'Madame le professeur'.
Par Armelle.
En
revenant à Hiva Oa, après plus de cinq jours de louvoyage depuis les Tuamotu,
je ne savais toujours pas si un nouveau contrat m’attendait ou non au collège.
Je n’avais reçu que des promesses orales, mais rien d’écrit. Cependant, quand
je me suis rendue au collège, le jour de la rentrée ; j’étais plutôt
confiante. On n’avait tout de même pas fait toute cette route contre le vent
pour rien !
Je signais un premier contrat de 5 heures d’enseignement en arts plastiques dès
le premier jour, puis heureusement un autre de 9 heures en arts appliqués
quelques jours après. Ce qui me faisait 14 heures sur 2 matières, 9 niveaux de
classes et quelques 140 visages et prénoms, pour la plupart exotiques, à
retenir. Il a fallu acheter un téléphone portable, greffer ma montre au poignet,
réviser ma culture et me plonger dans celle des marquisiens, revoir mes tenues et
accessoirement apprendre le métier de professeur tout en l’exerçant.
Vue sur le CSP d'Atuona depuis le collège |
J’allais
maintenant au collège tous les jours. Je prenais le truck le matin avec les
filles (leur école juxtapose la mienne) pour me retrouver au coude à coude avec
mes élèves encore tout endormis ; comme moi. Dans l’ambiance dès 6h45 et ce
jusqu’à 16h. Je préparais mes cours et corrigeais mes cahiers dans la salle des
profs car je n’en avais pas la place au bateau ; où de toutes façons
chaleur excessive et roulis incessant m’auraient rendu la tâche ardue.
Je
crois que j’ai connu toutes les galères de profs : depuis la boulette de
papier jetée incognito à la figure, à la tache d’encre sur la chaise, jusqu’à la mutinerie générale ou encore le "sauve qui peut !". J’ai passé des heures dans la salle des profs à écouter les
conseils prodigués par mes collègues, que je redistribuais au hasard dans la
bataille. Un jour je perdais un élève ou une classe entière ; le
lendemain, heureusement, j’en retrouvais deux autres. Je plongeais la semaine
dans un flot de regards au large répertoire de sentiments, depuis
l’indifférence et la provocation jusqu’au rire et la complicité, parfois (ouf !) la
reconnaissance. Je me souviens d’une petite fille qui avait lancé avec mauvaise
humeur, lorsque je montrais un tableau de Matisse : « Madame c’est nul ça,
c’est des trucs de popa’a !» Et qui quelques semaines après est revenu me dire : « Madame, j’aime bien Matisse maintenant. »
Pour intéresser les élèves je cherchais toujours dès que cela était possible de marier la culture polynésienne et la culture occidentale. Cela donnait parfois des cocktails amusants.
Illustration du livre Taourama et le lagon bleu, en s'inspirant des oeuvres de Matisse, réalisé par des élèves de 6ème |
Illustration de la légende de Makaiaanui en s'inspirant du pop art de Andy Warhol, réalisé par des élèves de 6ème |
Le
week-end je faisais le vide grâce à nos petites escapades avec Coccinelle. Il
m’arrivait de croiser des élèves, ceux qui habitent dans les vallées. Ceux-là
sont souvent beaucoup plus à l’aise avec une rame, une ligne de pêche ou une
planche de surf qu’un crayon.
Des élèves du CETAD à la pêche, à Fatu Hiva |
Les élèves du collège-lycée au va'a |
Certains
élèves, le plus souvent des garçons, maitrisent l’art du motif marquisien et
remplissent des surfaces avec une aisance et un talent incroyable. Ceux là sont
souvent fils ou filles de sculpteurs ou tatoueurs mais pas toujours. Ils sont
fiers de dire ; « Ca c’est marquisien et non maori ! »,
sans trop savoir que les origines de la culture maorie sont ici. Beaucoup ne
connaissent pas le sens originel de cet art, sa symbolique et son langage, mais la relève est assurée !
Recherche de dessins sur le thème de la Chine et du bien-être, réalisés par des élèves de CAP APR et de Bac Pro GA |
Cette expérience nous a permis de remonter la caisse de bord de Coccinelle car c’est un travail toujours très bien payé en Polynésie. Et quelle chance de pouvoir connaître les marquisiens à travers leur jeunesse, découvrant et partageant avec eux leur culture, partagée entre deux mondes, l’année justement ou le Festival des Arts se prépare et se joue à Hiva Oa.
Ce
fut pour moi la plus énorme expérience humaine que j’ai eu la chance de vivre
et que j’espère un jour prolonger.
L’école des filles.
Par Apolline
Cette
année c’est la première fois que nous avons fait une année scolaire complète
dans une vraie école. C’était super parce qu’il n’y avait plus de CNED.
L’école
est assez loin, il faut prendre le truck. J’adorais ça. Il fait un bruit
d’enfer !
Notre
école se trouve au creux d’une vallée entourée de crêtes dont l’une mène au
mont Temetiu, le sommet des Marquises qui fait plus de 1000 mètres .
L'école des filles |
Dans
la cour de l’école il y a des arbres fruitiers et des fleurs de tiare. J’ai
appris des chansons, des danses et des poésies marquisiennes et Camille a fait
du va’a.
Je
me suis faite une super amie dans ma classe, Vaiana. On ne se quittait plus.
J’étais très triste de la quitter à la fin de l’année, heureusement il y avait
aussi Elea.
Camille, elle, jouait beaucoup avec Maud qui habitait aussi sur un
bateau mais elle est partie pendant les vacances de Noel. Après elle a eu
d’autres amies, Hiva Nui, Pehekua et Paloma. Malheureusement, toutes les amies
qui sont venues au bateau ont eu le mal de mer, alors on jouait souvent
ensemble sur le quai. Le week-end lorsque nous allions à Tahuata, nous
retrouvions des camarades d’école, surtout à Hapatoni. Ils sont pensionnaires
la semaine et rentrent le week-end à Tahuata (mais pas toujours). Ils sont en
CM1 et sont déjà pensionnaires !
Apolline et Vaiana |
Les petits matelots du port de Tahauku |
Les cours de danse et le gala.
Par Camille
Apolline,
maman et moi on a pris des cours de danses tahitiennes toute l’année. C’est
très dur d’apprendre tous les mouvements. Il faut bouger les fesses ! On
apprend en même temps quelques mots de tahitien. A la fin de l’année Tahia,
notre professeur, a organisé un gala. A mon retour de France, j’avais tout
oublié, j’ai failli abandonner mais je ne voulais pas décevoir Tahia alors j’ai
continué et finalement j’étais très fière de moi.
Le
gala c’était super ! On a dansé plusieurs danses chacune, un aparima
tapirimai, un otea tata et un otea final tous ensemble (les tout petits de
l’âge d’Apolline jusqu’aux mamans). Entre chaque danse il fallait vite vite se
changer en coulisses pour la danse suivante comme les grands artistes !
Il
a fallu fabriquer les costumes végétaux. Ca c’est maman qui a fait. On est allé
chercher des plantes dans les jardins des voisins, des feuilles de bananiers,
des cocos pour récupérer la bourre, des autis, de la fougère et des tiares avec
lesquels on a fait des tours de taille, des colliers et des couronnes.
Heureusement maman a eu de l’aide d’autres maman car c’est difficile de faire
joli quand c’est la première fois.
Les escapades du week-end.
Par Armelle.
Dès
la rentrée nous avons repris nos petites escapades du week-end à Tahuata. Le
vendredi après-midi, le Capitaine relevait le mouillage arrière et préparait
les voiles pendant que les filles allaient au cours de danse. Lorsque la
dernière revenait tout juste du village, Coccinelle trépignait déjà devant la
sortie de la baie grand voile haute. Nous quittions le port agité de Tahauku pour
retrouver les eaux calmes de la cote ouest de Tahuata. L’ancre touchait le fond
juste avant le soleil couchant enfin retrouvé.
Hiva Oa et le nouvel Aranui depuis Tahuata |
Coucher de soleil depuis Hanatefau |
Les eaux bleues de Hanatefau |
L’année
passée nous avions eu un vrai coup de cœur pour la baie de Ana Moe Noa. Cette
année nous faisons varier les plaisirs et suivant la météo, l’heure tardive ou nos
envies (dauphins, chevaux ou raies, falaises, plage ou cocoteraies, solitude,
retrouvailles ou rencontres) nous choisissions au dernier moment notre
destination. La baie de Hanatefau, surnommée la baie des dauphins, juste au
nord du village de Hapatoni, avait l’avantage à elle seule de combler les exigences, nombreuses et
contradictoires, de tous l’équipage.
Hana Moe Noa |
Les dauphins de la baie de Hanatefau |
Balade à cheval à Hiva Oa |
Matavaa o te enua enata.
Par Armelle.
Cette
année c’est Hiva Oa qui a organisé le festival des Arts des Iles Marquises et accueilli
pour l’occasion l’ensemble des iles de l’archipel mais aussi Rapa Nui, les
Gambiers et les deux troupes marquisiennes de Tahiti. Nous avons vu le village
s’animer et se transformer peu à peu dès la rentrée scolaire, répétitions des
chants et danses, fabrication des costumes, sculptures de grands tikis, rénovation
des paepae (sites anciens où se déroulaient les cérémonies) et aménagements du
village. Chacun participait et avait beaucoup à faire. L’ile attendait plus de 5000
visiteurs, délégations comprises.
Si
vous voulez vous plonger dans l’ambiance regardez ce petit film
promotionnel sur le lien suivant :
http://www.festivalmarquises2015.pf/
http://www.festivalmarquises2015.pf/
Comme
il y a deux ans, nous avons été complètement éblouis par les danses et emportés
par le son des pahus, mais cette fois nous reconnaissions des visages, ceux de
Nuku Hiva, de Tahuata et de Hiva Oa. Nous avons aussi revu nombre de voiliers
revenus pour l’occasion. Nous avons compté plus de 30 bateaux dans la baie de
Tahauku, et le double à l’extérieur ou sur Tahuata. Sans aucun doute un
record dans les iles du sud !
Les vacances à Nuku Hiva, Ua Pou et
Fatu Hiva.
Par Armelle.
A
chacune des petites vacances de l’année nous avons mis les voiles pour Nuku
Hiva, à la fois impatients d’y retrouver nos amis et trop fiu pour naviguer au
près vers Fatu Hiva que nous connaissions pourtant à peine. Nous y retrouvions
vite nos repères, déjà décrits dans nos précédents post.
Les crêtes d'Hakapa, cote Nord de Nuku Hiva |
Pendant
les vacances de Noel, las d’attendre une fenêtre météo pour Fatu Hiva qui ne
venait pas, nous avons redécouvert avec plaisir Ua Pou.
Les célèbres pics de Ua Pou |
Cote sud de Ua Pou |
La petite voiture de Xavier, pratique pour voir du paysage ! |
Un site ancien rénové pour le festival de 2007 |
Enfin
à Pâques nous avons mis le cap au sud est vers le fabuleux mouillage de la baie
des Vierges de Fatu Hiva, où nous avons eu des conditions incroyables pendant
toue la durée des vacances. Il fallait juste être patient !
Baie des Vierges de Fatu Hiva au soleil couchant |
Crêtes est et intérieurs de l'île |
Cote Ouest de Fatu Hiva |
Cascade au fond de la vallée du village de Hanavave |
L’apéro sémaphore.
Par Armelle.
L’adaptation
à Hiva Oa fut un peu difficile ‘socialement’ les premiers temps. Les levés tôt,
l’éloignement du village et le manque de voisins de mouillage limitaient
fortement les programmes de nos soirées. Il fallait rapidement réagir ! Très
vite et tout naturellement un petit rendez-vous hebdomadaire s’est imposé avec
les copains du village, un petit 6-8 devenu incontournable (comprenez entre 18h
et 20h). Tous les mercredi soir à la pointe qui borde l’est de la baie de
Tahauku, offrant une vue imprenable sur Tahuata, Motane et parfois même
Fatu Hiva, un petit cercle d’initiés se retrouvait pour boire une bière, sentir
le vent du large, refaire le monde, comme on dit communément, ou simplement
pousser une chansonnette en accompagnant le son d’une guitare, depuis les
lueurs du soleil couchant jusqu’à la nuit étoilée. Pas besoin de se le
rappeler, tous les fidèles étaient au rendez-vous de l’apéro-sémaphore. C’était
Julie, Julien, David, Sandra, Vincent, Maria, Oly, Pam, Tom, Déborah, Sonia, Clément, Damien,
Catalina, Cid, la guitare et les autres.
Pointe du sémaphore, où l'on peut voir la pointe sud de l'île, Tahuata, et un peu plus sur la droite Motane et parfois Fatu Hiva |
Gare aux tsunamis !
Par Armelle.
Si aux Marquises nous sommes à l’abri des cyclones il
n’en ait rien des tsunamis, bien au contraire. Les îles Marquises n’ont pas de
lagons et les tremblements de terre dans le Pacifique ne sont pas rares. Les iles
ont déjà connu plusieurs phénomènes de tsunamis suite à Fukushima par exemple.
Deux sites y sont particulièrement sensibles, dans l’archipel, la baie de Taipi
Vai à Nuku Hiva et (pas de chance !) la baie de Tahauku à Hiva Oa. Ce jour
du mercredi 16 septembre nous allions en faire l’expérience bien malgré nous.
J’étais au village lorsque je reçu la nouvelle du
tremblement de terre qui eu lieu au Chili vers 9h du matin de force 8.4 sur 9. Une
amie me dit : « On annonce à
Tahiti une alerte vigilance pour un tsunami dans la nuit, en particuliers sur
les Marquises. » Il était environ 16h. Je récupère les filles et vais
directement à la gendarmerie demander des précisions. « Pour l'instant ce n'est qu'une pré-alerte
mais il se pourrait qu'il y ait cette nuit une vague de 1.40m dans le port. »,
me disent les gendarmes d’un ton qui se voulait rassurant. Je rentre aussitôt
au port et nous faisons le tour des bateaux car nous savions que certains
d’entre eux aurait besoin de temps pour être prêts à appareiller. A peine
terminé la gendarmerie arrive au port et annonce que la pré-alerte est devenue
une alerte et que tous les bateaux doivent quitter le port avant 22h. J'appelle
une amie qui passe chercher tous les enfants de bateau et les emmène dormir
chez elle. Nous étions 8 bateaux dont 3 en panne de moteur. Nous, notre moteur
fonctionnait depuis 2h seulement, après 10 jours de panne !
Un des bateaux en panne de moteur mouille juste à
l'extérieur du port. Les autres voiliers, les pêcheurs et nous sortons entre 20
et 21h et nous préparons à passer une nuit sans lune à tirer des bords en mer.
Le phénomène
était attendu entre minuit et une heure du matin ; le sémaphore annonce
qu'il faut attendre au moins 3-4h après le tsunami pour pouvoir rentrer dans le
port à cause des courants et tourbillons. Nous ne rentrerons qu’au petit matin
au milieu d’un tas de débris et constatons que le lie de la rivière dans le fond
de la baie s’était déplacé de près de 50 mètres .
Le fond de la baie de Tahauku |
L'entrée de la baie et le mont Temetiu |
Nous avons ensuite appris qu'il y avait
eu 4 allers-retours de la mer dans le port et que le dernier avait généré une
vague assez forte. Les deux bateaux restés à l’intérieur se sont couchés quand
le port s'est asséché mais ils n'ont pas dérapés. Les marquisiens avaient connu
un phénomène similaire après le tremblement de terre de la cote pacifique du Japon de force 9 et qui a engendré le tsunami qui a détruit Fukushima.
Cette nuit la distance et l’intensité avait été largement comparable.
Une aventure dont on retiendra qu’il
faut toujours être prêt à naviguer.
Coccinelle en chantier à Atuona.
Par Gilles.
Ce
chantier naval, équipé de matériel pour sortir les bateaux de l’eau, on
attendait qu’il fut opérationnel depuis un certain temps déjà, le précédent
carénage, au cours duquel Coccinelle avait reçu un peu d’amour sur ses œuvres
vives, remontait à Hawaï, deux ans plus tôt.
Chantier
Acte 1.
Au
programme, antifouling, mais avant, nous avons réalisé un gros travail de
grattage de la coque, afin de la débarrasser des nombreuses couches
précédentes, qui s’étaient accumulées les unes sur les autres, au fil du temps,
comme le nombre de cercles concentriques d’un arbre quand on le coupe et qui
donne son âge. Les restes de ce qui avait été de la peinture anti salissures
s’en allait en plaques, ralentissant le bateau ( !). Pour s’en
débarrasser, certains emploient la méthode forte, la ponceuse, mais à moins de
disposer d’un masque intégral, l’organisme (humain) est pratiquement certain
d’ingurgiter ces substances toxiques, dont l’objectif premier consiste tout de
même à empoisonner tous les organismes (si possible non humains) à qui il
viendrait l’idée de venir vivre sur la coque de nos bateau. C’est donc armés
d’une spatule que nous avons gratté la coque, et surtout avec l’aide de l’ami
Oly, toujours de bonne humeur, le sourire aux lèvres, la gentillesse même,
impressionnant avec ses tous nouveaux tatouages sous les oreilles et sur le dos
(un superbe casse tête !, il danse dans la troupe des Tiki Toa, l’une des
troupes Marquisiennes de Tahiti), travailleur infatigable et doté d’une énergie
sans limites. Il joue aussi très bien de la guitare et du yukulele, il chante
aussi très bien. What else, Oly ?
Chantier
Acte 2. Le safran.
Le
deuxième gros travail a consisté à remettre le safran (la partie immergée du
gouvernail) en état. Il est en bois, et des petites bêtes du nom de tarets
l’ont envahi. Ces petits organismes (encore !) ont la particularité de
vivre dans les bois secs et immergés, c'est-à-dire les bateaux en bois !
Je m’en suis rendu compte en découvrant dans le bois du safran des cavernes
larges de quelques millimètres, qu’il a fallu attaquer à la perceuse jusqu’à en
débarrasser le bois. Avant de reboucher le tout de résine époxy chargée (la
résine époxy adhère bien sur le bois, et est étanche, qualités que n’a pas la
résine polyester).
L’ensemble
du safran a ensuite reçu une couche de résine diluée, visant à imprégner le
bois, puis des couches de tissus, histoire de le renforcer, surtout au niveau
des arrêtes de collage. Il a subi alors un traitement à base de résine chargée
à la poudre à poncer, avant d’être poncé, enduit de nouveau puis poncé encore,
avant de recevoir une couche de primaire époxy bi composant, suivi de trois
couches d’antifouling. Ouf, une bonne chose de faite !
Chantier
Acte 3.
Après
le démâtage en Alaska il y a deux ans, nous avions réimplanté un mât plus haut
d’un mètre environ, par rapport à l’original. Cette fois-ci, ça n’est pas le
mât que nous avons rallongé, mais… la coque. Coccinelle est un Jeanneau Sun
Shine 36, dessiné dans les années 80 par l’architecte Tony Castro. La carène
qu’a utilisé Jeanneau était issue d’un bateau de régate appelé ‘Justine’, mais
il mesurait alors une quarantaine de pieds. Pour des raisons que j’imagine
commerciales, Jeanneau avait lancé le Sun Shine à 36 pieds , soit avec une
longueur diminuée de près d’un mètre par rapport au dessin d’origine. J’étais
décidé à lui redonner sa longueur de flottaison de départ. Comment ? A
Atuona, certains (non marins…) nous ont demandé si j’avais coupé le bateau en
son milieu pour lui rajouter un mètre de coque… Non je ne suis pas allé jusque
là, je me suis contenté de lui rajouter… une jupe ! Après avoir longtemps
cogité, lorgné du côté du strip planking, imaginé une construction en sandwich
mousse, j’en suis arrivé à la conclusion que le plus simple serait de la
construire sur moule en monolithique.
Coccinelle
a connu ce grand honneur d’être le premier voilier à être sorti de l’eau à
Atuona par le premier et tout nouveau chantier naval des Marquises.
Une fois au sec, il a fallu commencer par élaborer un échafaudage, pas simple quand l’ancienne carrière ressemble plus pour le moment à un terrain vague qu’à un chantier naval. Quand j’étais passé ici à Hiva Oa en juillet 1995, la carlingue d’un avion s’y trouvait, à côté de vieux engins de terrassement genre Caterpillar. Il s’agissait de Jojo, l’avion de Jacques Brel.
Le 1er bateau sorti de l'eau par le nouveau chantier naval des Marquises |
Une fois au sec, il a fallu commencer par élaborer un échafaudage, pas simple quand l’ancienne carrière ressemble plus pour le moment à un terrain vague qu’à un chantier naval. Quand j’étais passé ici à Hiva Oa en juillet 1995, la carlingue d’un avion s’y trouvait, à côté de vieux engins de terrassement genre Caterpillar. Il s’agissait de Jojo, l’avion de Jacques Brel.
Quatre
vieux fûts rouillés et percés de 200 litres , et quelques planches glanées ça et
là, ont permis de travailler à niveau. Quand nous avons mis le bateau au sec,
j’ai insisté, niveau à la main, pour que le bateau soit calé bien horizontal.
Le même souci d’horizontalité a été apporté à l’échafaudage, pour qu’il ne soit
pas trop château branlant. Et chez Dual, la quincaillerie d’Atuona, la plus
chère du monde (40 € pour un tube PVC de 4 mètres en diamètre 80
mm !), j’ai acheté deux feuilles de contreplaqué de 5 mm , mélaminé sur une face.
Elles ont été maintenues sur la coque et le long de la voûte arrière à l’aide
de sangles, bridées et étarquées par les drisses de tête de mât (drisse de
grand-voile, balancine), afin que les feuilles, qui allaient faire office de
moule, soient bien plaquées. Le placage a été amélioré par quelques gros
tasseaux, coincés entre les sangles et le contreplaqué, de façon à épouser
parfaitement la forme de la coque.
Mise en place du moule pour la construction de la jupe |
J’avais
prévu pour le chantier de la jupe une trentaine d’heures de travail, dans les
faits, il en aura fallu plus d’une centaine ! Heureusement Déborah était
là, tous deux avons formé la bonne équipe pour la construction. Elle avait déjà
l’expérience du travail de la résine et du tissu de verre, sur son propre
bateau, et j’avais dégrossi le travail de résine avec Pierre à Nuku Hiva l’an
dernier sur la réfection d’une pirogue V3.
Je
n’avais jamais fabriqué une pièce d’une telle ampleur, et afin de garder une
porte de sortie, au cas où c’eut été raté, j’ai imaginé une pièce qui dans un
premier temps serait boulonnée et démontable, avec dans la partie basse, sous
le plateau, un coffre étanche destiné à recevoir les palmes, masques, tubas…
Dernière étape : la mise en place de la jupe |
Quand
le moule fut prêt, c'est-à-dire au bout de quelques jours, nous avons attaqué
la stratification. Protégés par des combinaisons intégrales, des masques et des
gants, nous avons soigneusement appliqué la cire de démoulage, puis la résine
(époxy), et les tissus préalablement découpés. Déborah préparant la résine et
son durcisseur, moi appliquant tissus et résine, ou inversement. Quatre couches
de bi-biais en 400g, autant de bandes de renfort sur les angles ou les points
sensibles, une couche de feutre de 3
mm d’épaisseur gorgée de résine et faisant office d’âme
de sandwich, puis trois autres couches de bi biais, et des renforts encore, en
prenant soin de terminer les joues intérieures de la jupe, qui allaient rester
visibles, par un tissus d’arrachage. Ceci afin d’assurer un fini acceptable
sans fastidieux travail de ponçage. Il a fallu mouler l’arrondi de l’arrière de
la jupe sur l’intérieur d’un quart de tube PVC, dont les autres morceaux ont
servi au prolongement des vides vite de cockpit. Une fois la jupe en elle-même
terminée, elle a été déposée (ouf ! Le démoulage n’a pas trop posé de
problèmes) pour être travaillée, poncée, les résidus découpés. Puis nous nous
sommes attaqués au plateau, moulé sur le reste de contreplaqué mélaminé, avec
une finition assez particulière. J’avais repéré le procédé sur le rouf d’une
pirogue V6 l’an dernier à Fakarava, et l’idée m’avait plu. Après le cycle verre
feutre époxy, nous avons stratifié un pareu polynésien, là aussi recouvert par
un tissu d’arrachage.
Il a suffit ensuite de fabriquer sur la jupe une lèvre de collage sur laquelle est venue se coller le plateau, et l’arrondi de l’arrière. Un joint congé, un léger tissus de renfort (roving 200), un peu de résine mélangée à de la charge à poncer, ponçage encore, une couche de primaire époxy bi composants, deux couches de peinture polyuréthane tout autant bi composée, quelques vis écrous de10 mm pour fixer ensemble
tableau arrière et jupette, et hop ! D’un coup de baguette magique,
Coccinelle a vu en l’espace de trois semaines sa longueur augmenter de près
d’un mètre. Et il faut l’avouer, le bateau est bien plus joli.
Le plateau avec sa finition dans un style polynésien |
Il a suffit ensuite de fabriquer sur la jupe une lèvre de collage sur laquelle est venue se coller le plateau, et l’arrondi de l’arrière. Un joint congé, un léger tissus de renfort (roving 200), un peu de résine mélangée à de la charge à poncer, ponçage encore, une couche de primaire époxy bi composants, deux couches de peinture polyuréthane tout autant bi composée, quelques vis écrous de
Les manoeuvres de sorties et remise à l'eau se font au moyen d'un Parklev, Vincent le chef du chantier est à la manoeuvre |
Il manquait quelque chose, non ?
En navigation, le gain de vitesse est conséquent, de l’ordre du demi nœud, mais ce crédit est également à mettre au bénéfice du travail effectué sur la carène, et sur le safran (la prochaine étape sera peut-être un jour une hélice repliable ?)
En navigation, le gain de vitesse est conséquent, de l’ordre du demi nœud, mais ce crédit est également à mettre au bénéfice du travail effectué sur la carène, et sur le safran (la prochaine étape sera peut-être un jour une hélice repliable ?)
Surtout, la jupe
apporte un véritable plus en termes d’agrément. Depuis, en navigation, il
m’arrive d’aller y boire mon café, au niveau de l’eau, en regardant dans le
sillage l’eau qui défile. Embarquements et débarquements s’en trouvent facilités.
Et le coffre s’avère très pratique.
Ecrit
comme ça, ça paraît facile, mais sans Oly et Déborah, c’eût été encore bien
plus compliqué. Il reste au régulateur d’allure d’avoir terminé ses
modifications pour être de nouveau opérationnel. Prochain chantier, la
réfection des vernis à l’intérieur, mais c’est une autre histoire…
Ah,
encore une chose. Quelques mois auparavant, nous avons équipé Coccinelle d’un
guindeau… électrique. Car jusqu’à présent, nous ne possédions qu’un guindeau
manuel, c'est-à-dire que l’ancre et sa chaîne, je les remontais à la main.
C’était une bêtise, et j’aurais très bien pu me faire mal au dos de manière
irréversible (avant de partir, un copain, Bertrand, m’avait fait remarquer que
je faisais une connerie. Il aura fallu quatre ans pour la réparer…) Acheté
d’occasion sur le Bon Coin (monté sur une vedette à moteur, il n’avait jamais
été utilisé), j’ai fait passer un
transporteur chez le vendeur en Vendée, le guindeau Lewmar V3 a pris l’avion
pour Papeete, où il a été dédouané (les frais de transport, de transitaire et
de douane nous ont coûté autant que le prix que nous l’avions payé, soit 800
€). Puis il a prit l’Aranui jusqu’à Atuona. Il avait alors fallu détruire le
bâti de l’ancien guindeau, en reconstruire un, commander des gros câbles
électriques (50 mm²), et finaliser l’installation. Mais depuis quel confort,
fier comme un paon, ma télécommande à la main, je regarde ébahi la chaîne qui
monte et qui descend sur une simple pression du doigt, alors qu’auparavant il
fallait enfiler des gants de manutention, et jouer la mule sur la chaîne, au
risque de se blesser, sans compter qu’en cas de mouillage raté (trop près de la
côte, d’un autre bateau, ou d’une patate de corail), on y réfléchissait à deux
fois avant de se lancer à remonter la pioche. Comme me le faisait remarquer un
copain, je viens de gagner vingt ans de navigation ! Cette année encore,
puisqu’on avait de l’argent à dépenser (…), on a offert à Coccinelle trois
belles batteries AGM, 50
mètres de chaîne toute neuve…
Notre
troisième saison aux Marquises s’achève. Nous ne pouvons pas partir sans faire un dernier aurevoir à Nuku Hiva, notre préférée.
Ce mardi 5 juillet 2016 nous quittons la baie de Taiohae pour les Tuamotus, le cœur gros car c’est un endroit où nous avons toujours été heureux et cette fois il s’agit peut-être d’un adieu. Nous emportons avec nous un peu des Marquises, deux margouillats restés à bord depuis le chantier de Hiva Oa. Nous les appelons Tiki et Mana.
Sur la sentinelle de la baie de Taiohae |
Ce mardi 5 juillet 2016 nous quittons la baie de Taiohae pour les Tuamotus, le cœur gros car c’est un endroit où nous avons toujours été heureux et cette fois il s’agit peut-être d’un adieu. Nous emportons avec nous un peu des Marquises, deux margouillats restés à bord depuis le chantier de Hiva Oa. Nous les appelons Tiki et Mana.
Notre dernière balade sur la sentinelle |