Par : Gilles.
La technique pour traverser l’Océan
Atlantique, entre les îles Canaries, à l’est, et les Antilles, à l’ouest, est
en théorie assez simple. Elle consiste à placer une motte de beurre sur le pont
du bateau. Vous choisirez si possible du beurre doux, celui qui ne sert jamais,
et que de toutes façons on finira par balancer par-dessus bord parce qu’il est
resté trop longtemps oublié au fond du frigo. Vous prenez alors une route vers
le sud. Quand la motte de beurre a fondu, c’est qu’il est temps de tourner à
droite, en laissant le soleil levant dans le sillage, et le soleil couchant
devant l’étrave. Ensuite, c’est tout
droit, et il ne reste plus qu’à se laisser pousser par le doux souffle des
alizés, et ce jusqu’aux Antilles.
Ca, c’est la théorie. Bon, cette
année, avec Coccinelle, les choses ne se sont pas passées exactement de la même
façon. Dès le départ de Gran Canaria, nous avons été poussés par un alizé
plutôt frais, qui nous a certes menés plein pot plus ou moins dans la bonne
direction, mais qui surtout nous a maintenus enfermés, à l’intérieur, à l’abri
des embruns. Inconvénient de la formule, trois mètres de creux n’ont jamais
représenté les meilleures conditions pour s’amariner et se libérer des affres
du mal de mer (pour les personnes concernées, suivez mon regard). Alors jour
après jour nous avons attendu, attendu, en se disant que ça allait forcément
finir par se calmer, que les alizés modérés, ce serait sûrement pour bientôt. En
attendant, la Coccinelle sautait, roulait, tanguait (merci les toiles anti
roulis !), et cela a duré une semaine. Et tout cela sans soleil évidemment !
Puis le vent s’est calmé, ça
n’était pas encore les levers de soleil majestueux, mais au moins nous pouvions
rester dehors, bouquiner pour les uns, écouter des émissions en balado-diffusion
pour les autres, ou encore jouer aux Play Mobils ou aux Barbie.
Jusqu’à ce que la soufflerie ne
se remette en route, et hop ! Tout le monde à l’intérieur, et la
Coccinelle de ramasser ses ailes et faire le gros dos dans cet alizé redevenu
plutôt (très) frais.
Alors le baro a commencé à chuter, c’était parti pour un
premier coup de vent, modéré peut-être, mais un coup de vent quand-même, avec
de grosses traînées d’écume, le tout sous des seaux, que dis-je, des citernes
d’eau de pluie ! Une pluie diluvienne, et un vent forcément
virulent !
Deux jours après on a remis ça,
de l’autre côté de la dépression (car c’en était une), vent et pluie (ouh lala,
où donc le ciel va-t-il chercher toute cette eau ?) Vous devez vous dire,
il déconne, Gilles, des dépressions dans les alizés, ça n’existe pas. Et bien
si, quand on est là. Vous en connaissez beaucoup, des bateaux qui ont eu droit
à trois dépressions tropicales (Gordon une fois et Nadine deux fois) en un mois
aux Açores ?
Si on était déjà bien sud, genre 17°N,
il faisait déjà chaud, 28° à l’intérieur. Il faut nous imaginer tous les
quatre, à moitié à poil, enfermés dans un shaker saturé d’humidité : on a en
effet quelques problèmes d’étanchéité au niveau de certains hublots, en fait,
pratiquement tous ; idem sur certains panneaux, les deux grands sont à
changer, le budget va en prendre un coup ! Alors on s’est fait toute la
série des Astérix en dessins animés, des heures et des heures, l’assurance de bons
éclats de rire face à une météo aussi peu compréhensive. Ensuite, pendant des
jours, Camille et Apolline joueront à préparer de la potion magique, que papa
sera le premier à avoir le droit de gouter, « le
papa le plus fort du monde », dixit Apo. C’est bien connu, la vérité
sort de la bouche des enfants. Dans ces cas là, mais même quand il fait moins
chaud, Apolline transpire beaucoup, « une
petite bouillotte qui irradie son bonheur en rayonnant de chaleur », dixit
sa maman. Une petite Apolline qui
quel que soit le temps continue de faire ses galipettes et ses poiriers, sous
notre regard plutôt inquiet : il suffirait d’un coup de roulis pour
qu’elle se fasse très mal !
Puis à la tempête a succédé la
pétole ! Heureusement il y a la pêche, et là, on est balaizes ! Si la
première semaine ça bougeait tellement que nous n’avons même pas imaginé mettre
une ligne de traîne, ensuite nous nous sommes rattrapés, grâce notamment
(exclusivement…) à une arme fatale achetée avant le départ à La Rochelle, un
leurre siffleur magique qui n’attrape que les Coryphènes (la Daurade, qu’on
appelle aussi Mahi Mahi dans le Pacifique). Deux heures avant le repas, il
suffisait de se dire : et si on mangeait du poisson ce midi ? La
ligne à l’eau, et c’est parti, une belle daurade de 70 ou 80 cm , à la chair délicieuse
et juste assez grosse pour nous assurer deux repas pour quatre, en général pané
pour satisfaire les goût plutôt sélectifs des petites mousses… Un régal je vous
le dis ! D’ailleurs, nous faisions la fine bouche, et quand nous estimions
le poisson trop petit, ou non conforme à nos attentes, il reprenait le chemin
de l’océan. Après avoir pêché l’une de nos premières Coryphènes, Camille s’est
mise à pleurer, triste que nous puissions prendre la vie d’un poisson. Nous lui
expliquons qu’il s’agissait là d’un vieux poisson, qui de toute façon allait
mourir.
-
« Mais si
c’est un vieux poisson, c’est une maman poisson qui abandonne ses enfants ? »
répond alors Camille, inconsolable.
Aux Canaries, nous avions acheté
plusieurs kilos de bananes vertes, accrochées à l’arrière, sous un panneau
solaire, protégées par un tissu, elles se sont plutôt bien conservées. Les
bananes cuites au sucre et au beurre, façon Armelle, je vous les
recommande !
Finalement, il aura fallu
attendre la troisième semaine pour voir le temps s’arranger. Les filles ont
enfin pu s’extasier devant les levers et couchers de soleil, les ciels étoilés et le sillage illuminé de
planctons. Elles s’imaginaient alors transportées au pays des fées !
Chaque matin l’équipage s’est
réveillé au son de Verdi, de Bach ou de Mozart, le signe du Capitaine qu’il
était temps pour le reste de l’équipage de sortir pour bénéficier d’un
splendide lever de soleil…
Nous avons eu des conditions très
difficiles que nous nous étions juré de ne jamais rencontrer avec les enfants.
Les filles ne se sont jamais plaintes de leur sort en mer et ont toujours gardé
leur joie de vivre. Nous savons maintenant que c’est possible, en famille, ce
qui nous permettra d’aborder les prochaines traversées sereinement, en gardant
à l’esprit que nous ne sommes jamais
à l’abri des caprices d’Eole.
La traversée aura donc duré 22
jours, entre Gran Canaria et la Martinique. Nous avons parcouru un peu moins de
2900 milles.
Cathy se joint à moi pour souhaiter une tres bonne année à l'équipage de Coccinelle.
RépondreSupprimerque les vents vous redeviennent favorables et la mer douce, que vos projets connaissent une fin heureuse pour que vous puissiez longtemps nous faire rêver de voyage (au moins jusqu'à l'été 2014, date de notre propre départ ;) )
Vincent
plus de nouvelles ????
RépondreSupprimersniff
Vincent