manuarii à bord tout un week-end.
Vagabond
des Mers du Sud.
Quand
il était ado, Ronald, natif de Raiatea, aux îles sous le Vent, rêvait avec ses deux
frères d’acheter un voilier et de partir faire le tour du monde. Ce rêve il ne
l’a pas encore réalisé. Un dimanche, Mirabelle et Ronald nous proposent
spontanément d’aller manger le poisson grillé au faré (maison traditionnelle)
de Francine, la maman de Mirabelle.
-
« Et si au lieu d’y aller en voiture, on y
allait en bateau ? »
propose
le Capitaine. Banco ! Dimanche matin, Maramatea, Manuarii, Maona, Kahaya
et leurs parents, toute la famille donc, embarque à bord de Coccinelle, pour un
baptême de navigation à la voile dans le lagon.
Cerise sur le gâteau, le vent
est léger et bien orienté, le spi est extirpé de son sac et bientôt illumine le
ciel de Hao, quelle belle journée ! Arrivés devant le faré, l’ancre légère
est venue se poser sur le fond de sable entre deux patates de corail, puis tout
le monde s’est jeté à l’eau pour rejoindre le motu à la nage.
Ronald a grillé
du poisson, tandis que les enfants jouaient au milieu des patates de corail,
dans l’eau tiède et turquoise du lagon.
Il ne manquait plus que la plage de
sable fin. Chance incroyable, au moment du retour, le vent avait tourné, et nous
avons pu renvoyer la grande bulle bleue. Ce fut pour nous l’une des plus belles
journées depuis que nous avons commencé notre voyage, il y a 17 mois déjà, au
cours duquel nous avons déjà parcouru plus de 15.000 milles, soit 28.000 km environ. So
long…
Hao,
late Atomic City.
A
l’époque du CEP, le Centre d’Expérimentation du Pacifique, les bombes atomiques,
fabriquées bien sûr en France, transitaient par Hao où elles arrivaient en
pièces détachées. C’est ici qu’elles étaient assemblées avant d’être
transportées dans les deux atolls concernés, à 250 milles d’ici : Mururoa
et Fangatofa. L’atoll comptait plus de 5000 résidents, les militaires et leurs
familles bien sûr, les employés du CEA, le Comité à l’Energie Atomique, et
surtout de nombreux sous traitants, des civils polynésiens venus de Tahiti ou
des autres îles. L’économie de l’île était florissante et le commerce prospère.
Pendant
ce temps, l’économie traditionnelle des atolls, la pêche bien sûr, mais aussi
la copra culture, ont été délaissées, les cocoteraies n’ont pas été
entretenues, ni renouvelées. En 1996, le dernier tir a eu lieu, et les
militaires ont commencé à démonter leurs installations, dont il ne reste
aujourd’hui pratiquement plus rien. De cette période l’atoll a donc hérité d’une
gigantesque piste d’atterrissage et d’une usine de dessalement.
L’avenir
de Hao
Aujourd’hui
ses 1000 habitants tentent de recréer une économie viable, entre autre en
relançant la copra culture ou en développant le tourisme.
Les
Paumotu sont souvent obligés de quitter leur atoll pour poursuivre leurs études,
souvent à Tahiti, d’où ils ne reviennent pas toujours. Ainsi Ronald et
Mirabelle, conscients que c’est entre leurs mains que se joue l’avenir de leurs
enfants, s’investissent beaucoup dans la vie sociale et économique de leur
atoll.
Hao
possède un potentiel, deux jolis bassins bien fermés et
qui ne demandent qu’à recevoir des voiliers de passage. Il n’existe pas de
moyen de levage dans cette partie des Tuamotu, peut-être un jour un
investisseur va-t-il créer une structure capable de sortir et stocker des
voiliers hors de l’eau ?
L’escale
vaut le coup, le lagon offre de belles plongées au milieu des requins et des
raies Manta. L’accueil des habitants est des plus amicaux. Ronald et Mirabelle
nous diront à plusieurs reprises :
-
« Dites à vos amis les voiliers qu’ils sont les
bienvenus ici, à Otepa. »
En
Polynésie, le visiteur reçoit des colliers, de fleurs lors de son arrivée, et
de coquillages au moment du départ. Pour respecter la tradition, lors de notre
départ, nous serons submergés de jolis colliers en porcelaine.
Le
7 décembre au petit matin, nous quittons Hao et les Tuamotu pour les Marquises.
Et de nouveau, mais cette fois comme pour nous retenir, l’unique passe de Hao
accomplira une nouvelle démonstration de puissance, à travers laquelle notre
Coccinelle fonce tête baissée, écoutilles fermées.
ah ah que de bonnes nouvelles, bises à vous JR
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