Par : Armelle.
Pourquoi faire escale à Pitcairn, nous direz-vous ?
Cette île minuscule, sans plage, ni baie abritée, encerclée de hautes falaises
exposées aux vents dominants et à la houle, avec un unique village de 50
habitants. Une île qui ne se trouve qu’à quelques jours de mer d’un joli
archipel doté de lagons, de plages, de coraux et de bons mouillages (les
Gambier).
Et bien parce-que Pitcairn à une histoire particulière, liée
à ses habitants.
Laissez-moi vous la raconter, si vous ne la connaissez déjà,
et vous comprendrez sans aucun doute notre obstination :
En 1787 la couronne
d’Angleterre fait armer un navire du nom de la Bounty pour un long voyage vers
Tahiti puis retour vers les Caraïbes, avec pour mission de rapporter des
pousses d’arbres à pain. Ceci dans le but de fournir de la nourriture à bon
marché pour les esclaves des colonies anglaises implantées dans les îles
caribéennes. Le commandement est confié au capitaine Bligh. A son bord se
trouve également Fletcher Christian, premier lieutenant et ami du capitaine.
Leur amitié part vite en fumée après quelques semaines en mer. Fletcher
Christian est en complet désaccord avec les méthodes disciplinaires du
capitaine, qu’il juge cruelles et démesurées. L’équipage arrive épuisé à Tahiti
et y séjourne plusieurs mois, avant de repartir les cales chargées de jeunes
pousses d’arbre à pain. Ils auront reçu un accueil très chaleureux de la part
des tahitiens et beaucoup de marins se liront avec des femmes. Fletcher
Christian entre autre, n’échappera pas à leur charme et tombera amoureux de
Maimiti, la fille du roi. Dès leur départ les humiliations et punitions sévères
du capitaine reprennent. Le contraste avec la douceur de vivre Tahitienne est
énorme, la mutinerie éclate après seulement deux semaines de mer. Fletcher Christian
en prend le commandement. Le capitaine Bligh et la plupart de ses hommes sont
débarqués dans la chaloupe, 19 au total qui, après 5 mois de navigation,
parviendront à rejoindre l’île de Timor. Quant à La Bounty, celle-ci fait
demi-tour en direction de Tahiti. Elle y séjournera quelques temps avant d’en
repartir avec 9 mutins et des Tahitiens, hommes et femmes, dans le but de
trouver une île isolée, voir inconnue ou jamais aucun navire du royaume
d’Angleterre ne viendra reprendre les mutins pour les juger. En effet s’ils
sont repris, pour eux, c’est la peine capitale. Leur odyssée les mènera jusqu’à
Pitcairn, une île dotée de tout ce qu’il faut pour vivre (eau, fruits et
légumes en abondance), une île de surcroît jamais visitée car très difficile à
aborder. Enfin les cartes de l’époque sont fausses, Carteret s’est trompé de
150 milles en longitude dans son relevé, lors de sa découverte en 1767. L’île
est parfaite pour une communauté qui désire ne jamais être retrouvée.
Ils bâtiront ici un
petit havre de paix à l’abri de toute visibilité depuis la mer. La Bounty sera
échouée sur les récifs et brûlée. Des enfants viennent rapidement remplir les
maisons. Chacun s’emploie à subvenir à ses besoins par diverses récoltes.
Malheureusement ils ont commis une grave erreur : leur petite communauté
comprend plus d’hommes que de femmes. Des tensions vont vite apparaitre et peu
à peu s’envenimer jusqu’à de graves querelles se concluant par des bains de
sang, au cours desquels Fletcher Christian et bien d’autres hommes trouveront
la mort. En 1820 lorsqu’un baleinier américain fait relâche sur l’île de
Pitcairn, c’est le premier depuis la Bounty. Il ne reste plus qu’un seul homme,
John Adams, vivant au milieu d’une vingtaine de femmes et d’enfants. Il finira
par raconter l’histoire des révoltés de la Bounty, dont le sort fut demeuré
inconnu jusqu’alors.
Cette histoire eut un retentissement dans le monde entier.
Car en effet à l’époque de la mutinerie de la Bounty un courant humaniste
remettait en cause l’ordre établi aboutissant entre autres à une révision du
Code Maritime et surtout en France à la Révolution de 1789 et la Déclaration
des Droits de l’Homme.
En faisant escale à Pitcairn nous voulions revivre cette
épopée, naviguer dans le sillage de la Bounty et venir à la rencontre des
descendants des mutins.
Arrivée sous spi à Pitcairn
Aujourd’hui les habitants de Pitcairn se prénomment tous
Christian, Young, MacCoy, ou Adams. A peu d’exception près ils sont tous
descendants des mutins de la Bounty. Ils parlent un dialecte mi anglais mi
polynésien et subsistent grâce aux ravitaillements trimestriels d’un cargo
néo-zélandais.
L’île n’a reçu aucune visite depuis un mois et aujourd’hui
nous sommes deux bateaux à arriver le même jour et à mouiller dans la célèbre
baie de la Bounty, à seulement quelques mètres des restes de son épave. Tikaï,
un bateau français de 21m que nous avions rencontré aux Galápagos, vient faire
escale ici pour une mission scientifique.
Mouillage dans la baie de la Bounty.
L'épave se trouve à quelques mètres derrière, au niveau des roches.
Nous décidons de débarquer ensemble
et par nos propres moyens… La manœuvre s’avèrera plus que délicate : ‘Attention surtout ne pas regarder derrière
soit et foncer entre deux vagues en opérant un brusque virage à gauche juste
devant les roches, pour venir s’abriter derrière le petit môle. Waouh !
Impressionnant quand on regarde la déferlante qui vient aussitôt refermer
la passe. Ça commence fort !’ Et pendant toute la balade on pense au
retour qui ne va pas être simple.
Les falaises de Pitcairn. Ca déferle au travers de la passe d’accès au môle de débarquement.
Une fois à terre et remis de nos émotions, nous sommes
chaleureusement accueillis par Charleen qui nous offre à chacun un collier
confectionné par sa maman. Puis direction le petit bureau de l’immigration
improvisé pour l’occasion (une planche sur tréteaux recouverte d’une jolie
nappe, installée en plein air devant le hangar à bateaux et qui sera démontée
aussitôt les formalités effectuées), où le représentant des autorités
britanniques (mais Néo Zélandais) nous reçoit en uniforme, sans aucun doute
enfilé quelques minutes auparavant.
Bureau de l’immigration
Nous sommes ensuite embarqués, pour le plus grand bonheur
des filles et du nôtre, car la pente est raide et nos guibolles toutes molles,
dans des super quads, aménagés de rangements et assises supplémentaires et
surplombés d’un abri, pour gravir la route qui mène au village, invisible
depuis la cote. Nous découvrirons vite que ce sont les seuls moyens de
locomotion sur l’île car les seuls adaptés aux routes escarpées et
transportables par cargos.
Moyen de locomotion unique à Pitcairn : le quad
Charleen nous dépose au village et nous propose avec
beaucoup de discrétion ses services si besoin. « Call Charlene on channel 16 if you need something » nous dit
elle en désignant sa radio dans sa poche. Et nous aurons de cesse de recevoir
ce genre de proposition car tous ici communiquent par radio VHF, toujours
utilisée malgré l’arrivée récente du téléphone.
Pour visiter le musée ? Call Nadine,
on channel 16 of course. Pour poster une carte ? No problem, call Denis. Il vous ouvrira le bureau de poste.
Aujourd’hui nous sommes samedi ; la communauté étant des Adventistes du
Septième Jour, les samedis sont fériés mais les habitants savent que les
bateaux de passage sont tributaires de fenêtres météo souvent très courtes,
alors ils sont prêts à nous ouvrir tous les services si besoin. Et lorsque nous
leur disons que ce n’est pas nécessaire car nous revenons demain ils répondent
d’un air dubitatif : ‘Ouh ! If
the weather is good !’
Notre première visite sera de courte durée car nous devons
regagner notre bord en même temps que l’équipage de Tikaï qui doit déjà
repartir. Le retour fut très sportif comme on s’y attendait. Une fois à bord
nous découvrons l’inconfort du mouillage : le bateau est ballotté dans
tous les sens, malgré le fait que nous ayons laissé la grand-voile à deux ris
pour en diminuer les effets. La fatigue de la traversée n’arrangeant rien à
notre état moral nous songeons à repartir, peu motivés pour passer la nuit dans
un tel inconfort avec l’angoisse de déraper, alors qu’un paisible lagon nous
attend à moins de trois jours de mer seulement. Malheureusement c’est chose
impossible sans avoir refait un peu de gasoil. Et pour cela nous avons besoin
de l’assistance de la chaloupe des Pitcairnais qui est déjà mobilisée par Tikai
pour le chargement de son matériel scientifique.
L’affaire est réglée, nous resterons ici cette nuit et prenons rendez-vous pour demain matin avec Jay le pilote de la chaloupe. Et même si la nuit fut à la hauteur de ce que l’on craignait, nous passerons une superbe journée le lendemain, en visitant le village et ses divers services, ou lieux de pèlerinage sur les traces des révoltés de la Bounty, en compagnie de Torika, la fille de Charleen.
Nous verrons les lieux où se trouvaient la maison de Fletcher Christian et Maimiti, la tombe de John Adams, les restes de ce qu’une expédition sous-marine a pu récupérer de la Bounty. Chaque lieu ravivant le souvenir de notre lecture de la célèbre trilogie de Nordhoff and Hall, dont le dernier volet est entièrement consacré à l’épopée sur l’île de Pitcairn.
Nous aurons quelques discussions sympathiques et intéressantes avec les habitants, en particuliers avec Nadine qui nous fera visiter le musée et qui aime à entretenir un certain mystère sur le mythe du devenir des mutins. « John Adams se serait contredit plusieurs fois dans son récit, il n’aurait peut-être pas dit toute la vérité », nous murmure-t-elle…
Débarquement de la chaloupe entre deux déferlantes
Mouillage houleux
L’affaire est réglée, nous resterons ici cette nuit et prenons rendez-vous pour demain matin avec Jay le pilote de la chaloupe. Et même si la nuit fut à la hauteur de ce que l’on craignait, nous passerons une superbe journée le lendemain, en visitant le village et ses divers services, ou lieux de pèlerinage sur les traces des révoltés de la Bounty, en compagnie de Torika, la fille de Charleen.
Nous verrons les lieux où se trouvaient la maison de Fletcher Christian et Maimiti, la tombe de John Adams, les restes de ce qu’une expédition sous-marine a pu récupérer de la Bounty. Chaque lieu ravivant le souvenir de notre lecture de la célèbre trilogie de Nordhoff and Hall, dont le dernier volet est entièrement consacré à l’épopée sur l’île de Pitcairn.
Le sommet de Pitcairn
Balade dans l’île en compagnie de Torika
L’école de Pitcairn où sont inscrits seulement 8 enfants
La cour de récré avec :
Accrobranches
Trampoline en pleine nature
Cabane dans les arbres
Le jeu préféré des enfants : grimper au sommet des banian trees.
Nous aurons quelques discussions sympathiques et intéressantes avec les habitants, en particuliers avec Nadine qui nous fera visiter le musée et qui aime à entretenir un certain mystère sur le mythe du devenir des mutins. « John Adams se serait contredit plusieurs fois dans son récit, il n’aurait peut-être pas dit toute la vérité », nous murmure-t-elle…
Ou bien avec la famille de Carol, mère de Charleen, qui nous
accueillera pour le déjeuner et nous racontera les complications de la vie
qu’implique une communauté aussi isolée, mais que tous souhaitent pourtant
conserver. Nous repartirons avec un joli plat en bois confectionné par Carol,
dont nous apprendrons en regardant au dos de celui-ci qu’elle se prénomme
Christian. Nous avions passé une bonne partie de la journée avec cette famille
et n’avions pas pensé jusqu’ici à leur poser la question fatidique : de
quel mutin descendez-vous ? Carol nous apprend alors qu’elle fait partie
de la 6ème génération des descendants de Fletcher Christian et que
bien qu’elle soit mariée elle a gardé son nom de famille, étant bien consciente
de sa valeur. La 1ère chose que font les touristes qui achètent de
l’artisanat à Pitcairn, nous apprend-elle, est de vérifier si c’est fait par un
descendant des mutins. Et le descendant le plus connu est évidemment celui qui
a mené la mutinerie. Et de conclure en souriant : « Business is business ! »
Carol nous racontera la vie de ses enfants. Certains sont
restés vivre à Pitcairn mais d’autres sont partis. Sa fierté demeure son fils
unique : Daryl Christian, descendant de Fletcher Christian, 7ème
génération, sillonne à son tour les océans … mais cette fois en tant que
capitaine d’un grand yacht !
Il est déjà l’heure de repartir, nous voulons regagner notre bord dès la fin
d’après-midi pour ne pas se faire prendre par la nuit au cas où la manœuvre de
la remontée de l’ancre s’avèrerait plus compliquée que prévu, car il est hors
de question de passer la prochaine nuit au mouillage. La fenêtre météo est
terminée, la houle et le vent reviennent dès ce soir.
Nous lèverons l’ancre en même temps qu’une petite brise
évanescente. Déjà les à coups sur le guindeau sont violents. Nous regardons l’île
de Pitcairn s’éloigner dans notre sillage, sous un soleil couchant avec
beaucoup d’émotion. Nous réalisons, les jambes encore flageolantes des
tribulations ‘pitcairnoises’, que nous venons de franchir une grande étape
symbolique de notre voyage. Cette escale sera sans doute la plus courte de
notre long périple mais marquera nos esprits plus que tout autre.